Colonna pas à la hauteur
Quatre jours et déjà un coup d’éclat d’expert au procès du berger plus blanc que blanc. Selon le légiste ayant examiné le corps du préfet Erignac, « le tireur devait être de grande stature ». Heureusement pour le prévenu, qui culmine à 1,72 mètres.
A tout procès son expert. La justice est ainsi faite, depuis la nuit des temps ou pas loin, qu’elle convoque régulièrement au chevet de la vérité quelque spécialiste en tout genre, chargé de déterminer d’où venait la balle, avec quel type de lame la carotide avait été sectionné ou quel était l’auteur du fameux billet. Expert graphologue, légiste, psychologue, chimiste, pompier, biologiste, curé, chanteur de bal populaire, l’homme ou la femme arrive pour tenter de démêler le vrai du faux, éclaircir la situation et éventuellement dissiper les doutes. Seulement voilà, tout spécialiste qu’il soit, l’expert parfois se trompe. Rarement sur TF1 en première partie de soirée, mais de temps en temps, au fil de l’histoire, Dreyfus en sait quelque chose, Omar Raddad aussi, Patrick Dills également. L’expert n’a pas la vérité absolue, c’est acquis. Mais il sait certaines choses, il apporte quand il le peut aux suppositions l’assise de la science, ou pas loin.
Hier donc, au quatrième jour de ce procès Colonna que certains voudraient bien que l’on commente moins, mais qui mérite pourtant de l’être, hier donc le Dr Paul Marcaggi, médecin légiste qui a examiné le corps du préfet Erignac et ses fatales blessures est venu expliquer que la trajectoire « horizontale » de la première balle indiquait que le tireur devait être un homme de grande taille, au moins aussi grand que le préfet Erignac, qui s’élevait à 1,83 mètres. Comment ce calcul ? Simple : le préfet marchait sur un trottoir en pente, comportant une série de large marche, le ou les hommes qui le suivai(en)t se situai(en)t donc légèrement en contrebas. Un contrebas ajouté à une petite taille impliquerait une trajectoire de balle ascendante, et non pas horizontale. Donc le tueur était au moins aussi grand que le préfet, CQFD. Donc, si l’on va plus loin que le légiste qui n’a pas participé à la reconstitution et n’est donc pas « formel », Yvan Colonna, simple petit berger, ne peut pas être le porte-flingue, c’est indiscutable.
Et maintenant ? Yvan Colonna peut-il retourner à ces chèvres comme d’autres à leur grève ? Le procès doit-il immédiatement s’interrompre faute d’accusé crédible ? Sarkozy doit-il être traduit en justice pour diffamation, lui qui avait traité Colonna d’assassin ? Ce n’est évidemment pas si simple. Les juges savent quel crédit et quelles réserves ils doivent apporter et opposer aux dépositions d’experts. La défense, elle, bondit sur l’occasion pour demander une nouvelle reconstitution, ce qui obligerait la cour à se déplacer à Ajaccio. Vous imaginez un peu une reconstitution aujourd’hui, avec Colonna, à Ajaccio ? Ce serait fameux. Dans tous les cas, le témoignage du légiste pose indubitablement des questions importantes. Et l’on peut s’étonner que de tels éléments n’aient jamais été mis en avant avant ce procès. Une légèreté qui tendrait à prouver, contrairement à ce que le clan Colonna martèle, que la cour n’a pas « érigé la culpabilité de l’accusé en vérité biblique », loin de là. Que tout n’a pas été mis en œuvre pour le condamner coûte que coûte. Depuis hier, on sait que ce procès est plus ouvert que jamais, et peut encore devenir plus passionnant si seulement le trop petit accusé se décidait enfin à parler.
Parce qu’avant hier, il y eut avant-hier. L’examen du plasticage de la gendarmerie de Pietrosella, en septembre 1997. Séance durant laquelle un gendarme raconta dans le détail son clavaire. Comment lui et ses collègues furent mis en joue, ligotés, bâillonnés par des individus armés, cagoulés, qui les menacèrent avant de les rassurer (« Ça va bien se passer, on n’en veut pas aux familles. ») puis de les emmener dans un fourgon, la tête dans des sacs de jute, et de les abandonner dans le maquis. « C’est dur. Une partie de moi est partie ce jour-là et l’autre le jour de l’assassinat du préfet Erignac. Depuis, je vis toujours avec ces chimères. On a un sentiment de culpabilité. Car l’une des deux armes dérobées a été utilisée pour tuer M. Erignac », témoigne l’officier Paniez, aujourd’hui, nous dit Libération, cantonné dans un bureau, déclaré « inapte au terrain et au port d’arme ». Colonna avait mercredi, avant même ce témoignage fort, l’occasion de s’exprimer, le président du tribunal avait même prévu de lui laisser une heure entière. Mais le prévenu n’utilisa que quelques secondes, le temps d’une formule lapidaire : « Comme au premier jour, je dis que je n’ai pas participé à la gendarmerie de Pietrosella, pas plus qu’à l’assassinat du préfet, pas plus qu’au groupe des anonymes ». Point barre. Et c’est bien ce mutisme qui déçoit le plus, cette stratégie du silence qui ne grandit pas (sic) le berger modèle. Se taire systématiquement, éluder, ne rien expliquer, c’est un peu mépriser les victimes, ces gendarmes, ou cette veuve, Mme Erignac, qui devrait parler ce vendredi matin. Ce n’est certainement pas la meilleure tactique.
Pas assez grand, dans tous les
sens du terme, Yvan Colonna, forte tête jusqu’ici, n’apparaît dans l’immédiat
pas à la hauteur de son procès. Il est la grande déception de cette première
semaine. Mal conseillé peut-être, il devrait se rappeler que ce n’est pas
l’avenir de la Corse et de ses luttes qui est en jeu, mais le sien. Uniquement.
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