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Pour un nouveau paradigme en matière de santé publique, rencontre avec André Cicolella

Deuxième compte-rendu d'une conférence organisée par le Forum de l'IRTS de Lorraine en partenariat avec l'université Henri Poincaré (Nancy I). Une rencontre à la bibliothèque du campus des sciences de Vandoeuvre-lès-Nancy placée sous le signe de la Chanson plus bisphénolée...

Le 24 mars dernier, André Cicolella, chercheur en évaluation des risques sanitaires à l'INERIS (Institut national de l'environnement industriel et des risques) était l'invité du Forum de l'IRTS et de l'Université Henri Poincaré pour présenter ses thèses en matière de santé et d'environnement.

A. Cicolella précisa en introduction que son action s'inscrit dans le cadre du Réseau Santé environnement, qu'il préside, et qui est composé d'ONG, comme le WWF, d'associations de scientifiques, de professionnels de santé, et d'associations de malades.

Réseau santé environnement est à l'origine de campagnes ciblées, qui ont connu un fort impact médiatique. Le 12 mars dernier, il fut par exemple l'invité de l'émission "Le Journal inattendu", présentée par Harry Roselmack sur RTL[1]. On peut également citer, dans l'actualité récente, le documentaire de Marie-Monique Roban, spécialiste des pesticides, "Notre poison quotidien" diffusé sur Arte le 15 mars.

Pour résumer son propos, André Cicolella considère qu'on est face à une quatrième crise écologique, concomitante du fameux réchauffement climatique (NDR : dû à l'homme), de l'extinction des espèces et de l'épuisement des sources d'énergie fossiles. Il souhaite promouvoir un nouveau paradigme (NDR : modèle encadrant l'action et la réflexion) en matière de santé publique.

 

Les campagnes ciblées qu'il a contribué à lancer ont notamment concerné le bisphénol et l'aspartame.

L'aspartame, substitut du sucre, a été autorisée en France en 1981. Cependant, la relecture des études d'incidence réalisées en laboratoires dans les années 70 amènent à conclure qu'elles ont été mal conduites (protocoles peu rigoureux, résultats escamotés, etc…). D'autres études plus récentes réalisées sur des rats suggèrent que les animaux auxquels on fait ingérer régulièrement de l'aspartame développent des cancers. Une étude réalisée au Danemark montre que le groupe de femmes enceintes "test", qui consomment une fois par jour une boisson à l'aspartame (ce qui est loin d'être une consommation excessive), ont un taux d'accouchement prématuré supérieur au groupe de celles qui n'en consomment pas.

Or, même si l'accouchement prématuré n'est pas mortel, il est tout de même le symptôme d'une souffrance fœtale qu'on cherche à abréger.

L'aspartame favoriserait également l'obésité, alors que cette substance est censée diminuer l'apport de l'alimentation en sucre. Un comble.

 

Le bisphénol est un perturbateur endocrinien, c'est-à-dire un perturbateur du système hormonal. Il est présent dans un grand nombre d'objets en plastique, y compris à usage alimentaire. On en trouve, par exemple, dans le revêtement intérieur des boîtes de conserve.

Il imprègne progressivement les produits alimentaires qui finissent par être ingérés. Un expérience, qui consiste à soumettre des rats à des doses de bisphénol absorbées quotidiennement par l'homme via les boîtes de conserve, conclut à l'apparition de cancers et au développement de l'obésité.

De plus, les effets sont trans-générationnels : ils se transmettent aux enfants et aux petits enfants, même s'ils n'ont plus été exposés directement.

 

André Cicolella évoqua également un "'effet frappant" (j'ignore si cette expression est scientifiquement homologuée) de ces perturbateurs : l'effet n'est pas proportionnel à la dose reçue. Plus la dose est forte, plus l'organisme se protège en réduisant le nombre de récepteurs. Une dose faible peut avoir plus d'effet qu'une dose forte.

L'expression "perturbateurs endocriniens" a été inventée il y a une vingtaine d'années. On trouve ces composés dans nombre d'objets ou de produits de la vie quotidienne : crèmes solaires, produits cosmétiques (paraben…), pesticides, solvants, matières plastiques… Or les hormones contribuent largement au développement des organismes : poids, système sexuel, cerveau…sont autant de paramètres ou d'organes directement concernés.

André Cicolella s'alarma par exemple d'une véritable épidémie d'obésité, en partie provoquée par la présence de ces perturbateurs endocriniens dans notre environnement. Même si d'autres causes existent (sédentarité, nourriture trop riche…) et forment un enchevêtrement inextricable de facteurs de risques, que la présentation d'un tableau en forme de toile d'araignée peina à résumer. "Comme d'habitude", concéda-t-il d'un ton grinçant, on ne peut jamais imputer à 100% une maladie, un dysfonctionnement ou un décès à une seule substance.

 

En ce qui concerne le bisphénol, Cicolella estime qu'il n'a aucune utilité dans le plastique alimentaire. On en trouve également dans le plastiques des carrosseries de voitures, ce qui est beaucoup moins dangereux. Pour lui, ces substances se sont imposées dans notre environnement sous couvert de modernité. Les tickets de caisse plastifiés thermo imprimés font plus modernes que des tickets au papier et à l'encre. Mais au fond ça ne change pas grand chose. Un peu comme l'amiante, qui fut une véritable mode il y a quelques décennies.

 

Pour conclure sur les campagnes ciblées, A Cicolella annonça à l'assistance qu'une troisième action médiatique était sur le point d'être lancée. Elle concernera le perchlorétylène, un solvant utilisé dans la plupart des pressings. Il est accusé d'être cancérigène. L'argumentation se fondera sur le décès d'une femme, qui résidait au-dessus d'un pressing. Son fils a fait faire une autopsie qui a révélé que le corps était fortement imprégné de perchlorétylène.

 

 

D'une manière générale, Cicolella estime que l'opinion est très sensible à ces questions et qu'elle est mûre pour entendre son message. En revanche, il constate qu'il y a un grand décalage entre cette attente et les conséquences réglementaires et politiques : les biberons au bisphénol n'ont été retirés de la vente en France qu'en été 2010, après de nombreux revirements de la Ministre de la Santé.

 

Le "nouveau paradigme" en matière de santé publique consisterait à considérer la santé comme un pilier central autour duquel toutes les politiques publiques peuvent (ou doivent) tourner : économie, développement, environnement, social…[2] La pandémies de maladies chroniques touchant l'humanité (obésité, cancers, diabète…) a en effet des répercussion dans tous les domaines (économiques, sociaux…). Une pandémie elle-même provoquée par l'environnement des individus, où les substances industrielles sont omniprésentes.

Cette crise sanitaire serait, par exemple, la cause réelle des déficits de l'assurance maladie : l'augmentation du nombre de maladies chroniques alourdit considérablement les dépenses de santé car ce sont les affections les plus onéreuses à traiter. La cause des déficits ne serait donc pas à rechercher dans une diminution des recettes due à une crise économique et il est absurde de culpabiliser les citoyens et les malades.

La santé étant largement le produit de l'action de l'environnement sur l'homme, il faut donc rechercher les causes des épidémies ("les causes des causes"), plutôt que de "se contenter" de soigner les conséquences comme la médecine actuelle.

 

L'influence de l'environnement en matière de santé a d'ailleurs largement été démontrée, dans le bon sens : le choléra a été éradiqué grâce au développement de l'adduction en eau potable, des égouts et aux progrès de l'hygiène ; le cancer de l'estomac est en constant recul, grâce à la conservation des aliments par réfrigération et plus par salaison. L'inverse est donc possible.

 

 

Même l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a récemment tirée la sonnette d'alarme et estime que les maladies chroniques sont un défit majeur pour l'humanité. Y compris dans les pays en voie de développement où les maladies infectieuses ne sont plus la première cause de décès et sont dépassées par les maladies cardio-vasculaires.

On a longtemps pensé qu'avec le développement, l'ère des maladies infectieuses était supplantée par celle des maladies chroniques, à cause du vieillissement de la population.

L'augmentation du nombre de cancers chez les enfants, ou celui des cancers du sein chez des femmes qui ne sont pas particulièrement âgées, indique que ce facteur explicatif n'est pas satisfaisant. De même la consommation de tabac et d'alcool, qui diminue régulièrement ne semble pas pouvoir expliquer, à elle seule, ce phénomène.

 

Afin d'enfoncer le clou et de terminer sur une note ironique, Cicolella présenta une photo d'un jeune couple moderne et dynamique, où Monsieur a été victime d'un cancer des testicules en pleine fleur de l'âge, et où Madame a été confrontée au cancer du sein. Il s'agissait de Lance Armstrong et Sheryl Crow.

 

 

Je tire différents enseignements de cette présentation.

 

Tout d'abord l'empilement de résultats d'études menées aux quatre coins du monde et dont le profane ne sait pas grand chose. Si les études menées sur l'aspartame ont été bâclées dans les années 70, qu'en est-il de celles menées sur l'exposition des rats au bisphénol ou les femmes enceintes danoises ?

On touche également là aux limites du principe de précaution : comme le reconnaît Cicolella, on peut observer des corrélations troublantes, mais l'explication des dysfonctionnements et maladies observées est très complexe. Il est toutefois légitime de soupçonner que ces substances ont forcément un impact sur la santé…bien que, là aussi, le profane n'a pas le recul suffisant pour apprécier s'il y a réellement une hausse globale du nombre de cancers.

Ces données demanderaient donc à être confrontées à d'autres pour se faire une idée. Au terme de cet exposé, on a l'impression que ces perturbateurs endocriniens sont tenus pour responsables d'à peu près tout (cancers, obésité, "troubles du comportement" [soit des manifestations aussi diverses que l'autisme, l'hyperactivité, l'agressivité…]).

 

Autre limite de cet exercice :

on n'est jamais bien loin du complot tramé par les industriels (qui veulent à tout prix vendre leurs produits au mépris de la santé), et les pouvoirs publics (complices des précédents, on se demande bien pourquoi). Peut-être tout simplement le penchant naturel des sociétés, qui, si personne ne se plaint, ne remettent pas facilement en cause ce qui existe.

 

En ce qui concerne les plastiques alimentaires, j'ai le sentiment que cette matière est, reconnaissons-le, fort pratique (faible poids, résistance, imperméabilité) et que son éradication serait des plus compliquée à réaliser. Cicolella a affirmé que le bisphénol n'avait aucune utilité dans les contenants alimentaires. En fait on ne sait même pas à quoi il sert, ni d'où il vient. D'où cette sensation de pessimisme lancinant, qui fait du consommateur, donc de l'homme, un être passif et impuissant. Comme dans certaines philosophies peu humanistes où l'homme est avant tout cet être imparfait, coupable, aveugle…

 

Pour parler des parabens employés dans les cosmétiques, ce ne sont ni plus ni moins que des conservateurs, il me semble, qui visent à ce que les produits, faits d'eau et de matière grasse, ne se dégradent pas au bout d'une semaine.

 

De même le cas de l'insecticide DDT qui a été développé pendant la conférence : si l'usage de ce produit a été interdit en raison de son caractère cancérigène (NDR : là encore, "une étude" aurait conclu que les filles dont les parents ont été exposés au DDT développent plus de cancers du sein que la moyenne), il semblerait que sa réintroduction partielle ait été approuvée pour détruire les moustiques porteurs de la malaria http://www.mrc-france.org/Ecologie-et-developpement-humain_a225.html. Entre-temps, l'épidémie de malaria a continué de faire des victimes. Un fait sur lequel Cicolella et Marie-Monique Robin ne se sont probablement pas étendus.

 

Ce pessimisme est toutefois contrebalancé par le fait que ce "nouveau paradigme en matière de santé" vise à déculpabiliser les individus et à leur donner une grille d'analyse des événements qui les touchent (déficits de l'assurance maladie, maladies chroniques, surpoids…). Une grille d'analyse peut-être un peu partiale et simpliste, certes. Mais sa démarche a au moins le mérite de considérer que les citoyens sont suffisamment matures pour être sensibilisés à ces thèmes (ou le sont déjà), un peu à rebours de l' "écologie punitive" (pour reprendre l'expression de Frédéric Nihous en 2007). Ce qui n'empêche pas cette prémisse de se transformer facilement en un discours alarmiste et anxiogène, médiatiquement plus porteur. Les "campagnes ciblées" sont ainsi l'occasion d'intervenir dans le débat public et de porter à connaissance du plus grand nombre des données (qu'on espère bien établies).

Car, en démocratie, on n'interdit pas le débat, surtout si on a des arguments à opposer.

 

13 avril 2011



[2] Dès 1948, l'OMS avait donné une définition très avancée de la "bonne santé", en la caractérisant comme "un état de bien-être", et pas seulement comme une absence de maladie.

 


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3 réactions à cet article    


  • Leo Le Sage 14 avril 2011 18:58

    Qui va changer de paradigme et quand ?
    On a mis des dizaines d’années pour divers médicaments...

    Doit-on voir ce qu’ils font aux USA, doit-on comparer ce qui se fait dans d’autres pays ?
    Doit-on changer de normes ?
    Doit-on fustiger cette fausse élite ?


    • Leo Le Sage 15 avril 2011 17:52

      @Olivier Perriet (auteur)
      « Le bisphénol est un perturbateur endocrinien(...)les effets sont trans-générationnels »
      On s’en doute bien qu’un perturbateur endocrinien a de grandes chances d’avoir des effets sur les descendants...

      « En ce qui concerne le bisphénol, Cicolella estime qu’il n’a aucune utilité dans le plastique alimentaire »
      Vous dites que c’est pour la modernité ? Ce n’est pas pour la solidité ?
      Le plastique est plus solide que le papier non ?

      « D’une manière générale, Cicolella estime que l’opinion est très sensible à ces questions et qu’elle est mûre pour entendre son message. En revanche, il constate qu’il y a un grand décalage entre cette attente et les conséquences réglementaires et politiques : les biberons au bisphénol n’ont été retirés de la vente en France qu’en été 2010, après de nombreux revirements de la Ministre de la Santé. »
      Je ne devrais pas défendre la charmante Roseline mais stopper la production de biberon plastique du jour au lendemain c’est un peu délicat, principe de précaution ou pas.
      il y a quand même des emplois à la clef...
      Ce qu’elle aurait du dire c’est que c’est dangereux, et d’exiger qu’on en fasse la pub sur la dangerosité du produit.
      Pendant un certain temps certaines personnes auraient arrêté l’usage de ce produit pendant que d’autres auraient continué...
      Au final on aurait eu le temps de mettre un terme à l’arnaque.

      « Mais sa démarche a au moins le mérite de considérer que les citoyens sont suffisamment matures pour être sensibilisés à ces thèmes (ou le sont déjà), un peu à rebours de l’ »écologie punitive« (pour reprendre l’expression de Frédéric Nihous en 2007). »
      çà dépend de ce que mature veut dire...
      Si pas mal de monde s’adonne à la consommation sans modération d’alcool au mépris de la vie des autres, est-ce mature ?
      Sachant qu’au moins là c’est prouvé que l’alcool au volant est dangereux
      (ce qui ne les empêchent pas de conduire...)

      mon avis
      L’obésité comme le cancer sont des problèmes de santé américains avant d’être devenus des problèmes mondiaux...
      Partout vous voyez des obèses et essentiellement ce sont des pauvres, ignorant de la dangerosité des produits qu’ils consomment mais aussi de la façon de consommer...
      L’aspartame mais aussi beaucoup d’autres produits concourrent efficacement à la naissance de maladies dangereuses notamment les maladies endocriniennes...
      Les ondes-électromagnétiques sont dangereuses comme ceux des téléphones portables par exemple (même longueur d’onde que celle d’un four microonde), etc.
      Motorolla a fait breveté un produit qui permet de réduire le danger des téléphones portables... mais ils ne vendent pas leur produit... smiley

      Mais combien de produits dangereux sont connus ?

      Maintenant que nous savons que les OGM sont plus que nocifs, personne n’arrive à le démontrer car il faudrait convaincre des spécialistes d’en parler...
      Quel spécialiste et surtout quelle chaîne de télévision osera en parler sans discontinuer ? J’en vois pas...

      Personne ne se soucie vraiment des relations produits-maladies car le lien est loin d’être évident...

      La cause de cette non-qualité du produit est dû au coût de recherche sur la dangerosité du produit qui est trop important pour pouvoir satisfaire le critère de profitabilité.
      Comme quoi l’argent ne fait pas le bonheur, surtout lorsqu’on sait que le coût des malades est souvent très élevé...

      Je suis convaincu que c’est ce manque de transparence qui est à l’origine de la plupart des problèmes en ce bas monde.

      Soyons sérieux mais c’est un combat de longue haleine...
      Il n’est pas certain que l’on gagne ce combat...


      • Olivier Perriet Olivier Perriet 15 avril 2011 19:46

        Merci pour cette réaction développée.
        En ce qui concerne cette conférence, j’ai été (notamment) content d’apprendre d’où venait ces campagnes (enfin, peut-être que Ccolella s’attribue indûmment leur paternité mais bref).
        Il me semble qu’elles ont été fort bien relayées dans les médias (plusieurs reportages sur France 3, RTL, etc...).
        Contrairement à ce que vous pensez, je crois que l’angoisse et les messages pessimistes sont plutôt porteurs pour les médias, simplement parce que l’auditeur y est plus réceptif que « tout va très bien, ya pas de problème ».
        À mon avis on pêche plus de ce côté que par excès d’optimisme. Mais ce n’est que mon avis.

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