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Accueil du site > Actualités > Société > Pesticides : quelle facture pour nos agriculteurs ?

Pesticides : quelle facture pour nos agriculteurs ?

Quels sont les liens entre pesticides et pathologies professionnelles ? Les populations agricoles sont-elles plus exposées ? Les craintes, les doutes, une certaine culture du silence sont autant de réactions lorsque l’on tente d’ouvrir ce dossier. Si on le voulait vraiment, collectivement, on pourrait disposer de bien plus de données... or, à part quelques certitudes, quelques pistes sérieuses qui orientent vers la nécessité de conduire des actions de prévention, il reste nos craintes, nos supputations. À qui cela profite-t-il vraiment ?

La part réelle des expositions environnementales ou professionnelles comme facteurs de risque des cancers est sans doute sous-estimée, affirment plusieurs chercheurs (1). La question du lien entre pesticides et pathologies chez les agriculteurs est d’autant plus prégnante que notre pays est le premier utilisateur de ces produits chimiques en Europe. Pourtant, nous restons un pays où le développement des enquêtes épidémiologiques est insuffisant. N’oublions pas que ces produits sont aussi largement présents dans d’autres secteurs : traitement des locaux, soins aux animaux, entretien des plantes et jardins, pharmacie humaine et animale, lutte contre les insectes...

En ce qui concerne les agriculteurs, si de nombreuses études ont montré qu’ils étaient généralement moins exposés aux cancers, on a retrouvé chez eux une sur-exposition, par rapport à la population générale, à certains types de cancers. En 2006, le Pr Goldberg, chercheur au département santé et travail de l’Institut national de veille sanitaire (InVS), avait lui-même affirmé (2) : « la plausibilité que les pesticides favorisent le développement de tumeurs cérébrales est suffisamment forte pour que des actions soient entreprises ». Enfin, on sait que les maladies neurodégénératives comme les maladies de Parkinson et d’Alzheimer semblent davantage frapper les agriculteurs. Des travaux, de grande ampleur, doivent être poursuivis, si l’on veut pouvoir répondre aux trop nombreuses questions qui restent en suspens.

(1) : Cf : Isabelle Baldi et Pierre Lebailly, spécialisés en santé et travail. Monographie, La Revue du praticien vol . 57, 15 juin 2007.
(2) Lire A part entière, 249 janvier 2006.


INTERVIEWS

"Il existe de sérieux doutes"
Jean-Luc Dupupet est médecin conseiller technique en charge des produits chimiques et phytosanitaires à la Mutualité sociale agricole (MSA), organisme de sécurité sociale de l’agriculture française.

Combien de personnes ont été reconnues en maladie professionnelle en lien avec des produits phytosanitaires ?
Jean-Luc Dupupet : Au total, à ma connaissance, il y a eu une vingtaine de reconnaissances de maladie professionnelle liées à des phytosanitaires. Ce sont des maladies hors tableau professionnel.

Que dites-vous aux agriculteurs ?
J.-L.D. : Il existe de sérieux doutes. Nous leur conseillons de faire le maximum pour se protéger et changer leurs pratiques : utiliser des tracteurs avec des cabines, ne pas traiter lorsqu’il fait chaud, lorsqu’il y a du vent, bien nettoyer ses outils, préférer le désherbage thermique. Et, surtout, lire les instructions. Les gens ne le font pas assez !
On sait aussi, qu’il existe des solutions de rechange et que l’on peut éviter d’utiliser des pesticides, tout au moins réduire leur utilisation.

À quelles difficultés vous heurtez-vous ?
J.-L.D. : Le problème c’est que nos affiliés sont polyexposés : produits phytosanitaires, biocides, mycotoxines, ils sont en contact avec des animaux parfois malades, ils utilisent des peintures, des solvants, respirent les gaz d’échappement de leurs
tracteurs, vivent sur place... Dans l’arboriculture, on utilise parfois jusqu’à 100 produits différents par an. Heureusement les produits qui sont aujourd’hui utilisés, ne
sont plus dans les catégories les plus dangereuses selon l’Union européenne, qui, il est vrai, est moins sévère que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et le Centre international de recherche sur le cancer (Circ). Ils sont désormais dans la catégorie
3 : substances préoccupantes mais sans certitude. Notre problème, c’est que l’on manque de signalements sur les intoxications existantes. Il faudrait que nos affiliés aient le réflexe de nous joindre (1) lorsqu’ils ont un accident.

Les agriculteurs restent malgré tout très secrets...
J.-L.D. : Certains se méfient de la MSA et préfèrent ne pas trop déclarer d’accident ou de problème. On nous en veut parfois de soutenir des démarches qui conduisent à abandonner tels ou tels produit ou pratique. Certains déplorent des pertes de
récoltes. L’économique semble primer sur la santé…

(1) : 0 800 887 887


"Il faut multiplier les études !"
Pierre Lebailly est chercheur au Groupe régional d’études sur le cancer, université de Caen/Basse-Normandie.

Vous travaillez sur le lien entre cancers et monde agricole, que sait-on aujourd’hui ?
Pierre Lebailly : Globalement, on trouve moins de cancers chez les agriculteurs. Mais sur certains types de cancers (hémopathies malignes, cancers de la prostate, tumeurs cérébrales, cancers de la peau) on a remarqué une sur-exposition par rapport à
la population générale. Ces cancers sont le plus souvent retrouvés chez des agriculteurs qui utilisent des pesticides. Voilà ce que l’on sait aujourd’hui en France. Mais on est absolument incapables de préciser à quel type, ou famille, de
pesticides on doit se référer. Aussi, une étude comme Agrican, que l’on mène aujourd’hui (1) doit nous aider à préciser certaines pistes. En attendant, nous participons à des actions de prévention. Il faut prendre en compte le fait que nombre d’utilisateurs de pesticides ne vont pas changer du jour au lendemain.
Il faut donc les aider à les utiliser en diminuant au maximum les risques. Là où il existe des solutions de rechange, il faut les leur proposer.

Selon vous, le nombre de cas de cancers est sous-estimé...

P.L. : On sait que les cancers professionnels sont généralement sous-déclarés pour de multiples raisons. Des lobbies font pression. Les vendeurs de pesticides notamment ont évidemment intérêt à écouler leurs produits, et les organisations agricoles
ne se sont pas toujours montrées enthousiastes pour monter des études, notamment par crainte d’inquiéter leurs adhérents.

La question des pesticides et de la nourriture ne vous inquiète pas ?
P.L. : De mon point de vue de chercheur, je suis plus inquiet pour les agriculteurs et leur exposition aux produits, que pour notre nourriture, en l’état actuel des connaissances. En France, on ne dispose pas d’assez d’informations sur la
nourriture, comme aux USA, pour affirmer quoi que ce soit. On produit des annonces péremptoires et, dans le même temps, par exemple on a dû patienter jusqu’en 2002 pour retirer le seul pesticide unanimement reconnu comme cancérogène :
l’arsenic. Et vous savez quoi ? Il entre encore dans la composition d’appâts anti-fourmis pour le grand public ! À des doses si faibles, dira-t-on, aucun risque ! En étant cynique, on ne prouvera, en effet, jamais qu’un cancer peut se développer
en lien avec ces appâts ni chez leur utilisateur, ni chez les quelques dizaines de salariés qui les conditionnent...
Avant d’affirmer des choses, il faudrait lancer des études approfondies dans les foyers pour affiner nos connaissances sur ce que les gens utilisent comme produits. Et si l’on retrouve des pesticides, savoir d’où ils proviennent vraiment.

Quelles sont nos lacunes ?
P.L. : Quand on a commencé nos études épidémiologiques, au début des années 90, il y avait zéro contribution (pas de données publiées et quelques rares études en cours) de la part de la France et pourtant nous sommes un pays qui utilise beaucoup
de pesticides. Nous avons pu lancer les nôtres grâce à des associations caritatives (Ligue et Arc dans le cadre du pôle de recherche dont la FNATH était également partenaire) ou Fondation de France. L’État, les collectivités locales n’étaient
pas intéressés par ces études. C’est une question de culture, de réflexe scientifique...


Pesticides
Produits destinés à lutter contre les nuisibles, insectes (insecticides), moisissures (fongicides), végétaux (herbicides). Dans le domaine de l’agriculture, on les appelle produits phytopharmaceutiques (ou phytosanitaires). Dans le langage courant le terme pesticide est généralement associé à un usage agricole de ces substances, or le terme générique englobe également les usages domestiques, urbains, de voirie…
Les résidus de pesticides constituent aujourd’hui un véritable problème de société, remarque l’Observatoire français des pesticides. Depuis près de cinquante
ans, ils ont été mis en évidence dans tous les compartiments de l’environnement, dans les eaux des rivières et des nappes phréatiques, dans l’air et dans
les eaux de pluie. On les rencontre aussi dans les fruits, les légumes, les céréales et les produits d’origine animale.
L’exposition humaine à ces substances est aujourd’hui réelle : ainsi, une étude conduite aux États-unis montre que des résidus de pesticides sont retrouvés dans le sang, les urines, les tissus adipeux, certains organes et même le lait maternel. Peu
ou pas d’études de ce type, ont pour l’instant été conduites en France ou en Europe.
http://www.observatoire-pesticides.gouv.fr/

Expositions
La France (données 2007) est le quatrième utilisateur mondial en quantité de pesticides utilisés, avec près de 80 000 tonnes de pesticides (ou produits phytosanitaires) utilisées chaque année en milieu agricole, auxquels s’ajoutent les produits à usage domestique ou de loisir. La viticulture à elle seule épand 18 %
des pesticides sur 3 % du territoire… La population exposée atteint plus d’un million de personnes (familles comprises) employant environ 150 000 salariés
permanents. Les produits sont divers avec 9 000 produits pesticides commercialisés dans le monde actuellement (ou par le passé) ce qui représente environ 900 substances actives.


En savoir plus : dossier complet paru dans le journal de la FNATH, A part entière.


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10 réactions à cet article    


  • Daniel Roux Daniel R 27 février 2009 20:04

    J’ai eu l’occasion de converser avec une institutrice des environs de Béziers. Elle s’étonnait du nombre extravagant d’enfants attardés mentaux dans les classes des zones agricoles intenses.

    Il n’y a pas d’enquête parce que les résultats sont redoutés par les pouvoirs publics beaucoup trop liés à l’industrie chimique.

    Pour mémoire, souvenez vous de la lettre criminelle de Chirac, Blair et Schroder à la Commission Européenne afin de retarder la sortie de la directive REACH obligeant les industriels à tester leurs molécules. Ils prétendaient que le coût et les résultats de ses tests pénaliseraient l’industrie européenne sur le marché mondial.

    Sont-ils seulement humain ces gens-là ?


    • antyreac 28 février 2009 15:02

      On le voit surtout un peu plus tard quand ils s’essayent sur AV

      Pauvre France


    • Daniel Roux Daniel R 28 février 2009 17:10

      Papa, c’est toi ?


    • Romain Desbois 1er mars 2009 18:36

      Le Probème est que reach risque d’être un grosse mascarade, à partir du moment où l’on refera les mêmes erreurs de tests sur animaux avec un coût tel que déjà on ne propose plsu que de tester un dixième des molécules initialement prévues.
      Des chercheurs se battent pour que des méthodes alternatives soient utilisées (plus efficcaces, plus rapides et moins coûteuses), tel que le prévoit d’ailleurs la loi européenne.
      Mais des Pécresses, des Bachelots et des Barniers lobbystes notoires s’y opposent.

      Lire
      Reach les chercheurs ? Pas tous !


    • Pierrot Pierrot 28 février 2009 10:22

      à @ l’auteur Luton,

      Il est exact que pendant longtemps les enquêtes épidémiologiques étaient rares en France.
      La déonthologie médicale s’opposait à la diffusion des maladies des patients (voir affaire Mitterrand/Dr Gruber).

      Par contre dans les pays du nord de l’Europes la santé, le salaire, la vie privée, les maîtresses, les enfants, lieux de vacances etc. de chacun sont largement diffusés et ne choquent pas ou peu.

      Cependant cela a bien changé en France où les études épidémiologiques deviennent fréquentes depuis quelques années.

      Cependant, pour examiner une éventuelle relation entre l’utilisation de produits phytosanitaires (parfois appelés à tort pecticides) et la santé, il convient d’examiner les études réalisées dans le monde entier.
      Les USA sont le principal utilisateur de ces substances et publient.

      Il ne faut donc pas se contenter des seules études en France.

      Par contre des témoignages comme celui de l’institutrice est trop partielle et subjectif.
      Il faut des témoignages de grandes ampleurs de médecins, toxicologues pour être sérieux.

      Bonne journée.


      • karg se 28 février 2009 14:08

        En manipulant les produits, encore trop souvent sans protections, les agriculteurs sont de loin plus contaminé que les consommateurs. Les effets de ces pratiques à risques sont très largement sous estimé. Si des études épidémiologique sont publiées, ça sera un scandale. Les agriculteurs ont vraiment manqué de rigueur dans la manipulation et l’emploi de ces produits, aujourd’hui encore ça reste difficile d’imposer des bonnes pratiques dans toutes les exploitations.


        • K K 28 février 2009 14:17

          Dans la famille, il y a deux couples d’agriculteurs qui ont passe la soixantaine. Sur les deux coouples, il y a 3 cas de Leucemie. Or ce sont les seuls cas sur deux familles nombreuses. Soit 75 % des personnes malades alors que dans le reste de la famille, il n’y a pas d’autres cas de cancers ou Leucemie.
          C’est une sacree anomalie statistique (bon ok, l’echantillon etant faible etc...) ! On peut en tout cas exclure le caractere hereditaire de ces cas de Leucemie. Selon les medecins : il n’y a pas de preuve que ce sont les produits utilises pour le travail qui sont en causes. Bon je veux bien, mais j’ai un peu l’impression qu’ils prennent les gens pour des cons (comme ca je place le mot a la mode ces jours ci sur Avox)


        • antyreac 28 février 2009 15:09

          Le plus dingue dans l’histoire ce que les français vivent de plus en plus longtemps alors qu’ils devraient mourir en masse comme des mouches .

          Que font les pouvoirs publics, que fait l’armée ,que fait la police .

          Allons enfants de la patrie , le jour de gloire est arrivée...(sans trop se pressé quand même)


          • K K 28 février 2009 17:39

            Il y a de moins en moins d’agriculteurs aussi smiley


          • lineon 28 février 2009 17:20

            bon alors si j’ai compris cancers et autres maladies sont a l’étude . Si on demandais aux abeilles et autre petits habitants de nos chères campagnes pourquois ils disparaissent si rapidement ? Et nos agriculteurs subventionnés qui s’empoisonnent eux memes pour plus de fric , ignorent ils vraiement les risques et leurs conséquences ?

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