Mémoires à vif ? Détournements de mémoires
Pourquoi la France a-t-elle autant de difficultés à faire face à son histoire réelle, à assumer l’héritage tel qu’il est et non tel qu’on le souhaiterait, à remplir un vrai devoir de mémoire ? Grave question. Sans réponse facile.
Cela
vient peut-être du fait que ce pays centralisé, profondément
monarchique, s’est construit en partie sur des légendes cultivées, des
mythes transmis... Nos ancêtres les Gaulois... Clovis, roi des
Francs... Charlemagne, empereur français... La Révolution sans la Terreur et
sans l’Empire... L’Empire sans les violences... Les fausses victoires trop
célébrées, et les vraies défaites oubliées... « Parfois, confiait un jour de Gaulle à Peyrefitte, je fais semblant. Et ça marche ». Mais,
parfois, ça ne marche pas...
« Vous, les Français, me disait
récemment un ami belge, vous apprenez dès l’école à confondre idéal et
réalité, fiction et réalité, c’est l’histoire du coq qui chante même
sur un fumier... De l’emphase et du lyrisme pour les valeurs et les
principes. Des litotes et des silences pour le respect des valeurs et
des principes. Cela vous a déjà joué de vilains tours... Waterloo,
Trafalgar, l’affaire Dreyfus, Pétain, la décolonisation si difficile...
Vos difficultés intérieures actuelles viennent en partie de là. Tous
les États-nations reposent sur une sorte de mysticisme national et sur
des histoires plus que sur l’Histoire. Mais, vous, vous êtes
champions... Pourtant l’école historienne française compte d’excellents
esprits ».
Eh ! oui... Combien de temps pour reconnaître les
responsabilités françaises dans l’antisémitisme du vingtième siècle ?
Combien de temps pour dire que les « événements d’ Algérie » étaient une
guerre ? Combien de temps pour réparer (faiblement) les injustices
commises envers les « harkis » ?
Pourtant, nous avons un culte de la
commémoration, qui se manifeste quotidiennement, ou presque : les
anniversaires du jour... sont fêtés comme les saints, sans savoir à qui ils renvoient.
C’est dans ce contexte qu’il importe de replacer les débats stupides au Parlement sur les « aspects positifs » des colonisations françaises. Stupide et inadmissible, ce type de prise de positions traduites dans une loi. Il est vrai qu’il y a des précédents : quand, par exemple, le Parlement légifère sur le « génocide arménien », il se mêle de ce qui ne le regarde pas.
Les politiques doivent donner aux
historiens les moyens de faire leur travail, d’accomplir leur mission,
non leur dicter les consignes ou encore se mettre à leur
place... En l’occurrence, qui peut nier que les entreprises coloniales
françaises ont eu des effets négatifs et positifs ? Faire ressortir les uns
et les autres n’est une insulte pour personne, n’est une mise en procès
de personne. Que recherche-t-on avec cet amendement encore plus bête
que ridicule ? Une amnistie par l’amnésie ? Il n’est pas sain qu’un
pays qui a des raisons d’être fier de lui et de s’aimer (heureusement)
vive dans des mensonges entretenus. La Vérité triomphe toujours.
Qui plus est, ce double vote parlementaire apporte de l’eau au moulin
de ceux qui sombrent dans les excès inverses, il nourrit par ricochet les
raisonnements victimaires des « indigènes de la République ».
Cette irresponsabilité des législateurs n’est pas faite non plus pour
enrayer la crise, le dénigrement croissant de la démocratie
représentative.
Enfin, il est logique que ce scandale contre la
mémoire, contre l’Histoire et contre la démocratie ne facilite pas
cette « amitié » franco-algérienne, si souhaitable pour les deux pays, pour leurs peuples toujours marqués par les « feux mal éteints » de cette
guerre qui fut d’abord une guerre civile à trois dimensions : entre
Algériens, entre Français, et entre Français et Algériens.
Le « devoir de mémoire » est d’abord un devoir de mise à plat,
d’approche de la vérité, de connaissance, de savoir. Or, on confond (de
plus en plus) le savoir et le croire. Dans cette affaire, ce ne sont
pas les mémoires qui sont à vif, ce sont les détournements de
mémoire. Signe des temps...
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