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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > L’engeance de la pelouse

L’engeance de la pelouse

Denis Robert refait le match dans son dernier livre Le milieu du terrain. Où l’on tente de comprendre comment on joue au foot aujourd’hui, en costume rayé, une valise à la main, et un bonnet sur la tête.

« Le football professionnel fait plus pour la mondialisation que toutes les réformes politiques. Il fait accepter dès huit ou dix ans la sélection, la précarisation, le mercenariat, la loi du plus fort, le spectacle de l’hyper richesse, et, en filigrane, la corruption et le dopage. Un vrai programme du Medef, qui s’étale deux heures par soir sur les antennes et trois fois par semaine à la télé. » Décidément, pas du genre à boire du raplapla, comme dirait le Platini de l’époque nancéienne, le journaliste Denis Robert, qui, après avoir ferré le squale aux dents longues du Luxembourg, tente cette fois-ci de cerner les anguilles du football.

« Footeux de base », comme il se définit lui-même, il ne se fend pas ici d’un grand cri de désamour pour son sport préféré, mais essaie de comprendre comment l’objet d’autant de canettes vidées est devenu aujourd’hui la proie de spéculateurs qui se disent agents, d’entraîneurs à la double casquette (au double bonnet ?) et de chaînes de télévision avides d’abonnés qui ne se désabonnent plus. Et les joueurs, dans tout ça ? Les footeux du sommet, si l’on peut dire, que deviennent-ils dans tout ce cirque ? Des monnaies d’échange, essentiellement. Depuis l’arrêt Bosman, qui a tout changé, en pire, le footballeur talentueux, ou pas, est devenu un moyen pour quelques professionnels de se faire de l’argent relativement facilement. En faisant courir les rumeurs sur le départ d’un tel, sur le malaise d’un autre, on affole la Bourse aux joueurs, on dynamise le marché des transferts, comme on dit. Il suffit pour cela de quelques complicités dans les journaux dits spécialisés, pour alimenter lesdites rumeurs, un tel serait intéressé pour aller à, un tel aurait pris contact avec bidule, machin voudrait renégocier son contrat, mais pour l’instant rien n’est fait...

On entend, on lit ça chaque jour, et surtout en ce moment, surtout en fin de saison. Nous, les footeux de base, on est familiers de ce cirque perpétuel, certains sites Internet s’en font même une spécialité, des maxi foot par là, des transferts.com par ici, des mercato.fr ailleurs. Tout est hypothèse, rumeur, écho, invérifiables, mais qui suffisent à faire grimper les cotes des joueurs, et permettent aux agents de réfléchir à la marque, ou à la coupe de leur prochain costume. Parce qu’aujourd’hui, clairement, le football appartient aux agents. Le mot de Gary Lineker, ancien avant-centre de l’équipe d’Angleterre, qui avait un jour déclaré : « Le football, c’est un sport qui se joue à onze, et à la fin c’est les Allemands qui gagnent », on pourrait aujourd’hui l’actualiser, et affirmer que le football, c’est un sport qui se joue toujours à onze, mais à la fin, ce sont les agents qui gagnent. Qui gagnent beaucoup.

Alors, bien sûr, on ne devient pas agent comme ça, il faut passer un examen, pour devenir un agent assermenté. Bien sûr. Mais c’est tout de même aussi simple à obtenir qu’une immunité parlementaire. L’agent-insider de Denis Robert, dans le livre, Vic, lui déclare : « Tu sais, ce diplôme, c’est un bout de papier qui nous est filé par des cons et des tordus. » Ce bout de papier en poche, les agents se constituent après une « écurie », c’est-à-dire un cheptel de joueurs dont ils négocient les intérêts. Quand ils arrivent à vendre un joueur, ils touchent une commission, ce qui est légal, voire une rétro commission, ce qui l’est moins. « Il s’est passé en une dizaine d’années un indéfinissable glissement vers une sorte de néant où tout ce qui m’avait fait aimer le football s’est lentement désagrégé.

A bien y réfléchir, ces dix années correspondent à peu près au débarquement des agents dans le milieu du terrain. Je ne dis pas qu’ils sont les responsables. Ils sont un symptôme. Ils sont le symptôme. », écrit Denis Robert. Un symptôme important, en effet, visible, spectaculaire. Il faut dire que l’agent, par son rôle, est à la fois une pièce importante, c’est lui qui emmène les joueurs au club, et une pièce faible, parce qu’il est susceptible de se laisser corrompre pour favoriser un transfert, ou pour enrichir des bookmakers. Oui, parce que si dans notre beau pays, les paris sur les matchs de foot représentent encore un phénomène marginal, ailleurs en Europe, notamment en Angleterre, et en Italie, c’est un marché juteux, un système plus ou moins légal qui donne lieu, comme on l’a vu en Italie au début des années 1980, ou en Belgique cette année, à de petits arrangements avec l’éthique qui peuvent aller jusqu’à fausser totalement une compétition.

C’est pas nouveau, ce qui l’est, c’est la nationalité de ces bookmakers, pas tous chinois, mais certains d’entre eux, dont un certain monsieur Ye, au cœur du récent scandale en Belgique. Scandale dont on n’a que peu parlé en France, comme si, pour reprendre Denis Robert, la Belgique était à des milliers de kilomètres de notre beau et sain et passionnant championnat de Ligue Canal+1. Canal +, justement, Denis Robert en parle aussi beaucoup dans son document. Il faut dire que la chaîne cryptée, à coup de 600 millions d’euros par an pendant trois ans, est plus qu’un « partenaire », comme on dit pudiquement de la Fédération de monsieur Escalettes. Canal+ a son mot à dire, à ce tarif-là, sur tout ce qui touche au foot français, y compris les compositions de certaines grosses écuries du championnat, parfois même en inventant entre deux équipes une rivalité historique, comme entre le PSG et l’OM. (Biétry, Denisot et Tapie s’étaient à l’époque entendus comme larrons en foire sur cette affaire-là.) Canal+ a payé cher l’entrée, elle veut du spectacle. S’il n’y en a pas, elle en vend quand même.

Robert se délecte des pathétiques envolées des journalistes de la télé pas comme les autres, qui essaient tant bien que mal de vendre un Lille-Troyes comme s’il s’agissait d’un AS Rome-Inter, comme un cuisinier qui vous ferait passer des nouilles au beurre pour un homard sauce thermidor. Et puis, sur Canal, entre autres consultants, il y a Guy Roux... le Bourguignon au bonnet se sentira sans doute décoiffé en lisant le portrait que dresse de lui Denis Robert, il prétendra sans doute qu’il ne connaît rien au football, que tous ces documents qui sortent aujourd’hui, écrits par des journalistes à sensation, ne valent pas un demi-verre de châblis, bien sûr, il s’en sortira toujours. « Auxerre est depuis vingt ans le club français qui a réalisé les plus grosses plus-values sur les joueurs.

Des deals avec l’OM de Tapie, les Girondins de Claude Bez, Liverpool, Arsenal, la Juventus, les Glasgow Rangers...[...] Guy Roux est un des piliers du milieu du terrain. », écrit Denis Robert. « Vouloir affronter Guy Roux sur son terrain pour le doubler sur une vente de joueur, c’était un peu comme vouloir implanter des machines à sous en Corse dans un bout de maquis qui appartiendrait au FLNC Canal historique... »

Alors, bien sûr, on entend déjà certains refaire le livre à grands cris, en expliquant que oui bon bien sûr, y’a des brebis galeuses, mais bon, il ne faut pas généraliser... une défense politicienne, et Robert l’écrit d’ailleurs justement : « A bien y réfléchir, il y a de nombreuses similitudes entre football et politique.

La manière dont sortent les affaires, le passage des commissions par les paradis fiscaux, le rôle des intermédiaires, les dénégations des acteurs concernés, leur langue de bois, l’attitude de la presse spécialisée, les procès qui vont suivre et pourrir l’ambiance, font penser au début des années 1990 quand les premières informations ont été ouvertes sur les financements des campagnes politiques. » Le journaliste sait de quoi il parle, il était de ces combats-là aussi. D’ailleurs son livre aurait pu s’appeler Révélations, ou La Boîte noire, tant on a l’impression qu’il nous parle finalement d’une seule et même chose. De l’envers des choses, justement. Il aurait pu s’appeler aussi Pendant les affaires, les matches continuent. Mais il ne s’agit pas, dans Le milieu du terrain de Denis Robert seul contre tous chapitre trois, de Mission Impossible pour Robert 4, ce journaliste-là n’est pas de ces théoriciens du complot à la petite semaine, il n’est pas de ces corbeaux qui s’imaginent plus rusés que le renard.

Il n’est pas un « touspourriste » convaincu. Dans Le milieu du terrain, Denis Robert écrit comme il joue au football, avec ses pieds. J’entends par là non que l’objet soit mal brossé, bien au contraire, la trajectoire est parfaite, mais que c’est un livre de passionné, aux abdos peut-être plus « kro » que tablette de chocolat, mais mordu quand même, et triste. Son livre, c’est bel et bien un livre d’histoire de ce sport, ce jeu assez simple qu’on regarde avachi, sans effort mais très concentré, sans distance et très passionné, qui nous voit crier, hurler ou parfois pleurer, nous désespérer, pour quelques centimètres en trop, en moins, pour un drapeau levé trop tôt ou ce fichu penalty non sifflé. Et l’histoire du foot se joue aujourd’hui ailleurs que sur les pelouses, dans certains bureaux, dans certains couloirs d’hôtel, et aujourd’hui dans certain tribunal en Italie, où la Juventus de Turin elle-même, cette vieille dame soudain indigne, joue son avenir en Série A, rien que ça, du haut de ses 29 titres de champion d’Italie. On l’accuse de corruption, de chantage, d’avoir mis en place un système de tricherie à grande échelle, incluant l’achat d’arbitres, voire de joueurs, pour s’assurer la victoire dans le Championnat 2004-2005... Des mises en examen ont été prononcées, pour « association de malfaiteurs »... Le président de la Fédération italienne a déjà démissionné... La Juve, ancien club de Platini (on en revient toujours à Platini) propriété de la famille Agnelli. Lisez à ce sujet les circonstances dans lesquelles le petit-fils d’Agnelli n’a pas pu reprendre le club de son grand père, la route barrée par les Moggi, qui aujourd’hui ont tous démissionné...

Désormais, devant tout cette « pourriture », pour reprendre l’expression d’un journaliste italien, il ne s’agit pas de désaimer le football, il s’agit plutôt de comprendre pourquoi on l’aime encore, ce royaume trahi.  Le milieu du terrain, Denis ROBERT, éd. Les Arènes, sortie le 25 mai)


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3 réactions à cet article    


  • musil (---.---.173.182) 19 mai 2006 11:04

    Bravo, Denis, tu ne nous déçois pas ,continue ton travail de salubrité publique. J’attends impatiemment de lire ton livre...


    • marcel thiriet (---.---.244.124) 19 mai 2006 17:33

      Bravo, Lilian, j’apprécie toujours autant tes participations à nos débats sur Agoravox

      Il est intéressant de savoir que Denis Robert est (ou était ?) un fan du Club de Metz , sa région..


      • marcel thiriet (---.---.185.47) 19 mai 2006 18:58

        C’est le désert...aucun écho...à la veille du Mondial ,dont les échos vont polluer les vrais débats, anesthésier les esprits par media interposés ...Panem et circenses ...( Nihil novi...)

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