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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > Fellini sous les projecteurs

Fellini sous les projecteurs

Fellinien est un mot qui ne figure pas dans le dictionnaire, l’un de ces mots qu’on emploie, à l’instar de surréaliste, ubuesque ou kafkaïen, de façon souvent inadéquate. Fellinien est synonyme d’extravagance, celle qu’on prête généralement à nos voisins italiens. Si l’on ne peut évacuer cet aspect, l’oeuvre de Federico Fellini (1920-1933) n’est pas réductible à celle d’un aimable bouffon et son cinéma à un plaisant divertissement sans arrière-plan.
 
Au contraire, l’oeuvre de Fellini n’est constituée que de coulisses, de passages secrets, de doubles fonds. Ses personnages sont des solitaires, leur figure est parfois grotesque. La vie est une tragi-comédie sur laquelle finalement nous n’avons aucune prise (motif récurrent, d’Il Bidone à Casanova).
 
Une grande exposition - Fellini, la grande parade - au musée du Jeu de Paume (avec un beau catalogue publié par les éditions Anabet) une rétrospective à la Cinémathèque, des dvd passionnants comme le remarquable Fellini au travail chez Carlotta (7 heures de documentaires rares comme les Bloc-notes d’un cinéaste ou le Fellini d’André Delvaux ) nous rappelle combien en 24 films l’itinéraire du créateur d’Amarcord et de Huit et demi se confondit non seulement avec celui de l’Italie du "miracle économique", mais comment ce miracle, vécu par l’ensemble des européens, est une illusion dans laquelle se dissolvent les individus.

Comment ça marche, Fellini (1920-1993) ? On ne le saura probablement jamais. C’est sans doute pourquoi on revoit ses films avec le même bonheur. L’exposition que lui consacre le musée du Jeu de Paume ne prétend pas expliquer doctement cette œuvre foisonnante, mais en soulevant le rideau plutôt habilement tente d’explorer ce qui se passe dans coulisses de l’homme et de son œuvre. Pour Sam Stourdzé, commissaire de cette exposition, "Fellini c’est un motif récurrent et récursif. Nous montrons ce processus de création totale à l’oeuvre".
 
Dans Fellini au travail, le doube dvd que sort ces jours-ci la maison Carlotta, Fellini explique au cinéaste américain Gideon Bachmann (Ciao, Federico, 1970) : "Je fais des films parce que vers l’âge de 16 ans je me suis aperçu que c’était ma façon de vivre. Alors pourquoi ne pas faire de films ?  ? C’est n’est pas une question de travail à proprement parler. Je pense tout simplement que ma façon de vivre, de me réaliser est ce qui se rapproche le plus de ma nature. Le moins difficile pour moi est de créer des images. C’est la raison pour laquelle je fais des films. Il n’y en a pas d’autres".
 
Au réalisateur Damien Petigrew, il déclarera : "Vivre en faisant des films est pour moi la forme la plus proche de l’identité dans laquelle je peux me retrouver. C’est au centre de mon histoire que je me sens au centre de mon existence » (Federico Fellini. Je suis un grand menteur. L’arche, 1994).
 
On pourrait multiplier les citations et revoir sans cesse les merveilleux documentaires dans lequel s’exprime avec générosité le réalisateur. On comprend que Fellini, qui s’amusait à monter des pièces de marionnettes quand il était petit, n’a fait que ça toute sa vie : manipuler les comédiens comme des pantins au centre d’un théâtre qui n’était que son propre inconscient. Le livre des rêves exposé ici pour la première fois et dans lequel, sur les conseils de son analyste, le réalisateur dessinait ses rêves, peut être considéré comme un fabuleux storyboard.
 
Les nombreux documents (presse, affiches, extraits de films, photos inédites) présentés au Jeu de Paume par Sam Stourdzé en attestent. Fellini, il le dit lui-même, était un "inventeur de fables". Ses images, dit le commissaire de l’exposition, sont plus vraies que la réalité elle-même. Il n’y a non pas la vérité, mais une réalité fellinienne". Et c’est tout ce que nous demandons au cinéma : un regard.
 
Ainsi apprenons-nous en visitant Fellini, la grande parade et en consultant le somptueux catalogue qui l’accompagne (bien utile pour ceux qui ne peuvent se rendre à Paris), que nombre de scènes mythiques (l’hélicoptère qui survole Rome au début de la Dolce Vita ou la fameuse baignade d’Anita Ekberg dans la Fontaine de Trévi) ont vraiment eu lieu et que Fellini c’est inspiré de faits réels et relatés dans la presse pour les "digérer" et les reformuler à sa manière artistique.
 
"Seul ce que tu crées existe" soulignait-il. Et Fellini était le créateur-né. Il était le premier acteur de ses films. Il montrait aux acteurs ce qu’il attendait d’eux, mimant la scène. Ces derniers étaient ses créatures. Il leur demandait de la vie, de l’émotion. Sur le plateau il leur demandait également de ne pas dire le texte, mais de compter. Les paroles étaient rajoutées en post-production.

"Avec Fellini a disparu, en 1993, non seulement un géant du cinéma, mais le dernier grand Italien », écrit Dominique Fernandez dans son Dictionnaire amoureux de l’Italie » (Plon, 2008). Fellini, à l’instar de ses quasi contemporains Elsa Morante et Pasolini, est venu « au monde à l’époque ou Mussolini prenait le pouvoir » Tous trois « étaient destinés à venger l’Italie d’avoir cru à cette baudruche dilatée ». Plus loin, Fernandez conclut : « L’Italie actuelle, réconciliée avec elle-même, s’enlise dans une sorte d’américanisation flasque. Avec Fellini a disparu le dernier Italien complètement et totalement italien, furieux d’être italien, piétinant le sol natal avec une obscénité iconoclaste, transformant le pays des gondoles et des voyages de noces en music hall grotesque ».

Sam Stourdzé, le fringant et sympathique commissaire de Fellini, la grande parade, exposition buissonnière qui préfère aux voies royales chronologiques et linéaires les chemins transversaux, décortique le parcours avec légèreté, de façon fragmentaire, sans nous asséner de vérité toute faite sur cet homme qui eu l’élégance de n’être jamais d’un camp.

Néoréaliste à ses débuts, il déplaît à cette chapelle lorsqu’il signe la Strada (1954) récupérée par les catholiques qui le désavoueront lorsqu’il sortira la Dolce Vita (1959). Ce dernier film fut sifflé à Cannes en 1960 quand le président du jury, Georges Simenon, lui décernera la palme d’or (avec l’aide, entre autre, d’Henry Miller). De là naîtra une amitié indéfectible : « Vous êtes un « poète maudit », comme Villon ou Baudelaire, ou Van Gogh, ou Edgar Poe. J’appelle « poète maudit » tous les artistes qui travaillent bien plus avec leur subconscient qu’avec leur intelligence, qui, même s’ils le voulaient, ne pourraient pas faire autre chose que ce qu’ils font, qui, parfois, créent des monstres, mais des monstres universels » lui écrivait le créateur de Maigret (Carissimo Simenon, Mon cher Fellini, Cahiers du cinéma, 1997).

De son côté, le maestro disait de Simenon qu’il était « un médium rempli de fantasmes ». La question de l’intelligence heureusement évacuée, Sam Stourdzé nous offre avec Fellini, la grande parade une vue kaléidoscopique d’une œuvre gorgée de références populaires. Certes il y est question d’Anita Ekberg aux parents de laquelle, disait l’un de ses compagnons de jeu, Bob Hope, on aurait dû donner le prix Nobel d’architecture et que Fellini lui-même redoutait de rencontrer tellement « elle était d’une beauté surhumaine ». Il y est aussi question de Marcello Mastroianni, de Giuletta Masina et d’Anna Magnani ou encore de Nino Rota, bref, les incontournables totems de la Felli-cité.

Mais le commissaire de l’exposition a préféré mettre en lumière, de façon rapide et incisive, voire lacunaire (mais c’est ici une qualité), les sources d’irrigation de son oeuvre. Sur deux niveaux, quatre grandes parties : La culture populaire (la plus importante), Fellini à l’œuvre, La cité des femmes et l’invention biographique. Fellini s’abreuvait à deux sources. Il puisait dans l’imagerie populaire et dans sa propre imagerie, dans ses fantasmes. « A partir de là, il n’y a non pas la vérité, mais une vérité fellinienne », explique Sam Stourdzé (In Fellini au travail, Carlotta films).

L’exposition comporte de très nombreux documents inédits retrouvés, notamment, à la cinémathèque de Bologne. Il a fallu quatre ans de travail pour la monter. Des archives photographiques, des extraits de films, mais aussi une conséquente suite de dessins de Fellini et, pour la première fois, nous l’avons évoqué plus haut, la présentation de son Livre de rêves qu’il teint de 1960 à 1990. Son psychanalyste lui avait en effet conseillé de dessiner ses rêves.

Fellini commence sa carrière comme caricaturiste, dans la presse d’abord puis à son compte (il ouvre une boutique en 1944, à Rome, où il dessine le portrait des GI stationnés dans la ville). Mais le roman-photo, les comics (Mandrake), le cirque, la publicité, le rock n’roll (quatre ans après l’apparition de cette musique à Rome il fera débuter un certain Adriano Celentano dans la Dolce Vita) irrigueront son travail de visionnaire. Fellini ne dénonce pas, ce n’est pas un moraliste. Il constate l’arrivée de la société de consommation, des médias (presse puis télévision).

De nombreux extraits de films sont présentés. « C’est un dialogue constant entre images fixes et animés », explique le commissaire. Les coulisses sont éclairées, mais le maître étant absent, on n’en saura pas plus sur la manière d’accommoder les ingrédients. Ce que l’on apprend c’est que Fellini était une véritable éponge, qu’il saisissait tout de l’air du temps et du rythme de la rue. Dans la Dolce Vita, il invente le mot paparazzo. A l’époque, il n’est pas rare de croiser des stars américaines Via venetto. En effet certaines productions américaines sont tournées à Cinecitta. Les photographes de presse commencent à les mitrailler. Fellini a compris que cette presse people avait de beaux jours devant elle.

L’exposition s’appelle Fellini, la grande parade car dans son œuvre la parade est un thème récurrent : celle des clowns, d’abord (La Strada puis Les clowns), celles de ecclésiastiques (Fellini Roma), celle des fascistes (Amarcord), celles des prostituées (Amarcord, entre autres), celles des femmes (tous ses films). Evidemment, la femme est ici un thème cardinal. Sublimée dans des scènes d’anthologie elle est notamment incarnée par Josiane Tanzilli (la Volpina d’Amarcord), Eddra Gabe (Saraghina, dans 8 ½) ou la plantureuse et fantasmatique Maria Antonietta Beuzzi (la buraliste d’Amarcord), mai aussi par ces défilés récurrents de fesses et de nichons.
 
Autre défilé, celui des « grotesques », ces tronches, ces gueules qui font le sel des films de Fellini. Ce dernier portait autant d’attention au choix de ses premiers et seconds rôles qu’à celui de ses figurants. Lorsqu’il avait terminé un scénario et qu’il s’apprêtait à tourner il passait une annonce dans la presse : « Federico Fellini est prêt à rencontrer tous ceux qui veulent le voir.  ». Dès lors, des centaines de personnes débarquaient au studio 5 de la Cinecitta. « J’en vois mille pour en mettre deux dans mon film, disait Federico, mais j’assimile tout. C’est comme s’ils me disaient : regarde-nous bien, chacun de nous est une tesselle de la mosaïque que tu es en train de composer ».
 
Chaque candidat lui laisse une photo. Le réalisateur les conserve toutes. Il en a des volumes entiers, classées avec méthode : « Visages intéressants », « Belles femmes », « Femmes plantureuses au visage sensuel », « Danseuses », « Filles girondes et un peu putes »… Mais d’autres n’attendent pas la parution d’une annonce du maître. Liliana Betti, l’assistante de Fellini, raconte que le cinéaste reçoit sans arrêt des courriers de ses admirateurs le sollicitant pour un autographe, un rôle, un conseil, de l’argent, de l’amour. « Fellini ne dit jamais non à personne, il ne refuse jamais rien, il n’est jamais précis, complet clair. Il se borne à renvoyer à plus tard, à promettre, hésiter, attendre. » (Fellini, un portrait par Liliana Betti, Albin Michel, 1980).
 
Fellini, la grande parade est riche des multiples pistes qu’elle propose. Sam Stourdzé a l’intelligence de ne pas nous imposer de vision dogmatique d’un cinéaste dont la vie se confond avec l’oeuvre.
 
"L’oeuvre d’art, c’est le chemin qui mène à l’oeuvre d’art" (Paul Klee)
 
 
Pour tout savoir sur le programme des manifestations et les références des livres et dvd :
tuttofellini.fr
 

Crédit photo : Fellini/Amarcord

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3 réactions à cet article    


  • Peachy Carnehan Peachy Carnehan 21 octobre 2009 01:15

    Ginger et Fred... Visionnaire. Le berlusconisme naissant, le populisme le plus crasse et la télé poubelle dénoncés... il y a 25 ans.

    Federico Fellini nous manque.


    • jltisserand 21 octobre 2009 12:03

      Satiricon, Amacord, Roma, les années 70 et TOUT le cinema Italien. Quelle richesse, Fantastique période


      • Gilbert 5 novembre 2009 10:21

        pourquoi Fellini est-il aussi considéré comme un « artiste plasticien », pourquoi est-il cité dans www.almanart.com en cette qualité ?
        et bien allez voir sur almanart !

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