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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Dont worry, « Be happy » sort en DVD !

Dont worry, « Be happy » sort en DVD !

C’est en lisant récemment une remarque du chanteur Katerine dans Les Inrocks* que j’ai aussitôt pensé à Be Happy signé Mike Leigh (1h58, GB, 2008, sortie DVD chez MK2 Edition le 5 mars 2009)  : « Citez-moi un film qui ait pour héros un moniteur d’auto-école, à part bien sûr L’Evénement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune ? Bonne chance parce qu’on ne peut pas dire que la profession ait été surexploitée au cinéma, n’étant pas immédiatement reconnue comme particulièrement sexy ou romanesque. »

Eh bien si, j’ai un exemple ! Dans Be Happy, aux côtés de l’héroïne principale Poppy, on a Scott (Eddie Marsan), un antihéros que l’on peut trouver romanesque, ou plutôt pittoresque, voire surréaliste, mais en aucun cas sexy. C’est un moniteur d’auto-école, vieux garçon semble-t-il, dont le désarroi affectif et sexuel le conduit à tourner en boucle dans un système de pensée autoritariste et psychorigide, sur fond de racisme et de théorie du complot, qui l’amène à donner des leçons de conduite mi-ésotériques mi-carnavalesques, reposant sur une trinité satanique des rétroviseurs - «  Bien, il y a trois rétroviseurs. Deux latéraux et un intérieur. Ils forment un triangle d’or. C’est une pyramide, à son sommet trône l’œil omniscient, Enraha. » Ce prof allumé base son apprentissage sur la répétition du même, virant bientôt au comique de répétition. Certes, on s’amuse de tout cet aspect burlesque mais l’on rit jaune car ce type-là n’a aucun sens de l’humour. Pour lui, l’humour n’est même pas une langue étrangère mais une langue morte. Angoissé, refoulé, coincé, perclus de règles, de tics et de TOC, il est le reflet d’une société clivée, additionnant des solitudes et des idéologies qui ne cessent de s’écarter les unes des autres. Sans être l’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune, Be Happy est un film qui, sans en avoir l’air, en plus d’être une comédie anglaise lorgnant, avec son débit mitraillette, du côté des screwball comedies, est aussi un film réflexif sur l’école et ses différentes méthodes d’enseignement, plus deux ou trois choses encore.

Fin août 2008, hormis Positif, Be Happy n’a pas été très médiatisé par la presse française à l’époque de sa sortie en salles françaises pourtant il se trouve qu’il a fait un carton au box-office britannique, qu’il a plutôt bien marché dans l’Hexagone - preuve d’un bon bouche à oreille - et qu’il est pas mal du tout (du 4 sur 5 pour moi), d’où cet article ! Bien sûr, le moulin à paroles et à gestes qu’est Poppy (excellente Sally Hawkins, Ours d’argent de la meilleure actrice), via ses engouements cartoonesques, peut vite virer à la soupe à la grimace et s’avérer un tantinet voire carrément agaçant, à la limite de la tête à claques mais, si l’on y regarde de plus près, si l’on soulève l’image pop légère du film (la positive attitude, les phrases light style « Coucou, Toutou !  », « Gardez la banane ! », les couleurs flashy style bonbons anglais acidulés ou pellicules nippones Fuji affirmant les couleurs primaires), on verra qu’il s’agit d’un film bien plus profond, social et sombre qu’il n’en a l’air. Précisons que le titre original, Happy-Go-Lucky, désigne une personne insouciante, optimiste. Et c’est vrai, notre Poppy, avec son métier qui lui est tombé dessus comme ça (institutrice dans une école londonienne), a grave la patate : elle aime son travail et les enfants. Life is Sweet pour cette fille d’aujourd’hui. Bondissante, fantaisiste, à l’écoute des autres, elle vit à la cool avec sa bonne copine Zoé, cherchant toutes deux un mec bien, elle sort beaucoup avec ses sœurs cadettes et, en dehors d’aimer faire apprendre, elle aime aussi apprendre, via cours de conduite, de flamenco et de trampoline. Hop hop hop ! Cette boule de vie, nez pointu au vent, roule à toute berzingue, l’optimisme chevillé au corps. Elle prend la vie comme elle vient, quitte à supporter un libraire gai comme une porte de prison, un professeur d’auto-école nazillon, à dire coucou au bon toutou qui passe ou encore à dire bye bye à son vélo volé en pleine rue. Tout semble glisser sur elle. Cette femme-fleur radieuse, ouverte à la vie et aux rencontres, impose son tempo alerte au film. Son énergie explosive porte le film. En même temps, on a envie de la suivre car son optimisme euphorisant n’est pas égoïste, individualiste et aveugle au monde qui l’entoure. C’est une caisse de résonance à l’humour et à l’amour, elle ne peut que susciter des vocations tant elle est créative, drôle, altruiste et compassionnelle. Elle veut faire du bien à tout le monde, notamment à son moniteur brutal (ce fou dingue veut finir par la posséder !), à un élève violent et à un clochard céleste. C’est là que la vie, sous les dehors chatoyants d’un film haut en couleur, s’immisce dans les plans de Be Happy, via une succession de saynètes impressionnistes peignant des existences et des corps mis à nu.

On nous a parlé longuement dernièrement, en long, en large et en travers, du traitement sociétal d’Entre les murs, mais enlevez, cher lecteur, tout le dispositif de la captation de ce docu-fiction pour « faire vrai » avec de « vraies gens », du genre « Vu à la TV », et l’on verra que, question regard sur l’école, les différences de statut social et économique et les exclus, Happy-Go-Lucky est moins un film programmé à faire mouche en festival parce qu’estampillé « ciné-réalisme » ontologique à la Bazin qu’un film tout court, filmant des acteurs et non des cobayes. Il capte très bien les différentes solitudes, sur fond d’idéologie et de fondamentalisme communautaire, de nos espaces urbains, intra et extra muros. Il s’intéresse à tous ses personnages. Hormis Poppy, il y a dans ce film des personnages passionnants à suivre parce qu’ils parlent de notre époque, tels, on l’a déjà croisé, l’azimuté et facho moniteur d’auto-école mais aussi l’allumée prof de flamenco (qui bâtit son discours sur du fantasme, notamment autour de l’image d’Epinal des gitans) ou encore le clochard barbu (Stanley Townsend) qui, façon vieux philosophe antique, monologue tout seul dans son coin, parmi les ombres de la ville et les bribes des rémanences d’une autre vie. Malgré sa mise en danger, Poppy, en empathie avec lui, s’approche de ce clodo-poète crépusculaire, à la parole déréglée. Ce personnage-là, abîmé par la vie, bègue, c’est tout un film et un trip en soi, entre secrets et mensonges. C’est un spectre, un fantôme de la ville, un « spectre de cinéma », il s’inscrit dans la marge de celle-ci pour y planter son théâtre, né de la cruauté et de l’humiliation ordinaire, un théâtre qui tend moins vers la politesse du désespoir que vers l’absurde, au sens beckettien du terme. Bref, entre le stratagème-festival d’Entre les murs et Happy-Go-Lucky, bien plus Naked qu’il n’en a l’air, vous devinerez facilement vers lequel ont été, ces derniers temps, mon attachement et mon adhésion. A un film gauche (ouvert à toutes les interprétations), je préfère davantage un film de gauche, suffisamment libertaire pour ne pas être idéologique à la petite semaine tout en n’étant pas hypocritement apolitique. Sur la manière de vivre le métier d’enseignant, sur le fonctionnement du système, sur la façon dont les conditions de vie influent sur les gens et sur la société coupée en deux, Leigh en dit plus, selon moi, dans l’espace réduit d’une voiture (celle de Scott, abîme de solitude) qu’Entre les murs d’une salle de cours téléfilmesque, au pseudo-réalisme télévisuel se gargarisant de « réel-caméra » très tendance. Il faut voir ces multiples scènes dans la voiture d’auto-école roulant dans les rues de Londres, on a affaire, via Poppy & Scott, à deux mondes en combustion compressés dans une minuscule voiture, bref à deux bombes dans une cocotte-minute. Cet espace tendu à l’extrême peut être vu comme une métonymie du monde chaotique actuel.

Oui, le grand danger pour la lecture du film Happy-Go-Lucky serait de le cantonner à un optimisme béat, de le confondre avec son personnage-actrice Poppy/Sally Hawkins et de le limiter, ainsi, à un quelconque et publicitaire Fabuleux Destin d’Amélie Poppy. Mais, d’un côté, il y a la légère Poppy, cette fille nature est BD, pop comme une bulle pétillante de champagne, parfois neuneu même dans son côté affirmé Life is (forcément) Sweet, et de l’autre, il y a le film qui, sous ses airs enjoués et son aspect rose bonbon, cache un désenchantement qui est loin de confondre notre contemporanéité tourmentée et dure, style « chacun pour soi et chacun sa vérité », avec le pays du sourire Ultra Brite, du Home sweet home et de Candy. En bref, le Happy-Go-Lucky de Mike Leigh aurait pu s’appeler Parlez-moi de la ville, car en plus d’être une comédie enlevée, c’est aussi un film spirituel, pouvant se faire politique quant à la question du « vivre ensemble » et des réalités urbaines des métropoles modernes. Selon la formule de Godard, Mike Leigh avec son Be Happy fait politiquement du cinéma davantage qu’un film politique pur et dur, projet certes tout à fait louable mais qui court souvent le risque d’être étouffé par un « didactisme de bonnes intentions ». Le triomphe et la politesse de la légèreté n’excluent aucunement la profondeur, merci à Leigh de nous l’avoir rappelé, sans idéologie, discours ni baratin.


* n°676, in La Grossesse du moniteur d’auto-école, p.29

 

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2 réactions à cet article    


  • Sébastien Marie Zarathustra 6 mars 2009 13:56

    Merci pour cet article intéressant sur ce très beau film. Je ne m’explique pas le titre "français", qui fait vraiment passer ce film pour ce qu’il n’est pas du tout : mielleux, imbécile heureux, etc. Enfin, ça doit être plus vendeur. Le commerce est fantastique.


    • Vincent Delaury Vincent Delaury 6 mars 2009 19:48

      Zarathustra, merci pour votre merci !

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