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La lumière ne se fait que sur les tombes… Et si les artistes nous éclairaient de leur vivant ? par André Bouny

Partager la création est chose sérieuse sans que ce soit triste pour autant. Je veux évoquer un artiste né à Oran.

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Songeons aux représentations rupestres des artistes préhistoriques, morts il y a des dizaines de milliers d’années. Ces œuvres qui nous parviennent nous disent l’essentiel : les animaux et les hommes partagent le même temps et le même espace. Les ancêtres préhistoriques de Lucien ont gravé un buffle avec un homme debout qui tapote le flanc de l’animal (R’cheg Dirhem, Sud oranais, région d’El Bayadh, Algérie). 

La roche était là, le bronze, à venir.

Lucien est sculpteur. Son œuvre est une admiration de la Nature. L’acuité de cet homme perçoit les attributs et les facultés propres aux humains et aux animaux. Ses mains nous offrent la subtile finesse de ce discernement. De cette humanimalité, il exsude un bestiaire durable, d’onyx de Chine, de pierre fine, de marbres, dont un dit « Rose Aurore » du Portugal, puis de bronze. Les lignes reproduisent jusqu’à la magie les mouvements spécifiques de l’animal représenté, avec une telle justesse que les volumes de son corps révèlent sa sérénité, la tranquillité de son environnement. Alors, le vide alentour devient paysage.

Un ours polaire de pierre fine dégage une blancheur digne d’un marbre de Luna. Ses formes épurées, douces et fluides, lisses comme la glace fondante, sont si fuyantes que l’imagination éprouve des difficultés à percevoir la limite de ses contours dans le décor naturel propre à l’animal. Là, encore un ours, celui-ci est en bronze. Allongé, sa tête repose sur ses pattes avant. Quiet, il dort.

Ici, un guépard tourne légèrement sa tête vers nous, donnant à deviner son calme, il semble nous dévisager paisiblement… Comment est-ce possible d’inscrire l’état d’esprit de l’animal, voire sa pensée, dans le bronze ? Lignes et volumes intacts exaltent sa poignante présence.

Un puissant rhinocéros de bronze, culoté et corseté de blindages, maintient à hauteur sa grande tête lourde.

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Et le délicieux hippocampe géant en marbre de Saint-Pons (Pyrénées), moucheté de rose, plus vrai que vrai…

L’éléphant ; la girafe ; le morse de bronze, défenses en agrafe, couleur cuir mouillé ; le manchot aux ailerons déployés ; l’hippopotame ramassé, le grand tétras de bronze vert-pourpre-violet ; le perroquet ; le boa émeraude dont la finition allie l’oxyde vert du bronze pour obtenir la véritable couleur du reptile ; le grand poisson ; le petit poisson rond en marbre « Brèche de Benou » ; et le hibou grand-duc de bronze doré. La patine de chaque bronze atteint la teinte naturelle de l’animal, foncé ou clair. Et le lion de bronze, majestueux et lumineux, animal qui donna le nom à la ville d’Oran. 

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La finition est admirable, magnétique, elle appelle la main. Il faut toucher les sculptures de Lucien, lui-même le dit et le recommande – contrairement aux galeristes pour qui le puissant désir de l’objet tenu à distance augmente la convoitise, décide l’achat. 

Là-bas, est-ce un cône cambrien, rongé par la mer, ayant servi de corne sonore à de lointains humains ? Ou bien une conque qui sait la rapidité de la tortue ? C’est une conque de Vénus géante, j’y ai vu les minuscules chancres de ses parasites externes, la porosité de la déminéralisation dans l’épaisseur de sa coquille, ouverte en coupe donnant sur l’intérieur de sa spirale lustrée où serpentent les infimes canaux des nerfs, un sommet de perfection et d’élégance, tranche de sensualité voluptueuse dans le marbre rose…, même si en réalité il est blanc.

L’œuvre de cet homme frêle, dont la vie fut une galère – comme celle de la plupart des artistes qui se réchauffent au poêle de la création –, ne donne pas de leçon. Seule la puissance de sa beauté, accompagnée par la force de son silence, nous intime le respect des animaux avec qui nous partageons la profondeur du temps et de l’espace. Si nos ancêtres préhistoriques ont gravé et peint les animaux sur la roche apparue avant eux, Lucien les y fait entrer, puis les en fait sortir pour ravir nos yeux. Entouré d’enfants, il a fait émerger de la matière une loutre, puis l’a déposée avec eux dans la nature, sur une berge de la Dordogne, où justement il y a des loutres. Moi qui ne crois pas, aride comme une touffe d’herbe sèche, dis : « Lucien Ghomri ou la main de Dieu ! » 

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1 réactions à cet article    


  • mmbbb 15 novembre 2023 13:11

    merci pour votre article . Une découverte de ce sculpteur talentueux qui a su saisir la beauté esthétique du monde animalier .

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