Le code épigénétique se transmet et module le texte génétique

La thèse canonique de l’hérédité génétique pourrait être amendée. La conception héritée de Mendel et perfectionnée par la génétique contemporaine place le gène comme élément central des mécanismes permettant aux phénotypes de se transmettre de génération en génération. Il est de plus admis que les mutations géniques participent au moins aux processus d’adaptation des espèces, permettant à celles-ci d’acquérir des transformations phénotypiques les rendant aptes à se perpétuer dans un environnement instable. La spéciation échappant pour l’instant à une explication claire. L’évolution du code génétique est accessible à l’investigation et les résultats ne manquent pas. Cependant, la conception génocentrique est de plus en plus contestée et c’est dans ce contexte paradigmatique qu’une étude vient de remettre en cause un autre aspect de la génomique, celui de l’hérédité liée exclusivement au code génétique. Plus précisément, c’est le code épigénétique qui vient d’être analysé avec une étude poussée utilisant un modèle de plante bien connu, Arabidopsis thaliana, l’équivalent végétal du rat de laboratoire.
Joseph Ecker et ses collaborateurs du Salk Institute ont confirmé la place des mécanismes épigénétiques et plus spécialement, ont découvert une importance déterminante de ces mécanismes dans la transmission de traits spécifiques à travers les générations de plantes. Ce qui signifie que les processus épigénétiques interviennent non seulement dans l’ontogenèse mais aussi dans la transmission de caractères. Autrement dit, l’hérédité repose sur deux couches d’information se superposant et se complétant, celle du code génétique avec les quatre bases, ACGT, et celle du code épigénétique qui plus précisément, repose sur la méthylation de la cytosine. D’où le concept d’épiallèle désignant ces séquences méthylées fidèlement véhiculées lors des méioses successives. Le principe de cette hérédité épigénétique s’explique avec l’image d’un livre amené à être copié d’année en année pour servir par exemple de manuel. Imaginons que certaines phrases du texte soient ou bien surlignées ou bien masquées. On s’aperçoit alors que les dizaines de copies successives contiennent elles aussi ces mêmes phrases masquées. Les plantes se reproduisent en héritant des méthylations effectuées sur certaines séquences riches en paires CG. C’est ce que confirme cette étude menée par les chercheurs de Salk qui évoquent des allèles dus à la méthylation de l’ADN et susceptible d’engendrer des variants phénotypiques.
Parue dans Nature, une autre étude conduite par Detlef Weigel du Max Plank Institute concerne également le sort transgénérationnel des méthylations de l’ADN et confirme les travaux de Ecker menés sur la plante Arabidopsis thaliana, tout en apportant des précisions importantes. Il se confirme que les zones méthylées ne sont pas distribuées au hasard et sont en relation avec la présence ou l’absence de transposons. Mais le plus intéressant, c’est le constat d’une réversibilité de ces modifications épigénétiques. Avec 30 000 épimutations pour 30 générations, on s’attend à mesurer 1000 épimutations par génération, or, le nombre obtenu est trois à quatre fois plus élevé. On en déduit alors qu’une bonne proportion de ces méthylations sont effacées. Si donc le code épigénétique est une sorte de texte qui vient biffer le code génétique de l’ADN, alors, cette modification est annulée, un peu comme un brouillon surligné d’un texte, puis retournant à son état initial. Le rôle de ces méthylations est bel et bien de modifier le texte génétique. C’est ce qu’on peut déduire avec le constat d’une méthylation dix fois plus élevée sur les séquences d’exons, par rapport aux introns. La transcription des gènes est donc sensiblement modifiée puisque l’épissage est altéré par les méthylations.
Weigel conclue son étude en réfléchissant sur l’impact des modifications épigénétiques dans la perspective de l’évolution. Il mentionne à la fin de son papier l’observation d’une zone méthylée conservée sur 30 générations puis effacée d’un seul coup, à la 31ème génération. Ce constat permet de relativiser l’importance du levier épigénétique dans l’évolution et la transformation des phénotypes. Weigel fait en effet remarquer que si les mutations épigénétiques sont instables et souvent réversible, ce n’est pas le cas des séquences génétiques qui elles, ne reviennent qu’exceptionnellement en arrière. Le code épigénétique serait alors un élément permettant à une espèce de se doter d’une plasticité adaptative sans remettre en question le texte génétique. La nature semble avoir inventé des mécanismes d’une subtilité défiant les prouesses humaines en matière de technologie.
Au final, d’intéressantes questions sont posées avec ces recherches. Sans doute, le code épigénétique n’est pas un ressort de l’évolution mais il explique certains phénomènes sortant du cadre de la génétique mendélienne comme le suggère Ecker, évoquant non seulement le modèle végétal mais aussi des cas d’obésité observés chez la souris, liés à des modifications épigénétiques transmises de génération en génération, alors que le code génétique ne varie pas. D’autres observations sur des jumeaux montrent des différences de traits phénotypiques laissant soupçonner l’intervention de modifications épigénétiques. En résumé, la nature est inventive et plastique et l’on connaît l’un des ressorts fondamentaux de cette plasticité phénotypique. Alors qu’à l’inverse, le code génétique serait sanctuarisé afin de conserver un texte biologique qui représenterait une mémoire à très long terme de l’évolution. Ces travaux suggèrent en plus un changement de stratégie dans l’étude des pathologies, en prenant notamment une distance avec ce génocentrisme amenant les scientifiques à traquer frénétiquement les mutations du code génétique. Il se peut bien que les généticiens se soient fourvoyés depuis quelques décennies.
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