L’empire occidentalisé s’effrite et se situe face à la mort ou à la vie
Un œil sur l’Histoire montre que le monde n’a jamais été un havre de paix et de bonheur. Ceux qui sacrifient au déclinisme sont aussi déçus par un monde promis qui n’est pas advenu, ou un monde révolu qui est idéalisé. Avant c’était mieux disent les uns, après ce sera pire disent les autres. Mais pas de la même manière et avec des idées soutenues et argumentées qui n’en représentent pas moins le signe d’un désarroi profond. De l’autre côté, les gens satisfaits dévorent le monde entre deux avions ou dans les parcs de loisir et autres clubs de détente. Pour les uns l’argent coule à flot, pour les autres, le niveau matériel est suffisant pour entretenir l’élan vital, pour faire que se lever le matin et travailler est une chose praticable, pour s’offrir quelques divertissements et plaisirs qui, conjugués à une tendance au bien-être, fait que l’existence est appréciée avec tous ses contrastes et bien souvent, son cortège d’illusion car la plupart des plaisirs contemporains ne sont que factices, éphémères et superficiels. Ils ne remplissent pas le vide spirituel et fonctionnent comme des ingrédients entretenant tant que c’est possible d’addiction.
Lorsque l’on entend et lit les propos des déclinologues, on ne sait pas séparer la part de lucidité, de sincérité, de la part d’arbitraire liée à un relativisme personnel doublé d’un désir d’exister dans le monde médiatique. Apparemment, le ton mélancolique et tragique semble plaire à une frange du « public intello français ». En plus, la thèse du suicide français ou de la démission semble plus crédible que les prophéties laissant espérer la venue d’un royaume de paix et de bonheur. Il est plus facile de « mouliner » le passé que d’inventer l’avenir.
Un œil sur l’Histoire récente donne une indication sur la fin des espérances et l’avènement d’un monde plus incertain, futile, aussi corrompu que par le passé et source de dysfonctionnements à de multiples niveaux, politique, médiatique, social, culturel, scientifique, économique. En Italie, le début des années 1990 a vu s’effondrer le règne politique des anciennes formations de notables au profit d’un univers inédit avec la ligue du Nord, les petits partis du renouveau essaimés après la fronde des juges mais surtout l’avènement du fun décomplexé et libéral incarné par Berlusconi. L’Italie qui représente une sorte de laboratoire anthropologique hypermoderne nous montre qu’un pays peut encore tenir debout après plus de 20 ans de « merdier politicien ». Et c’est à peu près pareil pour tous les autres pays européens. Comme quoi, l’effondrement rapide est une hypothèse peu probable. Mais envisageable sous réserve que les forces souterraines aient travaillé pour miner cette société aux apparences convenables. C’est la loi des systèmes critiques auto-organisés comme par exemple le tas de sable. Il suffit parfois de quelques grains pour déclencher un effondrement. Un coup de fusil à Sarajevo pendant l’été 1914…
Observons le monde. En Afrique du Sud, les ressentiments des populations déclassées resurgissent. Les étudiants noirs veulent déboulonner quelques statues du passé. Comme en Ukraine où toute référence à Lénine doit être détruite. Les fanatiques islamistes détruisent les vestiges antiques en Irak et en Syrie. Cette crispation autour des passés culturels nationaux ou civilisationnels nourrit des vénérations chez les uns et des détestations chez les autres. Le regard vers le passé est le signe de sociétés crépusculaires qui ne savent plus nourrir des espérances et des projets. Chez nous, divertissements nostalgiques, années bonheur façon Sébastien, chanson française revisitée, culte des yéyés et des années 80, valeurs traditionnelles louées façon Zemmour. Et que de commémorations de la part d’un président Hollande qui n’ayant aucun dessein pour la France se raccroche au tourisme mémorial associé aux pèlerinages macabres, regard figé face à une montagne parsemée de débris d’avions alors que dans les contrées de France, les marches blanches se répètent avec les émotions compassionnelles.
Pour l’instant les sociétés avancées semblent tenir. Un effondrement n’est pas prévu. L’instinct vital de survie et les intérêts rationnels sont suffisants pour maintenir un équilibre social sans projet collectif, sous forme d’addition d’intérêts personnels dont la satisfaction est garantie en général et inégalement pour une majorité d’individus. Les sociétés chaotiques sont pour la plupart des pays qui cumulent les déficits en structures étatiques, en justice et en économie. Les pays sous-développés sont soumis à la double peine, pauvreté généralisée entretenue par une corruption généralisée. Ces pays survivent en vivant mal.
Les sociétés avancées vivent mieux mais avec une sorte de vide spirituel que ne peuvent combler l’existence technique, le consumérisme, la croissance et les plaisirs factices. L’ouverture au monde a des avantages et des inconvénients. L’offre politique n’a rien de reluisant. Prenons la France. Le Front de gauche et le FN proposent de rétablir une France révolue qui ne peut plus revenir. On ne revient pas sur le passé même si parfois l’Histoire marche à rebours. Les partis au pouvoir, UMP et PS, n’ont pas d’autres horizons que la sécurité, la protection, la croissance et le pouvoir d’achat. Ces horizons participent d’une culture axée autour des soins apportés au corps, de la mobilisation des corps dans le système des loisirs et surtout productif et la connexion du corps communiquant aux interfaces technologiques. Bref, un idéal bourgeois actualisé qui nie la vie authentique de l’esprit, la liberté, la foi, l’amour et l’espérance. Les yeux attentifs glosent sur le déclin mais sans analyse de fond ni de propositions existentielles fondées par la lucidité.
Le désarroi contemporain se manifeste parce que la plupart des gens dorment, les uns aux commandes du système, les autres exécutants mais bien peu qui se posent des questions sur le sens de l’existence. Peut-être faut-il une secousse d’envergure pour réveiller ce monde. Nous vivons une transition, une fin de l’ère moderne mais trop peu de gens savent mettre des mots et des idées pour décrire le monde qui change et quels sont les choix décisifs. Il manque la prise de conscience bien que quelques auteurs nous avertissent des dangers et du risque à ne pas prendre de risques. Ne serait-ce que le risque de penser, de danser, de créer et d’aimer.
Ces constats conduisent évidemment à interroger les médias, leur rôle et l’intention voilée, parfois inconsciente, qui les motive. N’y il a-t-il point une sorte de perversion narcissique dans cette propension des médias à amplifier les signaux du déclin et leurs faux prophètes ? De même qu’une négligence intéressée en diffusant des pensées divertissantes tout en écartant les analyses lucides ?
L’avenir se construit en faisant émerger ce qui est invisible et semble inconcevable. Mais pour le faire, il faut voir les choses en face et interroger cette modernité qui échoue parce qu’elle n’est pas la solution. Les solutions sont en chaque homme mais la plupart trouvent des responsables ailleurs. Le capitalisme disent les gens de gauche dont le souci principal n’est pas de créer un espace public voué au bien mais de prendre un peu d’argent aux plus riches. L’Europe, la religion, les immigrés, les zélites, le réchauffement, que de coupables servis au ressentiment populiste pour éviter à chacun de voir son propre vide et de comprendre sa responsabilité. La croissance et la technologie ne sont que des fuites en avant pour combler la misère spirituelle. Les gadgets ne sont que des psychotropes à faible effet mais parfaitement légaux et même encouragé par les adorateurs de la croissance.
Le chien s’est adapté à l’homme en passent du stade de loup sauvage et prédateur vers un stade « adolescent ». Les éthologues savent en effet que le chien est un loup rendu immature par la fréquentation des maîtres et une adaptation ayant duré plus de 10 000 ans. Quelques millénaires ont fini par faire au sein des hommes une catégorie (un genre ?) d’être immatures et infantiles, parfaitement adaptés au système économique depuis la Grèce et Rome jusqu’à notre époque hypermoderne. La république et ses hommes vertueux s’est dissoute dans le carriérisme et le narcissisme. En exagérant à l’extrême, on peut dire que la société est devenue un parc animalier géré par des cadres.
La situation actuelle impose deux constats majeurs. D’abord la tendance, le volet des crises multiples et la prise de conscience que le désarroi et les mauvais penchant sont ancrés depuis deux ou trois décennies, et que cela peut continuer mais aussi qu’il se peut que des fractures se produisent, de plus ou moins grande intensité, localement ou globalement. Ensuite, une seconde prise de conscience sur l’impossibilité de revenir en arrière comme le proposent les partis souvent populistes, avec des relents nationalistes d’un mauvais effet. Mais aussi la position intenable des gestions technocratiques ancrées dans les politiques de compétition, de l’offre, dans le culte technologique, avec l’idéologie du développement durable bureaucratique et l’écologisme.
D’où la seule alternative, choisir la culture morbide, matérialiste, technocratique, ou miser sur la « vitalité » de l’esprit et le renouveau des temps à venir. Le seul choix pour l’homme se situe entre les politiques et attitudes mortifères ou bien le choix de la transcendance avec ses énergies qui érotisent (au sens de vitaliser) et sanctifient corps et âmes en insufflant un élan créateur, une aspiration au partage, une espérance dans l’inadvenu.
Une modeste confession. Je ne démissionne comme Houellebecq, je ne gémis pas comme Zemmour, ni ne reste droit face à l’effondrement de l’empire comme Onfray. Je dis mes vérités mais je ne suis pas responsable si le désert médiatique ne m’entend pas.
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