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Commentaire de Argoul

sur L'éternelle tentation communiste


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Argoul Argoul 15 mai 2008 10:37

Beaucoup de choses dans ces commentaires plutôt intéressants. Comme il est difficile de tout dire dans une note déjà longue, je me suis sans doute pas très bien exprimé.

1/ J’ai pris la référence d’hier (avant la chute du Mur) justement parce que "les systèmes" avaient l’air plus clairs. C’était binaire : dictature mais socialiste - ou libertés mais anarcho-capitaliste (pour faire bref).

2/ Or tout change. Aujourd’hui, c’est plus compliqué parce qu’un système (appelé "communiste" mais qui se disait "socialiste") a clairement échoué : exode massif dès le Mur ébréché, catastrophe écologique de la mer d’Aral, technologique de Tchernobyl, dégradation constante du niveau de vie (remontée de la mortalité infantile, alcoolisme, hôpitaux vétustes, etc.). L’autre système (capitaliste-libéral) a évolué : il est passé de l’Etat-providence (vieille nostalgie sur laquelle joue Besancenot) à la déréglementation (tirée par l’innovation technologique notamment en portables-internet-télécom et poussée par l’incapacité à juguler l’inflation dans les années 1980, donc la répartition des fruits de la croissance).

3/ Face à toute réalité naît toujours une utopie. C’est humain, donc normal. C’est pourquoi les religions renaissent. L’idéal "communiste" (jamais réalisé) aussi. Zinoviev l’appelle "communautariste" mais je n’ai pas voulu reprendre ce terme, connoté autrement en français (l’égoïsme des identités particulières de certains groupes). L’idéal communiste a été rationalisé par Marx mais vient de la plus haute antiquité (voir les Iles du Soleil de Diodore de Sicile). Le problème de Marx est que, s’il voyait "scientifiquement" une évolution à l’oeuvre dans les sociétés, il ne croyait pas possible un passage au communisme idéal sans forcer un peu les événements. Mais ça le gênait, c’est pourquoi il situait le communisme "véritable" sans l’Etat (dépérissement) dans un avenir très lointain. Il n’a donc pas analysé le passage. Il sentait bien (Lénine s’est engouffré dans la brèche) que la contrainte "de classe" engendrerait quelque chose comme une dictature, qu’il ne pensait cependant que comme un Bismarckisme un peu plus fort. Il se trouve que, dès que vous créez des conditions, la nature humaine reprend le dessus et que le pouvoir est une tentation trop grande pour le laisser aux autres ou même le partager... D’où le communisme "réalisé" (l’URSS des derniers temps brejnévien se disait quasiment à ce stade, limité encore par les Etats nations, mais un soviétisme planétaire aurait été "le vrai communisme" pour les Russes).

4/ Le propre du sociologue est de dégager des types abstraits de relations sociales. Guy Bensimon caricature donc deux types sociaux : le communautarisme (communisme) et le capitalisme (fondé sur le droit et le marché). Il affirme (avec raison) qu’il n’existe pas d’économie sans société (donc sans motivations qui viennent d’ailleurs que l’argent, et jamais sans règles...). Dans la société de type communiste, ce qui compte est la communauté (et ce qui va avec : l’égalitarisme, donc la contrainte d’en haut pour le réaffirmer à chaque individu génétiquement différent des autres...). Dans la société de type capitaliste, ce qui compte est la liberté de l’individu (et ce qui va avec : son insertion dans la société via le débat, le droit, l’entreprise). Dans le système capitaliste, c’est l’économie qui permet le pouvoir (via la richesse), dans une société communiste c’est la cooptation (le bon plaisir politique, donc le respect de la ligne de ceux qui vous cooptent). Il s’agit de "modèles", nés historiquement, avec des traits propres. Aucune société réelle ne correspond tout à fait à un modèle-type. Il y a eu différentes sortes de communautarisme-commmunismes ; différentes sortes de capitalismes.

5/ Dans toute société complexe (qui va au-delà de la cité grecque de 10 000 habitants !), il y a obligation d’organisation (en gros l’Etat) et exigence de libertés (au pluriel, en gros la société civile). C’est cette dialectique entre la contrainte d’organisation et l’épanouissement individuel qu’il faut socialement gérer. Cela reste toujours (et aujourd’hui encore) à inventer.

6/ Et il n’y a pas forcément "progrès" : on est passé de la démocratie citoyenne grecque à la dictature romaine, puis à la féodalité, avant que la méthode scientifique (qui a détaché des dogmes religieux), les grandes découvertes (qui ont permis l’ouverture d’esprit et les échanges commerciaux de denrées rares, donc l’enrichissement de quelques-uns), ouvrent la voie à la fin du racisme aristo pour la reconnaissance sociale des mérites (le concours des talents plutôt que le bon plaisir du roy fondé sur la naissance). Le défi d’aujourd’hui est de reconnaître que nous ne resterons pas longtemps les "aristos" du pouvoir économique et politique mondial (tiers monde émergent, y compris en Amérique latine), que le développement de la science nous oblige à voir que la planète souffre de nos exploitations et orgueils, et qu’enfin nous sommes tous embarqués sur la même terre. Les Etats-nations subsistent (étant donné l’émergence du tiers monde, ils vont subsister longtemps, par fierté) - le communisme idéal reste donc impossible tant que ça durera. Le capitalisme a toujours évolué, il s’adapte à la nouvelle donne et s’adaptera aux contraintes écologiques (qu’elles viennent des Etats ou des opinions, l’un n’allant pas sans l’autre d’ailleurs). Reste à analyser le présent et à pousser le système dans la "bonne" direction. Quelle est cette "bonne" direction ? Comme elle ne vient pas toute armée de la bouche d’un archange, messager d’un Dieu extérieur, force est de débattre entre nous pour le savoir. Nul ne détient "la vérité" sur ce qui serait "bon" pour tous. Les Chinois, les Venezuéliens, les Suédois, les Bantous ont d’autres idées que "nous" Français-occidentaux-animés-de-bonnes-intentions pouvons avoir. Il faut aussi le reconnaître.


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