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Commentaire de abelard

sur Le psychisme et la crise


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abelard 7 août 2008 17:05

Merci pour votre article Liliane.

Les commentaires des agoranautes, pour la plupart, laissent augurer de la venue de temps meilleurs, la fin du massacre des innocents.

Je crois que personne, au fond, même Michelle, ne conteste le constat. C’est évidemment sur le problème des solutions que le raisonnement achoppe. Permettez moi d’apporter sur ce point mon petit grain de sel au débat, au risque d’être long.

Lorsque dans la vie d’un être humain contemporain survient la question cruciale : « A quoi bon me tuer au travail ? Est-ce qu’au fond l’obtention d’un écran plat, d’une puissante limousine, d’une résidence secondaire, d’un poste plus élevé dans la hiérachie sont des objectifs suffisants pour justifier la ruine de ma santé, de ma joie d’être au monde, de mes relations avec ceux qui m’entourent et que j’aime ? » alors, parce qu’il faut commencer par le début, se pose en corollaire la question fondamentale : « Qu’est-ce que la Vie ? Qu’est ce qu’être un Humain ».

Les réponses à ces questions ne sont pas simples, elles se sont toujours posées. Néanmoins on peut distiguer deux pistes majeures de réflexions.

- La vie nous a été donnée par une puissance supérieure. C’est ce que nous nommons la vision idéaliste. C’est la voie utilisée par toutes les religions. Les passer en revue n’est ni de mon intention, ni de ma compétence. Mais en se concentrant sur les monothéismes dominants on peut dégager des points communs qui se déclinent en termes d’avantages et de désavantages. Le soulagement d’un croyant est immédiat : il n’a qu’à obéir, suivre les préceptes d’’écritures révélées, chaque conflit trouvant sa solution dans l’interprétation de quelques lignes de la Bible, du Coran ou de la Torah. Mais cette « sécurité » se paye au prix fort, celui du renoncement à la vie. En effet, les trois monothéïsmes font une promesse que nul ne pourra jamais vérifier, celle d’un Paradis après la mort. Par un retournement paradoxal seule l’éternité de la mort intéresse ces religions. La vie ici-bas n’étant au choix qu’une « vallée de larmes », une ère de souffrance à laquelle l’homme a été condamné en châtiment de ses péchés, une période courte et probatoire pendant laquelle il convient de se soumettre pour mériter le Paradis. Adopter une telle croyance revient à souhaiter mourir. Il n’est pas question ici de laisser entendre qu’il est plus facile d’être croyant qu’athée. Après tout, les choix que l’on dit individuels dépendent aussi en grande partie d’une histoire, d’un milieu et des émotions de chacun, d’autant que les religions proposent un « prêt à penser » pafois bien utile en cas de crise grave. Je ne voudrais faire injure à qui que ce soit. Mais le trait du renoncement à la vie est le soubassement des trois grandes religions il faut en avoir conscience. Cette manière de voir le monde imprègne profondément nos sociétés occidentales et nous empêche souvent de connaitre les véritables causes de nos actions. Si on adopte ces idées, alors le sacrifice de sa vie est souhaitable, la souffrance se trouve valorisée comme des points de mérite à négocier après la mort. Cette notion de sacrifice est centrale dans les religions judéo-chrétiennes et se perpétue de façon inconsciente même chez ceux qui ont renoncé à croire au Paradis. Ceux là disent se sacrifier pour leurs enfants ! Ce qui revient exactement au même car la descendance n’est vue que comme la continuation de sa propre existence, une projection dans l’immortalité qu’il convient de préparer matériellement.

- La vie est une probabilité due à certaines caractéristiques de la matière. C’est la réflexion matérialiste. De même que la vision idéaliste est née dans la Grèce antique avec Platon, la version matérialiste du monde tire ses origine du terreau héllènistique à travers les écoles épicuriennes, cyniques, hédonistes... (ce n’est pas sans trembler que j’écris ces mots là. Epicurien, cynique, hédoniste... Combien d’entre vous risquent d’arrêter là leur lecture, me considérant aussitôt comme un débauché immoral, aviné et jouisseur. C’est que nous sommes en face d’un des plus grand mensonge de l’histoire. Le sens négatif que l’on attribue aujourd’hui à ces mots n’a rien à voir avec les doctrines philosophiques initiales). Dés ses début, cette vision laisse de côté la question de la naissance de l’humanité considérant que l’existence des Dieux est possible mais non pertinente. Pour Epicure, par exemple, les Dieux vivent en dehors du monde et ne s’occupent que d’affaires de Dieux. Il ne convient donc ni de les craindre, ni de s’en préoccuper. L’important pour l’être humain est de prendre conscience de la vie qui est en lui pour tenter de l’accomplir dignement. Pour Epicure encore, et l’on comprend alors pourquoi les écrivains catholiques descendants de Platon se sont acharné sur lui, l’important consiste à éviter le mal absolu : la souffrance. C’est cela l’épicurisme : considérer que le souverain bien n’est pas la jouissance, mais l’absence de souffrance. Pour éviter au maximum la souffrance, Epicure classe les besoins humains en trois catégories :

Les besoins naturels et nécessaires : boire, manger, dormir.

Les besoins naturels mais non nécessaires : faire l’amour. (Eh oui, Epicure prône l’abstinence ! Mais il reconnait aussi le sexe comme un besoin naturel. Pour lui toute sexualité n’est pas interdite, loin de là, mais il convient de s’en méfier car les passions sexuelles peuvent amener la souffrance. Comme le résumait Diogène « La question n’est pas de savoir s’il faut entrer ou non dans un bordel... Mais de pouvoir en sortir. »)

Les besoins ni naturels, ni nécessaires : recherche de l’argent, du pouvoir, des honneurs, de la gloire etc... Ce sont eux les sources de la souffrance qu’il faut bannir absolument si l’on veut vivre libre et digne.

Pour terminer ce misérable petit exposé sur le matérialisme j’ajouterai que c’est en grande partie à ces philosophies que nous devons le trait caractéristique des sociétés occidentales : l’explication du monde par le raisonnement scientifique.

Je veux rassurer ceux qui ont survécu jusque là à la lecture de mon pensum. Je n’ai pas perdu de vue l’objectif initial : essayer d’apporter des solutions à ce que nous sommes de plus en plus nombreux à voir comme la folie du monde contemporain. Je pense simplement qu’une véritable révolution ne peut qu’être celle des consciences. C’est en changeant notre façon de voir le monde que nous ferons réellement bouger les choses. La philosophie antique alliée aux réflexions d’origine scientifiques actuelles (Darwinisme, neuro-sciences, psychologie évolutionniste etc...) sont des clefs d’accès privilégiées à la redécouverte du monde tel qu’il est et non pas tel que certains nous le font cauchemarder.

Pour vous épargner le long cheminement de ma réflexion, j’en viens maintenant aux conclusions, quitte à développer chaque point en fonction du débat.

- Chaque vie est unique et possède une valeur infinie.
- Il n’y a rien à craindre de la mort qui n’est que la condition de la vie.
- L’homme est un animal social au même titre que la plupart de ses cousins, les grands singes.
- Il n’y a pas de nature humaine fixée une fois pour toute. Il n’y a pas d’opposition non plus entre nature et culture. L’homme ne se définit pas par rapport à la nature, il en est l’une des composantes.
- Chaque homme est en naissant le produit le plus perfectionné de l’évolution.
- Les inégalités entre individus ne sont dues qu’à des traitements sociaux qui en viennent, suivant les circonstances, à valoriser certaines « qualités » au détriment de toutes les autres.

Nantis de ces quelques idées, nous pouvons maintenant avancer vers quelques solutions possibles.

La première des choses, lors de l’éveil (pour parler comme le Bouddha), de la prise de conscience d’appartenir au monde, est de se débarrasser des faux rêves liés aux besoins ni naturels, ni nécessaires. On s’apercevra alors que la consommation ne repose que sur une idiotie sociale : entre nous, la possession d’un écran plat n’apporte rien en terme de bonheur, on ne l’achète que parce que les voisins en ont un ou parce que les voisins n’en ont pas encore.

Ne jamais laisser le travail prendre le pas sur le métier. Certains des messages de ce fil opposent avec raison ces deux termes. Le métier est ce que nous avons appris à faire et que nous perfectionnons inlassablement au fil de notre vie. En ce sens le métier est un chemin de l’existence, une voie vers la vie heureuse, une façon, par un geste répété et réfléchi d’aller peu à peu vers l’essentiel. C’est exactement ce que la tradition japonaise honore à travers ses « trésors humains » : des artisans émerites capables, à force d’amour et de labeur d’évoquer l’énergie vitale dans un simple objet ou dans une séquence de vie quotidienne banale (servir le thé). C’est pourquoi la vision « moderniste » du salarié du futur, passant au cours de sa vie d’un métier à un autre, est une de ces horreurs qui visent à faire de nous des esclaves.

Se dire que l’entreprise n’est qu’une société en miniature. Nous avons, au fil de notre histoire, déterminé le mode de gouvernement que nous jugeons le plus approprié : la démocratie. Or l’entreprise n’est justement pas une société démocratique, c’est une tyrannie dans laquelle le manager a droit de vie et de mort économique et social sur chacun des salariés. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si les crapules qui nous gouvernent aujourd’hui nous vantent le modèle entrepreneurial comme devant être celui de la nation toute entière. Ils rêvent de se débarrasser de la démocratie. Il nous appartient à tous non seulement de défendre ce bien commun, mais encore de l’étendre. Par l’exercice de la solidarité des salariés, par la prise en main de l’avenir des entreprises par ceux qui y travaillent, nous pouvons parvenir à démocratiser le monde du travail et par là même accéder au bien commun. Echanges entre les salariés, prise de conscience, organisation, action.

Pour se préserver du chantage à l’emploi, de la peur, seule l’union de tous est efficace afin d’inverser le fameux paradigme. L’intérêt général n’est pas la somme des intérêts particuliers. Au contraire : les intérêts particuliers proviennent uniquement des acquis de l’intérêt général.

Au terme de ce petit texte, je sais avoir été parfois brumeux, parfois trop rapide, parfois sans doute ésotérique. J’ai écrit vite et sans doute mal, je m’en excuse, mais j’espère avoir contribué de façon pertinente au débat.


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