Fellini sous les projecteurs
Comment ça marche, Fellini (1920-1993) ? On ne le saura probablement jamais. C’est sans doute pourquoi on revoit ses films avec le même bonheur. L’exposition que lui consacre le musée du Jeu de Paume ne prétend pas expliquer doctement cette œuvre foisonnante, mais en soulevant le rideau plutôt habilement tente d’explorer ce qui se passe dans coulisses de l’homme et de son œuvre. Pour Sam Stourdzé, commissaire de cette exposition, "Fellini c’est un motif récurrent et récursif. Nous montrons ce processus de création totale à l’oeuvre".
"Avec Fellini a disparu, en 1993, non seulement un géant du cinéma, mais le dernier grand Italien », écrit Dominique Fernandez dans son Dictionnaire amoureux de l’Italie » (Plon, 2008). Fellini, à l’instar de ses quasi contemporains Elsa Morante et Pasolini, est venu « au monde à l’époque ou Mussolini prenait le pouvoir » Tous trois « étaient destinés à venger l’Italie d’avoir cru à cette baudruche dilatée ». Plus loin, Fernandez conclut : « L’Italie actuelle, réconciliée avec elle-même, s’enlise dans une sorte d’américanisation flasque. Avec Fellini a disparu le dernier Italien complètement et totalement italien, furieux d’être italien, piétinant le sol natal avec une obscénité iconoclaste, transformant le pays des gondoles et des voyages de noces en music hall grotesque ».
Sam Stourdzé, le fringant et sympathique commissaire de Fellini, la grande parade, exposition buissonnière qui préfère aux voies royales chronologiques et linéaires les chemins transversaux, décortique le parcours avec légèreté, de façon fragmentaire, sans nous asséner de vérité toute faite sur cet homme qui eu l’élégance de n’être jamais d’un camp.
Néoréaliste à ses débuts, il déplaît à cette chapelle lorsqu’il signe la Strada (1954) récupérée par les catholiques qui le désavoueront lorsqu’il sortira la Dolce Vita (1959). Ce dernier film fut sifflé à Cannes en 1960 quand le président du jury, Georges Simenon, lui décernera la palme d’or (avec l’aide, entre autre, d’Henry Miller). De là naîtra une amitié indéfectible : « Vous êtes un « poète maudit », comme Villon ou Baudelaire, ou Van Gogh, ou Edgar Poe. J’appelle « poète maudit » tous les artistes qui travaillent bien plus avec leur subconscient qu’avec leur intelligence, qui, même s’ils le voulaient, ne pourraient pas faire autre chose que ce qu’ils font, qui, parfois, créent des monstres, mais des monstres universels » lui écrivait le créateur de Maigret (Carissimo Simenon, Mon cher Fellini, Cahiers du cinéma, 1997).
De son côté, le maestro disait de Simenon qu’il était « un médium rempli de fantasmes ». La question de l’intelligence heureusement évacuée, Sam Stourdzé nous offre avec Fellini, la grande parade une vue kaléidoscopique d’une œuvre gorgée de références populaires. Certes il y est question d’Anita Ekberg aux parents de laquelle, disait l’un de ses compagnons de jeu, Bob Hope, on aurait dû donner le prix Nobel d’architecture et que Fellini lui-même redoutait de rencontrer tellement « elle était d’une beauté surhumaine ». Il y est aussi question de Marcello Mastroianni, de Giuletta Masina et d’Anna Magnani ou encore de Nino Rota, bref, les incontournables totems de la Felli-cité.
Mais le commissaire de l’exposition a préféré mettre en lumière, de façon rapide et incisive, voire lacunaire (mais c’est ici une qualité), les sources d’irrigation de son oeuvre. Sur deux niveaux, quatre grandes parties : La culture populaire (la plus importante), Fellini à l’œuvre, La cité des femmes et l’invention biographique. Fellini s’abreuvait à deux sources. Il puisait dans l’imagerie populaire et dans sa propre imagerie, dans ses fantasmes. « A partir de là, il n’y a non pas la vérité, mais une vérité fellinienne », explique Sam Stourdzé (In Fellini au travail, Carlotta films).
L’exposition comporte de très nombreux documents inédits retrouvés, notamment, à la cinémathèque de Bologne. Il a fallu quatre ans de travail pour la monter. Des archives photographiques, des extraits de films, mais aussi une conséquente suite de dessins de Fellini et, pour la première fois, nous l’avons évoqué plus haut, la présentation de son Livre de rêves qu’il teint de 1960 à 1990. Son psychanalyste lui avait en effet conseillé de dessiner ses rêves.
Fellini commence sa carrière comme caricaturiste, dans la presse d’abord puis à son compte (il ouvre une boutique en 1944, à Rome, où il dessine le portrait des GI stationnés dans la ville). Mais le roman-photo, les comics (Mandrake), le cirque, la publicité, le rock n’roll (quatre ans après l’apparition de cette musique à Rome il fera débuter un certain Adriano Celentano dans la Dolce Vita) irrigueront son travail de visionnaire. Fellini ne dénonce pas, ce n’est pas un moraliste. Il constate l’arrivée de la société de consommation, des médias (presse puis télévision).
De nombreux extraits de films sont présentés. « C’est un dialogue constant entre images fixes et animés », explique le commissaire. Les coulisses sont éclairées, mais le maître étant absent, on n’en saura pas plus sur la manière d’accommoder les ingrédients. Ce que l’on apprend c’est que Fellini était une véritable éponge, qu’il saisissait tout de l’air du temps et du rythme de la rue. Dans la Dolce Vita, il invente le mot paparazzo. A l’époque, il n’est pas rare de croiser des stars américaines Via venetto. En effet certaines productions américaines sont tournées à Cinecitta. Les photographes de presse commencent à les mitrailler. Fellini a compris que cette presse people avait de beaux jours devant elle.
L’exposition s’appelle Fellini, la grande parade car dans son œuvre la parade est un thème récurrent : celle des clowns, d’abord (La Strada puis Les clowns), celles de ecclésiastiques (Fellini Roma), celle des fascistes (Amarcord), celles des prostituées (Amarcord, entre autres), celles des femmes (tous ses films). Evidemment, la femme est ici un thème cardinal. Sublimée dans des scènes d’anthologie elle est notamment incarnée par Josiane Tanzilli (la Volpina d’Amarcord), Eddra Gabe (Saraghina, dans 8 ½) ou la plantureuse et fantasmatique Maria Antonietta Beuzzi (la buraliste d’Amarcord), mai aussi par ces défilés récurrents de fesses et de nichons.
Fellini, la grande parade est riche des multiples pistes qu’elle propose. Sam Stourdzé a l’intelligence de ne pas nous imposer de vision dogmatique d’un cinéaste dont la vie se confond avec l’oeuvre.
Crédit photo : Fellini/Amarcord
3 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON