Une méthode, ou des méthodes de lecture
Le ministre Gilles
de Robien est parti en campagne depuis la rentrée dernière pour dénoncer et
interdire la méthode de lecture dite « globale », inspirée
des travaux de Célestin
Freinet, et pourchasse ceux des membres de l’Education Nationale soupçonnés
de l’appliquer ou de la défendre. Pourtant, cette méthode semble être abandonnée depuis longtemps,
au profit de la méthode « syllabique » (le fameux b-a, ba, pourtant largement inadapté à la
langue française), ou plutôt d’une troisième méthode, peut-être plus expérimentale,
en tout cas plus adaptée à la réalité d’une classe et de ses élèves.
Pour tous, défenseurs ou non de la méthode syllabique, il
s’agit là avant tout de la part du ministre d’un « coup politique » pour
tenter de se gagner les faveurs populaires, quitte à se mettre à dos une grande
partie du monde de l’éducation. Et de fait, cette décision a fait grand bruit,
et depuis quelques temps, la guerre entre les partisans
du tout syllabique et les autres semble à nouveau ouverte. Semble, car il
ne faudrait pas perdre de vue que la méthode « globale » est abandonnée depuis
longtemps, et que de toute façon, elle n’a jamais eu cours, sous
une forme pure, que de manière très limitée, et dans le temps, et en considération
du nombre d’enfants concernés.
Toujours est-il qu’une association a vu là l’occasion de se
mettre en avant, en appelant les parents, sinon à « dénoncer » les instituteurs
soupçonnés d’avoir recours à une méthode de lecture sinon globale ou semi-globale,
du moins à se montrer vigilants, et à ne pas déléguer aveuglément aux
instituteurs de leurs enfants la capacité de leur apprendre à lire, et encore
moins la capacité de juger de la méthode moderne la plus appropriée pour leur
classe, ces méthodes
laissant même à désirer d’un point de vue strictement éducatif.
Pourtant, les différents travaux consacrés à l’apprentissage de la
lecture, et un peu de bon sens, laissent penser qu’il n’existe pas une méthode
unique, valable de tout temps et pour tous les enfants, comme on peut s’en
rendre compte à travers l’expérience
d’un instituteur qui passe en revue les différentes méthodes de lecture, en
pointant pour chacune d’elles ses limites ou ses défauts, ou encore en se
penchant sur des méthodes « alternatives » d’apprentissage de la
lecture, comme la méthode
gestuelle mise au point par Suzanne Borel-Maisonny, qui associe gestes et
sons.
Si la méthode syllabique a fait ses preuves depuis
longtemps, ce n’est pas pour autant qu’elle ne peut pas être « améliorée » en
lui intégrant un zeste de méthode globale : cela est sans doute plus adapté pour
certains enfants, en particulier les plus avancés ou les plus motivés, et leur
permet d’aller plus vite.
En effet, les atouts de la méthode
syllabique sont indéniables, de l’aveu même d’une institutrice : elle permet
aux enfants de constater jour après jour leurs progrès, elle leur permet de comprendre
ce qu’ils apprennent, et, jusqu’à un certain point, d’être maîtres de leur
apprentissage ; elle est progressive, se décomposant en étapes distinctes, et
n’est pas discriminatoire vis à vis des enfants dépourvus de mémoire visuelle. Autre
avantage, non négligeable, elle est facile d’accès, et offre aux parents désireux
de répondre aux sollicitations de leurs enfants en matière de lecture, la
possibilité de les « débrouiller » de manière progressive, au rythme de chacun,
jusqu’à ce que l’enfant sache complètement lire de manière autonome, ou jusqu’à
ce qu’un instituteur prenne le relais, sans risque d’incompatibilité de méthode
avec celle choisie par l’instituteur.
Cela dit, et en particulier pour les enfants les plus
rapides ou doués de mémoire visuelle, le recours à quelques éléments de méthode
« globale » peut s’avérer utile et permettre d’accélérer les apprentissages : ainsi,
certains mots-outils (« un », « les », « des »...) n’ont pas besoin d’être décomposés
à chaque fois, il suffit que l’enfant les photographie mentalement et soit
capable de les reconnaître dans une phrase. André Rouillé met
d’ailleurs en avant l’importance d’accompagner l’apprentissage de la lecture
des textes par un apprentissage de la lecture des images.
En fait, aujourd’hui, la méthode de lecture la plus utilisée
dans les écoles semble n’être ni la syllabique, ni la globale, ni même la semi-globale,
mais une autre, alternative, « intégrative », comme
propose de la nommer Roland Goigoux, directeur d’un laboratoire de
recherche sur l’enseignement. Cette méthode, ou plutôt ces différentes méthodes
s’appuient sur les résultats des travaux de recherche sur l’apprentissage de la
lecture, et prennent en comptent le phénomène complexe
qu’est la lecture, comme le rappelle Jean Foucambert, chercheur à l’INRP (Institut
national de la recherche pédagogique). On peut d’ailleurs légitimement penser
que les résultats de ces travaux transparaissent dans les programmes, et
justifient leur évolution.
De plus, plutôt que de se quereller sur la méthode de
lecture, encore faudrait-il savoir ce qu’on entend par
savoir lire : déchiffrer un ensemble de lettres ou de syllabes, en
comprendre le sens, ou, plus ambitieux, mais plus précieux, acquérir le goût de
la lecture. Et, pour cela, si la méthode peut participer, elle ne fait pas tout.
Une méthode à elle seule, quelle qu’elle soit, ne transmet pas le goût de lire,
elle ne s’adapte pas à son public, à son rythme et à ses goûts, à sa sensibilité.
C’est là la véritable mission de l’instituteur. Bien sûr, les familles ont aussi leur
rôle à jouer. Mais pour qu’ils remplissent au mieux cette mission, il est
indispensable de faire confiance aux instituteurs, c’est eux les mieux placés
pour savoir avec quelle
méthode ils seront les plus aptes à donner ou à transmettre le goût de la
lecture aux enfants, et non pas seulement à les faire ânonner un texte, en
fonction de leur sensibilité et des différentes périodes de l’apprentissage.
Ne fonçons pas tête baissée dans un faux débat aux intérêts
purement politiques de quelques-uns, c’est là notre intérêt et celui de nos
enfants...
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