La Cité de l’architecture & du patrimoine du Palais de Chaillot
Après des mois de rénovation, la Cité de l’Architecture et du Patrimoine ouvre ses portes à Paris dans le Palais de Chaillot entièrement rénové.
Enfin un nouvel espace significatif et grand dédié entièrement à l’architecture ! Il y a des exposition
temporaires et, surtout, deux départements présentant l’un de l’architecture
ancienne, l’autre de l’architecture contemporaine (nous omettons provisoirement
la galerie des peintures murales qui doit faire l’objet d’un article en
elle-même).
Je suis allé voir le Palais en très bonne compagnie puisque j’y étais avec mon
associée Isabelle, qui a fait l’école du Louvre, et Jean-François (son conjoint
hélas pour moi :-( ), diplômé de l’École de Chaillot et dont les études ont eu
lieu ici-même. Trois architectes, la discussion a été extrêmement vive,
compte-rendu.
La "galerie des moulages" est véritablement impressionnante. Ce sont des pans
entiers d’édifices du Moyen Âge au XVIIIe siècle qui ont été moulés sur les
originaux et sont restitués en vraie grandeur dans les immenses salles du Palais
de Chaillot. Il faut savoir qu’elles ne sont plus depuis longtemps des copies.
Elles sont réalisées avec tant de finesse que les restaurateurs des monuments
historiques les utilisent pour reconstituer sur site les éléments d’architecture
originaux, les poitrails, les colonnes, les statues, qui s’abîment et
dépérissent dehors. Ces moulages sont donc de véritables "fossiles vivants"
d’architecture. En un sens, elles sont plus "authentiques" que "l’original" sur
place aujourd’hui dégradé par les intempéries puisque les moulages sont devenues
plus proches de l’oeuvre neuve sculptée par l’artisan il y a plusieurs siècles.
Elles ont le grain de la pierre et sont comme neuves. Ce que vous voyez à
Chaillot, vous ne le verrez donc pas ailleurs. Toutes les pièces sont belles,
toutes les pièces sont importantes. On y voit d’énormes gargouilles comme on ne
les voit jamais si bien, à quelques mètres. Les chapiteaux de Moissac à pouvoir
toucher. Des chefs-d’oeuvres de charpentes de flèches de cathédrale, de
châteaux, d’abbayes, toutes en bois avec des assemblages microscopiques. Les
célèbres toitures à la Philibert de l’Orme assemblées par clavettes. L’immense
abbaye de Cluny, aussi grande que Saint-Pierre de Rome, est entièrement
reconstituée là sous nos yeux. Tout ceci est d’une beauté extraordinaire. A un
endroit on peut même passer derrière un moulage de plusieurs étages et voir le
magnifique travail de charpente tenant l’installation.
Comme il est triste que, devant tant de beautés, les panneaux des explications
des oeuvres soient si pauvres ! Comme vous le savez, nous sommes en guerre contre
cette méthode des musées d’aujourd’hui de restreindre les explications des
oeuvres à des dates, des noms et de la technique. Il y a quand même des choses
plus intéressantes à dire au public que le numéro d’inventaire de l’objet ! Enfin
quoi, cette cité n’est pas réservée aux initiés ! Tout le monde doit y trouver
son plaisir et il est à nos yeux du devoir des experts de venir raconter au
public ce qu’il voit. Car enfin, s’ils ne le font pas, qui le fera ? Pourquoi ne
pas raconter l’oeuvre ? Un texte, même long, ne peut pas gêner. Si certains ne s’y
intéressent pas, ils ne le liront pas. Les commentaires s’adresseront aux
autres. Ils sont fort nombreux. Il faut voir la foule se presser pour lire,
avide de comprendre ces magnifiques morceaux du passé et repartir aussi vite,
déçue par ce qu’elle a lue, hagarde dans ces grandes pièces qui se transforment
en de tristes salles des pas perdus. Il y a une vraie demande du public : une
femme nous interpelle dans la foule : "Mais pourquoi parlez-vous du puits de
moïse ? Il n’y a pas de puits dans l’histoire de Moïse." Oups ! Pardon Madame.
On aurait pu préciser par exemple, que si ici le Christ est représenté en
majesté jugeant les vivants et les morts sur ce
tympan,
c’est parce que nous sommes devant la façade Ouest, avec derrière nous le soleil
qui se couche, donc la façade de la mort. Et si l’on rendait autrefois les
jugements devant ce porche, c’était pour qu’à la présence du juge se surajoute
au-dessus de lui l’image du Dieu redoutable du dernier jour le bras levé et le
regard droit. Qu’entrer dans une église, c’est aller de l’Ouest vers l’Est où le
soleil se lève, et c’est comme remonter vers sa naissance. Que les quatre
animaux entourant le Christ sont bien sûr les apôtres, mais aussi les quatre
moments de la vie du Seigneur. L’homme sa naissance de chair, le boeuf sa mort,
l’aigle sa montée au ciel et le lion sa résurrection puisque comme chacun sait
les lionceaux naissent mort-nés et c’est le souffle du lion qui les amène à la
vie.
Et regardez cette abeille, qui est la Vierge, chaste et féconde comme elle. Et
encore ce cierge rien moins que le corps du Christ Lui-même, blanc, lumineux,
s’allumant et s’éteignant comme notre foi vacillante dans le vent du doute. Et
ces deux hommes buvant aux seins de l’Église représentée en reine, le lait des
deux testaments. Ici Aristote lui-même à quatre pattes portant la belle indienne
sur son dos ! Et la nature ! Du sol jusqu’aux flèches des églises, elle coure
partout sur les façades, se mêle aux personnages les plus graves et montre mieux
la campagne française qu’un mur végétal de Patrick Blanc. Il y a tant de si
belles choses à raconter sur ces oeuvres et que l’on ne connaît plus. Beaucoup
de ces sculptures sont inspirées bien sûr des Testaments, mais aussi d’autres
livres, comme par exemple La Légende dorée, L’Histoire du voyage de
Charlemagne en Orient, ouvrages jugés tellement importants et édifiants par le
Moyen Âge qu’il n’hésitait pas à mélanger aux textes canoniques ces belles
légendes. Vraiment en n’expliquant pas toutes ces images de notre patrimoine
français, c’est comme si nous regardions un texte en latin. Nous perdons tout et
c’est grave, car notre siècle n’y met rien à la place. Certes, on sent bien que
les restaurateurs de cette galerie ont voulu préserver avant tout le charme de
la scénographie du XIXe siècle du Palais. Mais quand même un peu de lumières
différentes, des pénombres, des lumières colorées comme des vitraux dans
certaines salles auraient été les bienvenus pour nous faire ressentir encore mieux
l’odeur, la fraîcheur, le mystère des églises de la foi chrétienne. Pas une
seule vidéo, pas un écran, pas d’internet. De l’architecture à l’état brut, nous
sommes à Chaillot.
L’architecture contemporaine ! A coté de ces salles d’architecture ancienne, la
visite de l’exposition permanente d’architecture moderne et contemporaine donne
un peu l’impression de se promener à la Défense après avoir visité un quartier
ancien de Paris. Un peu de blues, l’impression qu’il manque quelque chose
d’important. Il y a trop de nos confrères dans cette galerie pour que nous
puissions en parler librement. C’est d’ailleurs un grand reproche de notre part : il aurait fallu dans l’exposition permanente s’en tenir aux architectes morts et
réserver les vivants aux manifestations temporaires. Cela aurait laisser aux
historiens le temps et la tranquillité pour distinguer les oeuvres vraiment
historiques du reste (traduction : entre ce qui vaut vraiment le coup et ce qui
n’est que politique). Comme on n’a pas fait cela, quelques erreurs adultèrent
cette belle exposition, sèment le doute dans le public et encombrent cet espace
déjà pas si grand. Nous n’en dirons pas plus.
Bon d’accord quelques mots quand même, mais parce que c’est vous.
L’élément le plus notable de la scénographie des espaces contemporains est çà et
là la couleur rose, en remplacement du rouge de l’époque du Palais de Chaillot.
Le rose et le vert pomme sont en architecture les deux couleurs de saison. Ne
nous demandez pas pourquoi : c’est la mode. Partout des maquettes, des films, des
livres et revues du XXe siècle et du nôtre, montrent très bien les édifices
les plus reconnus, sinon les plus significatifs, de notre temps (Tiens ? Il n’y a
pas le musée du Quai Branly). Le XXe siècle est le siècle de l’architecture :
nous nous sommes régalés. Voici quelques exemples d’édifices, pas forcément les
plus spectaculaires, mais ceux dont nous avons envie de parler. Il y a bien
entendu Le Corbusier. On peut arpenter sur place et en vraie grandeur un
appartement et sa rue intérieure de la Cité radieuse à Marseille. Le travail de
reconstitution est très soigné. Comme c’est supposé être un morceau de
l’immeuble, ils se sont appliqués à montrer la structure en béton dans les
parties coupées (très innovante à l’époque) comme si l’appartement avait été
réellement tronçonné puis apporté à Paris. Beaucoup d’émotion donc pour
nous
qui aimons tant Le Corbusier.
Une maquette d’une maison de Prouvé "démontable en fer pour colonies", une autre
encore splendide "maison du désert". Et aussi l’énorme
Crystal
Palace, tout en verre comme son nom l’indique, en construction avec de
petits personnages construisant les pièces. (Ce bâtiment ne devrait pas être là
puisqu’il n’est pas français. Pas grave : il est tellement beau.)
Ce fut un grand moment de joie de voir une maquette d’une
piscine-tournesol
que nous adorons. Nous lançons un cri d’alarme : ces petits joyaux
d’architecture, évoquant le loisir rien que par sa forme charmante, bourrés
d’idées, s’ouvrant au soleil comme son nom le précise, se refermant dès qu’il
fait froid, eh bien ces piscines sont vouées
une
par une à la démolition ! Elles ne sont pas aux normes. La belle affaire, la tour Eiffel est-elle aux normes IGH ?
Une vidéo culte est celle de l’architecte Jean Balladur, cousin de l’homme
politique, expliquant et promouvant la construction de la
Grande-Motte
sur la mer Méditerranée. Nous y retrouvons tout une époque : les voitures Simca,
les nouvelles routes dont la France était si fière, des yachts avec leur
propriétaire au téléphone, l’interview de l’architecte devant de petites maisons
du pays et non sa réalisation, les dessins faits au tableau, l’argumentaire qui
plaisait à ce moment. Pour comprendre l’ambiance d’après-guerre, ce film vaut
toute l’expo.
Comme il est dommage de ne pas avoir présenté la maquette originale du concours
de
Beaubourg
! Elle était forte. Que les détracteurs du Centre Georges-Pompidou sachent qu’à
l’origine le jury avait choisi un projet plus terrible encore que celui
finalement construit. Eh oui, on était en 68 ! (Trois ans plus tard précisément). Les
années 60, 70 avaient peut-être leur défauts mais l’Histoire
jugera ce que nos années 2000 auront construit de grand en échange. Nous
verrons.
Alors vraiment cette cité est un grand moment d’architecture française. Et si
l’architecture contemporaine ne vous parle pas, amusez-vous alors à comparer les
explications des architectes en face des édifices présentés : il y a parfois...
des différences.
Palais de Chaillot-Paris-citechaillot.fr
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