L’absolutisme du droit de propriété du Code civil est d’abord et avant tout un acquis politique révolutionnaire
Il faut commencer par rappeler la teneur de l'article 544 du Code civil, inchangé depuis 1804 : "la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois ou par les réèglements." Notons au passage que le terme apparemment radical d'"absolue" est aussitôt limité par le membre de phrase " pourvu qu'on n'en fasse pas un usage prohibé par les lois". Ainsi, l'apparente radicalité de la notion de propriété se trouve ab initio, limitée par le pouvoir législatif, représentant la force de l'Etat, organisé autour de parlementaires élus qui votent les lois du peuple, garant du bien commun.
Il faut ensuite rappeler que le Code civil de 1804 est une oeuvre de compromis chargée de confirmer la paix civile fraîchement retrouvée, et chèrement payée par la population française. S'agissant du droit de propriété, le Code avait pour objectif de solder la période révolutionnaire en confirmant les droits des acquéreurs des biens nationaux tout en actant juridiquement le fait sociologique et économique de l'avènement politique de la classe moyenne. Classe moyenne dont la figure de proue est certes la bourgeoisie commerçante, née du commerce international issu des grandes navigations des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles et du commerce des matières rares et précieuses qui a suivi (1).
Le droit de propriété issu du Code civil, a pour fondement non seulement le libéralisme révolutionnaire, inscrit dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789, mais aussi et surtout le fait politique révolutionnaire lui-même ! Ni les rédacteurs du Code civil, ni le premier consul Bonaparte (qui assistait et participait aux débats sur les articles du Code devant le Conseil d'Etat) n'ont voulu revenir sur le droit de propriété des acquéreurs des biens nationaux. L'absolutisme de ce droit de propriété était un gage de paix sociale. Dans ce sens, on peut dire du droit de propriété du Code civil qu'il est un acquis révolutionnaire : il s'agissait d'abord et avant tout de préserver la propriété des multiples, petits et moyens, acquéreurs des biens du clergé et de la noblesse confisqués au moment de la Révolution.
Faut-il encore rappeler que ces biens confisqués appartenaient au départ à des ordres politiques (clergé et noblesse) qui avaient eux-mêmes, en quelque sorte, initialement accaparé la propriété de tous les biens immobiliers disponibles sur le territoire ? La Révolution a, à son tour et par un retour des choses dont l'histoire a le secret, confisqué ces biens pour les répartir parmi le peuple. Pour être tout à fait honnête, il faut reconnaître que la vente des biens nationaux s'est opérée selon des modalités qui ont oscillé entre le fait de privilégier les petits acquéreurs, en acceptant des coalitions de petits paysans-acquéreurs peu fortunés, en morcellant les lots et en acceptant leur financement sur le long terme (par des rentes), et le fait de privilégier une caste bourgeoise enrichie par le commerce et capable d'acquérir des lots importants et de racheter les rentes (c'est-à-dire de payer comptant ces lots initialement destinés à être financés sur de nombreuses années). Rien à voir cependant avec l'accaparement de tous les biens immobiliers par des castes qui sévissait sous l'Ancien Régime.
Aujourd'hui, qu'en est-il de l'absolutisme du droit de propriété du Code civil ?
D'une part, certains milieux juridiques tentent de transposer en droit positif la notion de "propriété économique" ; cette notion tend à se répandre de façon insidieuse dans les milieux concernés (et autorisés) à la faveur de l'insertion en droit français du trust anglo-saxon (traduit en droit français par le terme "fiducie"). Le constat selon lequel la notion de "propriété économique" serait d'ores et déjà, du point de vue économique, un fait pour tous les acquéreurs de biens à crédit est fortement mis en avant pour imposer la traduction en droit positif du concept de "propriété économique". Or l'absolutisme du droit de propriété tel qu'issu du Code civil ne saurait survivre à l'avènement juridique de cette "propriété économique".
Que peut-on penser de cela ? S'il est vrai que l'acquéreur à crédit est, d'un point de vue économique, essentiellement propriétaire de dettes (qu'il cumule avec les charges du propriétaire : charges de copropriété et charges financières des intérêts de l'emprunt), il n'en reste pas moins vrai que d'un point de vue juridique, la banque qui veut récupérer le bien en cas de non remboursement des échéances ne peut, actuellement, manu militari chasser la personne de son domicile. Elle doit, soit agir en justice pour faire vendre le bien afin de se faire rembourser les échéances impayées (en cas d'hypothèque), soit, ce qui est plus rare en matière immobilière, actionner la caution pour être payée. Acter une prétendue notion de "propriété économique" reviendrait à donner le pouvoir sur le bien au créancier, peu importe la personne de l'acquéreur : il s'agira, de facto, de donner au créancier, souvent une banque, le pouvoir de chasser l'occupant qui ne rembourse plus ses échéances (ou qui ne les rembourse pas assez vite), sans aucune sorte d'intervention étatique ou juridique, pour accaparer le bien en question. Sans garantie aucune de la légitimité de l'action : l'occupant peut avoir payé ses échéances et être chassé par erreur, puisque la puissance publique disparaît du processus, lequel s'apparente à de la captation pure et simple et légale de biens. Le fait du prince en guise de droit : convenez du progrès ! Avec l'avènement de la "troïka" (BCE, FMI, UE) nous sommes aujourd'hui en train de mettre en application pratique la notion de "fait du prince" pour aboutir au concept, toujours légal, de "spoliation" du peuple (cf. Grèce, Chypre et la prochaine suite).
L'accaparement des biens par les banquiers et grands capitalistes, qui est aujourd'hui un fait économique incontestable, ne doit en aucun cas être validé par le droit, sous peine de retour à la féodalité. Autrement dit : entre le fait économique, qui relève d'un rapport de force d'ores et déjà perdu par les peuples, et la matérialité juridique du phénomène, doit s'interposer la volonté du citoyen et la mise en oeuvre du bien commun. A défaut, de relever ce défi, les citoyens prépareraient eux-mêmes le grand retour de l'esclavagisme légal, que l'on peut aussi appeler féodalité, lequel a, par la suite, généré l'ordre social de castes que l'on a connu en France sous l'Ancien Régime.
D'autre part, l'absolutisme du droit de propriété est attaqué d'un point de vue fiscal : il serait par exemple question de faire payer au propriétaire une sorte de loyer à l'Etat dès le remboursement bancaire effectif, ou encore, une loi anglaise prétendrait taxer les pièces vacantes des logements. Pourquoi ne pas proposer directement le vote d'une loi, ou encore mieux l'imposition d'une directive (le champ géographique d'application étant nettement plus vaste), imposant à tout propriétaire le paiement d'un loyer à une banque comme contrepartie du droit d'occuper un logement ? Cela aurait au moins le mérite de la clarté dans le contexte où l'Etat semble aujourd'hui avoir pour seule et dernière mission de renflouer les banques en perdition. Autrement dit, le loyer, prévu pour être payé à l'Etat, mais n'ayant pour finalité ultime que de renflouer des caisses vidées par ailleurs au profit d'un système bancaire en perdition, serait ainsi directement mis à la disposition de son véritable bénéficiaire. Evidemment une telle pilule étant difficile à faire avaler à la population, il devient préférable, pour nos "gouvernants" d'en cacher le véritable objectif derrière le rideau de fumée qu'est devenu l'Etat, un Etat dont le citoyen a, à la vérité, perdu le contrôle.
La troisième attaque contre l'absolutisme du droit de propriété relève de la philosophie politique : elle consiste à remettre au goût du jour l'idée de collectivisme dans l'objectif affiché de lutter contre la malfaisance de l'ultralibéralisme financier. Mettre en avant les méfaits incontestables du l'ultralibéralisme pour justifier la disparition de la propriété dite absolue du Code civil de 1804 est à peu près aussi pertinent que de faire disparaître la maladie en tuant le malade. Il s'agit en un mot d'offrir sur un plateau une grande victoire à ceux contre qui l'on entend lutter, lesquels (faut-il le préciser) sont des accapareurs ayant bénéficié au plus haut point du processus de "mondialisation" qu'ils avaient eux-mêmes lancé et promu à des fins de strict enrichissement personnel. Ces accapareurs, détenteurs du "grand capital", se permettent aujourd'hui, au gré de l'opacité d'institutions commerciales et civiles très complaisantes (faites sur- mesure à vrai dire) et du développement qualitatif et quantitatif accomodant et indispensable des paradis fiscaux (institution ad-hoc), d'acheter à peu près tout ce qu'ils veulent à n'importe quel endroit de la planète sans que le lien soit aisé ou simplement possible à faire entre le nom officiel de l'acquéreur (société, trust, fondation ou autre association et oeuvre caritative ou humanitaire, prête-nom...) et le nom réel du propriétaire donneur d'ordre. C'est ce que l'on appelle très pudiquemen du terme technique de "liberté de circulation des capitaux et des biens" : principe existenciel et consubstantiel à la fameuse UE.
Sous prétexte de lutter contre les grands maux de l'ultra-libéralisme, le peuple doit prendre garde à ne pas s'acharner lui-même contre une institution (la propriété prétenduement absolue du Code civil de 1804) qui avait justement pour raison d'être initiale de conforter la propriété du petit citoyen contribuable contre celle des accapareurs non citoyens non contribuables.
A grand renfort de discours lénifiants parés d'humanisme, les acquis révolutionnaires portés par le Code civil de 1804, sont peu à peu en train de disparaître totalement du paysage juridique. Ce phénomène a été démultiplié par l'arrivée intempestive et involontaire (pour le simple citoyen) des réglementations européennes, incluant à la fois les Traités et le droit dérivé. Le bien commun et le bien public font partie des dommages collatéraux de cette "grande avancée" juridique et humaine qui nous est proposée !
En conclusion, le peuple se voit ainsi sommé et incité par tous les moyens, c'est-à-dire tant par la séduction intellectuelle que par la force, la corruption, ou la morale politique, de supprimer ou raboter l'absolutisme du droit de propriété issue du Code civil de 1804, lequel n'est pourtant ni plus ni moins que le droit fondateur de l'émergence sociale et politique d'une "classe moyenne".
Une fois que la propriété absolue du Code civil aura disparu, ne croyez pas que les grands propriétaires accapareurs auront également disparu, ils auront simplement juridiquement acquis le pouvoir de disposer, sans aucune contrainte autre que celle dictée par leur volonté et leur intérêt, de la majorité des biens matériels de cette Terre. Ce phénomène est d'autant plus à redouter que les monnaies sont en période de pré-perdition et que la richesse monétaire et immatérielle risque, à tout moment, de s'évaporer. Devant le danger de la disparition des richesses immatérielles, les temps sont venus pour les détenteurs de grandes fortunes de disposer juridiquement et simplement de tous les biens matériels disponibles. La route juridique, politique et économique que l'on voit prendre est bien celle du retour à la féodalité pure et simple.
Nous voici entrés dans une nouvelle ère, impensable si l'on considère les acquis politiques occidentaux du dernier millénaire, d'accaparement des richesses matérielles (biens matériels tangibles tant mobiliers qu'immobiliers) et immatérielles (brevets, privatisations de tous les services anciennement publics) par un petit nombre d'individus.
Note 1) : La Révolution industrielle qui suivra va confirmer l'avènement de cette classe moyenne. Volant de succès en succès cette nouvelle bourgeoisie commerçante va peu à peu réussir à capter, au moyen de l'argent amassé, les pouvoirs politiques lui permettant de s'installer au lieu et place de l'ancienne aristocratie (la nature a horreur du vide), c'est ce que nous connaissons aujourd'hui : une caste capitaliste apatride et toute puissante.
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