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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > En avoir ou pas

En avoir ou pas


Au hasard d’un étalage chez Gibert, j’ai trouvé Les Braban, un livre de Patrick Besson (Albin Michel). Je connaissais ses chroniques assassines, ses éreintages littéraires. Les Braban a été une bonne surprise. Besson a un style qui ne doit rien aux ateliers d’écriture. Concis, vif, rapide, sans complaisance pour ses personnages, il en fait des héros pitoyables et impitoyables qui ont des vies à raconter, improbables, mais crédibles et qui nous parlent d’un temps et de lieux familiers.

Son livre est plein d’humour, d’humeur, d’amour, de verve, de cruauté. Ses égarements sont réfléchis et opportuns. Une promenade dans Londres devient un trip dont on se remet difficilement et qui donne envie de refaire l’itinéraire avec Besson comme guide.

Les héros sont aux prises avec leurs souvenirs. C’est l’occasion pour Besson de reprendre la métaphore de la valise qui s’alourdit avec le temps. Il le fait joliment : « Le passé d’un homme est une grosse valise dans laquelle s’accumulent chaque année des objets d’inégale valeur. Au bout de quatre-vingt-deux ans, disait mon père, cette valise est tellement lourde qu’on ne peut plus la soulever. On passe ses journées à la regarder, à tourner autour, à l’ouvrir, à sortir les objets, à les examiner, à les tripoter, à s’attendrir dessus. Notre passé nous fascine au point qu’on finit par entrer dedans – et la mort, disait papa, c’est quand il se referme sur nous car – c’était une de ses formules préférées – "la valise du passé ne s’ouvre pas de l’intérieur". Là encore, le mourant se sentira coupable. Juste avant de rendre l’âme, il se dit qu’il ne fallait pas penser tout le temps à cette valise, ne pas la regarder, ne pas l’ouvrir, faire comme si elle n’existait pas, faire comme avant, quand nous étions jeunes, et qu’elle était petite, légère, posée avec négligence à côté de nous sur la banquette d’une brasserie, abandonnée dans le couloir de l’appartement des parents de notre petite amie, une valise dont on ne sentait pas le poids, dont on ne distinguait ni la forme ni la couleur, tant elle était anodine et immatérielle. On avait presque plaisir, de temps en temps à jeter un regard épanoui sur cette modeste chose qui, dans son insignifiance, semblait sourire. On était content de notre court passé, qui comportait un ou deux chagrins d’amour, des examens réussis, des voyages en Hollande et au Luxembourg, une voiture d’occasion et ce premier argent qui nous fait croire que nous sommes riches puisque nous pouvons enfin acheter des disques et des livres. Que s’est-il passé – se demandaient chaque jour, selon papa, tous les vieux de la terre – pour qu’un bagage à main élégant et pratique soit devenu en quelques années une vieille malle noire intransportable qui s’apprête à nous avaler ? Après un certain âge, concluait mon père, il faut se creuser la cervelle pour se souvenir d’un moment où, dans notre vie, le temps nous a paru long, tant son essence nous semble désormais celle d’un courant d’air ou d’un battement de cils. ».

La mémoire en chacun est donc un fardeau. Seul l’amnésique en est débarrassé. Ne pas savoir qui l’on est, d’où l’on vient n’est pas confortable, paraît-il. De toute façon, le choix n’est pas donné. Le rendre plus léger est la seule option et charger la mémoire de bonheur, de plaisir, de réussite, le seul moyen. La vie rêvée des anges. Le paradis étant pour plus tard, il faut attendre et se contenter d’un tout venant qui ne brille pas par l’allégresse – habituellement. Ne pas ruminer, ressasser, ne pas être prisonnier des désavantages acquis n’est possible que si le besoin irrésistible de se battre, de créer, d’être responsable est présent. Cette pulsion de vie existe ou pas. Certains ne l’auront jamais, chez d’autres elle déborde, les anime, les propulse, les enflamme. Ils sont les seuls moteurs d’une société. Il faut seulement qu’ils soient assez nombreux et leur énergie assez puissante pour entraîner tous les autres, les démunis, les dépressifs, les pessimistes, les paresseux, les passifs, les fonctionnaires.

Le malheur pour la France est que la mémoire est un bien national, une icône, une idole. C’est le pays des commémorations, des fêtes nationales, des musées, des monuments aux morts, des panthéons, des généalogistes, des stèles, des plaques. L’Histoire nous rattrape à tout bout de champ ou de rue. Ce rappel obsessionnel du passé officiel fait que nous avons autant de mal d’échapper à la grande qu’à notre petite histoire et que les deux finissent par se confondre.

Ce culte de la mémoire des souvenirs en a fait une maladie. Il faudrait pour la combattre la déclarer grande cause nationale, comme la lutte contre le cancer. Le vœu est pieux, utopique car personne ne la met en accusation. Elle continue d’être glorifiée, fêtée, adulée et surtout récompensée. Il ne viendra donc à l’idée de personne de lui reprocher l’état où elle nous a mis.

Son péché capital est de condamner à regarder le passé plutôt que d’imaginer et préparer l’avenir. Le devoir de mémoire entraîne la contrition permanente des crimes du passé et empêche de rivaliser avec ceux qui, se sachant innocents des horreurs commises par leurs pères, travaillent à leur futur, l’esprit libre.

L’éducation a, chez nous, déifié la mémoire. Elle seule permet l’accumulation de connaissances et les bêtes à concours capables de régurgiter les références, les citations, les leçons apprises par cœur sont les maîtres de notre société. Ils cooptent leurs semblables et barrent la route aux autres : les sans-mémoire, les imaginatifs, les intuitifs, les poètes, les illettrés, les lettrés, les créatifs. Ils ne feront toute leur vie que recycler ce qu’ils ont appris. Leur cerveau est si encombré qu’il n’est plus disponible.

Bloquant les issues, ils réduisent ceux qui veulent construire à fuir pour aller vendre ailleurs leur talent.

 


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4 réactions à cet article    


  • IMAM ATHEE 19 mai 2008 14:27

    Allah premmmm’s !!!!!!


    • Sandro Ferretti SANDRO 19 mai 2008 14:48

      J’adore Besson, écrivain ( écrit-vain ?) brillant (trop brillant ?), méme si un peu ébranlé depuis quelques années par Yann Moix, qui chasse un peu sur les mémes terres.

      En revanche, "les Brabant "est à mon avis un de ses mplus mauvais titres. Trop long, trop de redites, lui qui est spécialisé dans l’écriture brève, rapide, la formule au vitriol.

      Je vous recommande plutot un petit bijou du méme auteur, très court et percutant ( 100 pages à tout casser en édition de poche) :

      "la femme riche".

      Un régal.

       


      • Dancharr 22 mai 2008 10:15

         

        à Sandro,
        Tout à fait d’accord. Mais « Les Brabant » m’a fait découvrir ce Besson là et les autres livres qui ont suivi. Il m’a aussi permis une petite diatribe sur la mémoire avec laquelle j’ai des comptes à régler.
        Bien cordialement.

      • judel.66 19 mai 2008 15:52

        pour lire patrik besson il faut avoir du temps a perdre... c’est le type meme du littéraire creux parlant pour ne rien dire ....... je n’achète plus le point pour ne pas avoir a raler devant ses éditoriaux idiots.....

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