L’Ecologie, une action, un sacerdoce, un homme...du désert, Théodore Monod
Pour faire contrepoids aux enthousiasmes de surface, aux idées émergentes, aux palabres vains, aux politiques sans ferveur, je propose dans un choix pédagogique l’histoire d’un homme...du désert.
Une étoile modeste en forme de comète qui fit son apparition au XX ème siècle, à partir du 09.04.1902 à 4 heures dans le ciel de France, pour s’éteindre avec le soleil le 22.11.2000 dans un couchant universel.
Que vive cette étoile pour mieux nous tenir en éveil.
Expliquer, comprendre, pénétrer quelque chose du mystère du monde, soulever au moins un coin du voile d’Isis, il n’est pas, dans le domaine des choses de l’esprit, de joie plus solide et de plus enivrant bonheur que d’avoir pu, fût-ce une seule fois, dans le plus humble domaine et sur le plus infime détail, y parvenir.
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Méharées (1937), Théodore Monod, éd. Actes Sud, coll. Babel, 1989, p. 229
Théodore Monod, illuminé paradoxal, scientifique impressionnant de simplicité. Son positionnement fait l’humilité car il se confronte à l’immensité de l’inconnu. Le modeste caillou (sortilège antique du colosse isthmique) est un morceau de roi, tant il médite sur lui à la recherche de l’inaccessible sens de la vie et de la marche du monde...les millénaires s’écoulent, les mythes les traversent.
Dans les Méharées, le scientifique se fait pédagogue et prend l’air amusé et malicieux pour expliquer le désert avec humour. A chaque périple une leçon de vie. La sagesse au quotidien « l’indispensable, le vrai, ne pèse pas lourd, à peine trente kilogrammes par mois ». Ce qui nous renvoie à notre boulimie maladive et coutumière et force au questionnement. Ainsi chemine la quête de l’absolu dans un esprit joyeux, solitaire et pragmatique.
« La nature n’est ni morale ni immorale, elle est radieusement, glorieusement, amorale. »
[ Théodore Monod ] - Extrait des Carnets
Une vision bouddhique,
« Nous devons apprendre à respecter la vie sous toutes ses formes : il ne faut détruire sans raison aucune de ces herbes, aucune de ces fleurs, aucun de ces animaux qui sont tous, eux aussi, des créatures de Dieu. »
« La théologie chrétienne n’a jamais encore accepté de prendre en compte le problème de la souffrance animale. »
Sa vie et son œuvre, à l’instar du petit prince, fleurissent à mille milles de toutes les terres habitées. La mémoire collective conserve l’image d’un pèlerin, d’un aventurier solitaire, d’un prince du désert couleur de sable dans un mimétisme empathique, de quête et de poésie.
« Le désert en tant que tel est très émouvant. On ne peut pas rester insensible à la beauté du désert. Le désert est propre et ne ment pas (…). Le désert appartient à ces paysages capables de faire naître en vous certaines interrogations. »
Théodore Monod dans sa jeunesse éprouvait une vraie fierté à être « le premier Européen géologue » à avoir traversé la chaîne de l’Ahnet de part en part, s’appropriant ce milieu hostile entre tous à l’égal des indigènes. « un vrai méhariste. » L’âge avançant, il incarna l’aventurier infatigable et obstiné dans sa soif de découverte et du goût du dépassement de soi. « Ultime naturaliste » du XVIIIe siècle par sa vision des sciences naturelles comme « l’exploration systématique de notre planète et l’inventaire de ses richesses ». Nomade communicatif et respectueux des hommes et de leur cadre de vie, il savait savourer le bonheur des haltes, la cérémonie du thé, les nuits salvatrices avant une nouvelle journée de souffrances, la mélancolie de la fin du voyage qui pousse à de nouveaux départs.
Je me souviens d’une émission télévisée où dans un retour à la « civilisation » il était entouré de jeunes collègues brillants, doctes et modernes. Il avait dans le regard toute la magie des espaces et le savoir du sage venu d’un autre monde. Autour de lui tous gouttaient la félicité du temps qui suspend son vol, et sa parole les accompagnait avec beaucoup de déférence.
Sa pratique sacerdotale de naturaliste humaniste n’appartient pas à un temps révolu. Dans ce nouveau monde en recherche et en manque de tout et surtout d’essentiel. Il est un phare intemporel pour ceux qui savent l’entendre. La sédentarité et la segmentation scientifique reconnaissent les passeurs d’univers. Au Japon il serait assimilable aux dieux, il en serait navré, heureusement,sous nos latitudes, ce n’est qu’un homme...du désert. Il en est heureux.
« Au fond, j’aurai été l’un des derniers voyageurs sahariens de la période ancienne des chameliers ».
Confronté au désert, Théodore Monod aura su rester humble. Il minimisait ses exploits avec dérision : « On s’expose à quelques désagréments en allant au désert, mais parler de danger est exagéré. (…) C’est avant tout un effort physique et psychologique. Il faut tâcher de ne pas se démoraliser en route » Plutôt que de conter ses prouesses, il préfère, dans L’Or des Garamantes, nous faire partager les difficultés de la lecture à dos de chameau. Le marcheur du désert ne manquait ni d’humour, ni d’idées pour faire avancer l’humanité.
Et pourtant on ne flirte pas impunément avec le désert. Les traversées harassantes aux perspectives infiniment semblables et profondément décourageantes. L’espace aux contours innommables et infini avec au-dessus de la tête la puissance destructrice d’Hélios. L’épée de Damoclès, le vaste linceul d’ombre de chronos dévoreur insatiable. Les démons intérieurs du doute et de la peur. Un défi surhumain, inhumain, l’initiation du guerrier visionnaire.
Quelques désagréments... rechercher son ultime dessert dans les noyaux de fruits contenus dans les déjections anciennes de chameaux, après avoir consommé un petit lézard imprudent. Sonder désespérément un point d’ombre pour reposer ses pieds en feu. Recoudre les crevasses des talons déchirés et desséchés par le sable avant de les avoir enduits de graisse. Attendre maintenant pour laisser passer la canicule afin de repartir. Mesurer la fragilité et les limites de la mécanique humaine. Connaitre l’ultime réflexion des entrailles, déconseillée aux touristes amateurs de secrètes sensations à court terme. Saturne est ici maitre du temps, c’est un despote ombrageux qui n’a de sympathie que pour les marathoniens. Un révélateur d’authenticité pour écologiste de terrain.
Un modèle à la recherche d’un monde harmonieux Théodore Monod a aussi milité pour les causes qu’il croyait justes. Elles sont foisonnantes à l’image du grouillement de la nature à l’état brut. : Dialogue entre les cultures et les religions, défense des droits des animaux, lutte contre les guerres, celle d’Algérie, ou plus récemment, pour le droit au logement. Il ne pouvait méconnaitre l’influence pastorale et religieuse de son père. Il en a cultivé les exigences spirituelles. Il récitait quotidiennement les Béatitudes, le sermon de la tendresse évangélique, et jeûnait chaque vendredi, " un jeûne total, sans nourriture solide ou liquide ", jeûne spirituel et militant, pour la justice et pour la paix. Durant ses années africaines, il s’est initié à l’Islam au contact des nomades et a noué de riches amitiés avec de grands penseurs musulmans, tels que Amadou Hampathé Bâ, également membre du conseil exécutif des Nations Unies pour l’Afrique dans les années soixante. Il considère que la vraie foi dépasse le clivage des confessions : « Une rencontre des vérités essentielles des diverses croyances qui se partagent la Terre pourrait se révéler d’un usage religieux vaste et universel. Peut-être serait-elle plus conforme à l’unité de Dieu, à l’unité de l’esprit humain, à celle de la création tout entière ». En définitive, le salut de l’humanité passerait par l’écoute et la compréhension réciproque.
Les espoirs que Théodore Monod plaçait dans l’humanité ont été partiellement détruits au fil du siècle qu’il a traversé. Il a connu l’antisémitisme dans sa chair (sa femme était juive). Il s’est engagé contre toutes les formes de mépris de la vie.
Signataire du manifeste des 121, il y a perdu son poste à l’IFAN, pour avoir bravé le pouvoir politique. Il a lutté avec fierté contre la colonisation et l’oppression de l’homme par l’homme. « Les lions n’apprennent pas aux lionceaux à tuer leurs frères, l’homme apprend à son enfant à tuer des enfants d’homme. On est passé de l’âge des cavernes à l’âge des casernes. Et préparer un crime est déjà un crime ». Il s’est également illustré dans la lutte contre la bombe atomique : « L’arme nucléaire, c’est la fin acceptée de l’humanité (…). La bombe atomique est la seule arme qui attaque une population dans son devenir biologique et physiologique ». Il érigeait en principe le respect de la vie, jusqu’aux plantes et aux animaux. À ce titre, il militait contre la chasse, la corrida et les expériences sur les animaux. Théodore Monod défendait le droit à l’insoumission et à la révolte, mais prônait la non-violence comme méthode d’action. Il marchait sur les traces de Gandhi et tentait d’en imiter le combat. Il essayait d’attirer l’attention par des actes symboliques, comme le jeûne, emblématique de sa révolte contre notre société de consommation. Théodore Monod était un homme de foi et de conviction. Son combat, le respect de la vie sous toutes ses formes, son arme, la tolérance et le dialogue. Novatrices hier, ces luttes nous semblent aujourd’hui naturellement légitimes.
Théodore Monod était destiné au pastorat, son temple s’inspira de l’universalité du désert. À dix-huit ans, à l’égal de sisyphe, il écrivait : « La vie n’est pas la joie. C’est la tension de l’effort continu ; c’est le labeur physique et le surmenage intellectuel ; c’est l’austère accomplissement du devoir ». Il aura passé sa vie à distiller et à conter les merveilles de la planète pour nous apprendre à la respecter, tout en poussant son caillou au sommet de la montagne.
L’accroissement de la connaissance scientifique ne contribue pas nécessairement à exiler la croyance en Dieu, d’autant qu’au fur et à mesure que la science s’accroît, les points de contact avec l’inconnu augmentent : plus on cherche, plus on rencontre l’inconnu, et peut-être l’inconnaissable.
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Terre et ciel (1997), Théodore Monod, éd. Actes Sud, coll. Babel, 1997, p. 218
Il se nomme Théodore Monod et habite tous les siècles. Des siècles d’amour, d’engagement chevaleresque et de passion, des siècles de traversée de désert ponctué par le libre enseignement en mode socratique.
Son Grall fut une gigantesque météorite qu’il croyait enfouie sous le sable du désert mauritanien prés de Chinguetti. Il la chercha en vain avec une confiance et une croyance angéliques, la détermination du petit prince en quête de la source, mais ne la trouva pas... puisqu’il la cherche encore et toujours, lui, l’infatigable chercheur d’absolu. Sisyphe ludique au rocher désormais céleste mais énigmatique.
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