Il
y a un film qui pose bien le
problème du libre arbitre, c’est « Minority report ». La
question que pose le héros « Qu’allez-vous faire maintenant ? »
montre que le choix qui va être fait n’est pas nécessairement le
plus probable parmi les divers futurs possibles en concurrence, et
qu’il n’est pas toujours
la
simple résultante d’une
chaîne causale
plus puissante
que les autres. L’erreur
classique des partisans du déterminisme intégral, qui est en
réalité une illusion rétrospective (cf.
Bergson et l’illusion rétrograde du vrai),
c’est de croire que si un
événement se produit (ici, un choix) c’est parce qu’il devait
nécessairement se produire.
Après
coup, on peut
toujours
expliquer le choix qui a été fait, et
il est vrai que, la plupart du temps, nos choix sont déterminés.
Mais ils ne le sont pas toujours, surtout quand il s’agit de
prendre une décision très importante. Je
pense qu’il y a autre chose que le simple déterminisme, une
dimension de la conscience qui transcende le temps,
une
sorte de « Ô déterminisme, suspends ton vol ! ».
Comme l’a
bien montré Spinoza, le
libre-arbitre tel qu’on se le représente habituellement est
l’illusion de la liberté résultant de la conscience qu’a
l’individu de ses inclinations et de l’ignorance des causes qui
l’ont conduit à avoir de telles inclinations. Mais il n’est pas
que cela.
Le
libre-arbitre est la faculté, que l’on peut en théorie exercer à tout moment,
de suspendre les influences extérieures et intérieures (qui ne sont
que des influences extérieures intériorisées), de les mettre sur
pause pour écouter la voix de sa conscience. C’est une trouée de
conscience dans la poche d’inconscience qui nous entoure et nous
maintient captifs. C’est l’irruption, malheureusement trop rare
dans nos vies, du silence. Dans le silence peut enfin se faire
entendre la petite voix de la conscience, qui nous montre ce qui est
juste. La petite voix ne nous dit pas comment choisir entre une pêche
et un brugnon, elle nous demande simplement : « Ce que tu
vas dire ou faire respecte-t-il l’autre ? Contribue-t-il à
ton bien-être en même temps qu’à celui de l’autre ?
Provient-il d’un désir égoïque ou fait-il grandir en toi
l’aptitude à l’empathie ? Apporte-t-il de l’harmonie ou
de la disharmonie, de l’union ou de la division ? »
La liberté
est ce choix que nous faisons, consciemment ou inconsciemment :
le choix de suivre la pente des inclinations et des déterminations
qui nous maintiennent dans un état d’inconscience et qui font de
nous les marionnettes des circonstances et des événements, ou bien
le choix de la conscience du moment présent qui nous connecte à la
part de nous qui est transcendante. Mais bien peu de personnes, me
direz-vous, sont capables d’accéder à cet espace de silence, bien
peu de personnes sont capables de suspendre leurs croyances, leurs
connaissances et leurs convictions et se délester du connu. C’est
vrai, et c’est pourquoi nous vivons dans l’illusion, avec
seulement de rares incursions dans un espace de liberté, dans un
espace où les pensées se taisent enfin et
où les désirs et les pulsions ne nous mènent pas par le bout du
nez.
Une promenade en forêt peut interrompre le bavardage incessant du
mental, une méditation, regarder un enfant jouer, caresser son chat
ou son chien, écouter de la musique, s’absorber
dans une activité manuelle ou artistique où l’ego s’efface.
Nous pouvons choisir d’écarter ces moments d’un revers de la
main et retourner à la « vie réelle », en se disant que
c’étaient des instants d’égarement et de rêverie inutile. Mais
nous pouvons aussi choisir d’explorer ces moments de plénitude et
de paix pour grandir en conscience. Le véritable libre-arbitre ne
s’exprime pas dans le choix de mettre telle chemise plutôt que
telle autre, ou dans le choix de prendre du fromage ou du dessert. Le
véritable libre-arbitre réside dans le choix de se libérer ou de
continuer à vivre dans l’illusion.