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Accueil du site > Culture & Loisirs > Culture > La mort selon Christian Boltanski

La mort selon Christian Boltanski

Sur un thème à la fois familier et angoissant, Boltanski a cherché à installer le visiteur dans une inquiétude diffuse. Mais son œuvre est trop parlante pour m’y être laissé imprégner. Exposition décevante mais musée à Vitry-sur-Seine très intéressant. Récit d’une visite.

Parallèlement à l’exposition "Personnes" au Grand Palais du janvier au 21 février 2010, l’artiste contemporain Christian Boltanski (une des « figures tutélaires de l’art contemporain en France ») a présenté parallèlement une autre exposition "Après" au Musée d’art contemporain du Val-de-Marne (le MacVal) à Vitry-sur-Seine, du 15 janvier à 28 mars 2010.
 
J’y suis allé le samedi 20 mars 2010 pour deux raisons : j’avais découvert Boltanski au Grand Palais et le sentiment partagé d’étrangeté et d’émotion me l’avait fait apprécier. J’ai voulu donc confirmer cette impression générale en allant voir la suite de son exposition du Grand Palais au MacVal. L’autre raison, c’est que je ne connaissais pas le MacVal et que c’était l’occasion de le visiter.
 
J’ai eu plutôt de la chance puisque ce week-end-là, c’était une manifestation organisée par Télérama et l’entrée y était donc gratuite.
 
J’ai passé une heure trente dont une demi-heure pour l’exposition de Christian Boltanski.
 
 
L’Au-delà comme un labyrinthe obscur
 
"Après" se présente comme la représentation de l’Au-delà dans l’imaginaire de Boltanski. Un imaginaire sans doute trop explicite.
 
Concrètement, le visiteur entre dans une très grande pièce découpée en de nombreux chemins, comme une sorte de labyrinthe, délimités par d’immenses cubes noirs qui ne sont que des façades de papiers plastique noirs, de différentes hauteurs. La salle a l’allure d’une ville en petites dimensions.
 
La salle est plongée dans l’obscurité la plus totale mais il y a suffisamment de lumière pour voir …qu’il n’y a pas grand chose à voir, et au bout d’un quart d’heure, l’œil est accommodé et arrive à voir comme en plein jour.
 
Au détour d’un recoin, il y a une sorte de pic stabilisé sur deux planches en bois qui symbolisent des jambes, et trois manches à balai, deux horizontaux et un vertical, au bout desquels est fixée une lampe halogène ou un néon, du genre de celui mobile utilisé dans un garage, par exemple. Le tout porte un manteau. Cela fait un peu "épouvantail".
 
Seules, dépassant donc, les mains et la tête que cela représente sont allumées, et une cellule photoélectrique est prévenue de l’arrivée des visiteurs et lâche un enregistrement sonore qui commence par "Dis-moi" ou "Et toi" avec une seule question par fantôme.
 
Les questions que j’ai notées sont les suivantes :
 
"Dis-moi, as-tu laissé un amour ?"
"Dis-moi, as-tu laissé beaucoup d’amis ?"
"Dis-moi, était-ce brutal ?"
"Dis-moi, as-tu eu peur ?"
"Dis-moi, étais-tu seul quand cela est arrivé ?"
"Dis-moi, cela s’est passé à l’hôpital ?"
"Dis-moi, y avait-il une lumière ?"
"Dis-moi, était-ce un accident ?"
"Dis-moi, as-tu beaucoup souffert ?"
 
Le ton est celui d’une cassette d’apprentissage d’une langue étrangère. Pas très "fantomatique".
 
Au fond, enfin, l’inscription "Après" s’allume périodiquement l’aide de petites ampoules rouges et mauves telles qu’on peut l’imaginer dans une décoration de Noël.
 
Boltanski a interdit l’accès de cette salle aux enfants de moins de quinze ans non accompagnés.
 
Enfin, c’était plutôt inutile. Car il n’y avait pas de quoi être choqué.
 
 
Le visiteur piégé dans le carcan de l’artiste
 
Non, je n’ai ressenti aucune émotion en visitant cette exposition.
Non, je n’ai eu aucun début de réflexion sur la mort, l’Au-delà, ni aucun début d’angoisse en parcourant ces allées obscures.
 
Au contraire, les quelques enfants qui étaient présents jouaient à courir d’allées en allées, à se cacher dans l’obscurité, à dire bonjour aux épouvantails.
 
Bien sûr, les différents épouvantails avaient une valeur symbolique : c’étaient d’autres morts, disparus avant le visiteur qui serait lui-même dans l’expérience d’être en train de mourir, et les gens qui les accueilleraient leur demanderaient tout naturellement comment cela s’était passé, leur propre mort : seul ? avec souffrance ? etc.
 
Mais avec moi, la mayonnaise n’a pas pris. J’ai pourtant eu beaucoup d’émotion au Grand Palais, mais au MacVal, aucune. Imposture, "Personnes" au Grand Palais ? j’avais répondu non. Pour "Après" à Vitry-sur-Seine (j’allais écrire "Vite ri sur scène"), peut-être ?
 
Dans l’investissement matériel, déjà, Christian Boltanski ne s’est pas beaucoup "foulé". Rien d’esthétique. Rien de vraiment subtil. Des symboles gros comme un bateau. Plutôt des clichés. Rien qui ne pourrait m’émouvoir, comme c’était pourtant le but.
 
Certes, c’est encore une exposition unique, c’est-à-dire chaque minute renouvelée par le visiteur lui-même, son angle de vue, sa position, ses allers et retours. Boltanski l’explique ainsi : « On n’est plus devant quelque chose, mais plutôt dans quelque chose. C’est ce qui m’intéresse aujourd’hui. ». J’apprécie ce principe qui rend encore plus subjective une œuvre, plus vivante, plus dynamique, qui ne peut désolidariser une œuvre de ses visiteurs.
 
Mais au-delà de ce principe général très contemporain, je n’y ai trouvé que déception. Parce que j’ai trouvé la mise en scène très légère, justement. Très pauvre.
 
Encore plus décevant que les "Thanatonautes" de Bernard Werber qui essayait de violer le mystère de l’Au-delà.
 
Bref, le visiteur arpente cette exposition comme une sorte de jeu à cache-cache pas avec la réflexion sur la mort mais avec des pantins peu vraisemblables et beaucoup trop terrestres.
 
Avec ces bandes sonores à peine audibles, on se croirait plus dans l’accueil d’une structure sociale où tous les êtres sont bienveillants, solidaires et empathiques.
 
Je ne sais pas si c’est la vision réelle que peut avoir Christian Boltanski de la mort ou simplement une construction artistique visant à provoquer le visiteur. Dans le premier cas, je pense que ma représentation personnelle est très différente de la sienne, mais c’est un sujet par définition personnel et subjectif. Dans le second cas, je pense que son objectif, en ce qui me concerne, n’est pas atteint, au contraire de son œuvre du Grand Palais.
 
À côté de cette salle, il y a toujours une petite salle pour venir "enregistrer" son cœur, dans le cadre des Archives du Cœur qu’accumule Boltanski, et des reproductions de photographies noir et blanc de regards (la bande du visage qui ne laisse apparaître que les deux yeux, comme le vieux générique de FR3 avant le film du mardi soir), des photos réalisées entre 1993 et 2006.
 
Ma déception sur l’exposition fut vite compensée par ma visite dans ce musée très particulier.
 
 
Un grand musée en pleine banlieue parisienne
 
Le MacVal est tout récent, inauguré en novembre 2005 par la volonté du Conseil général du Val-de-Marne avec le concours du Ministère de la Culture et du Conseil régional d’Île-de-France pour un coût de trente millions d’euros. Le but était de promouvoir la culture dans une ville de banlieue soumis à d’autres enjeux.
 
Construit par l’architecte Jacques Ripault, le bâtiment, blanc et spacieux, accueille 13 000 m2 de superficie dont 4 000 d’exposition (2 600 pour les expositions permanentes). Son esplanade donne sur le plus grand nœud de Vitry-sur-Seine, le carrefour de la Libération. Un jardin de 10 000 m2, étudié par le paysagiste Gilles Vexlard, complète l’ensemble.
 
L’intérieur est très bien conçu, avec de nombreuses passerelles entre les salles et une grande capacité d’accessibilité pour les personnes à mobilité réduite. Beaucoup de moyens matériels sont mis en œuvre pour les personnes handicapées, notamment pour les personnes mal et non voyantes, les personnes sourdes et malentendantes.
 
 
Un petit tour des œuvres exposées hors Boltanski
 
Parmi les autres œuvres exposées, j’ai retenu entre autres :
 
"Salon noir" est une exposition justement qui a commencé le 20 mars et qui finira le 25 avril 2010. Par chance, l’artiste était présente. Elle s’appelle Angelika Markul et a été invitée « dans le cadre du compagnonnage avec Christian Boltanski ». Elle présente des œuvres faites de morceaux en plastique transparents éclairés ou de panneaux noirs où sont collées des feuilles en aluminium froissées qui reflètent la lumière et qui ne sont pas sans rappeler les œuvres les plus récentes de Pierre Soulages sur lesquelles je reviendrai plus tard.
 
En longeant un mur, j’ai aussi pu admirer des photographies noir et blanc de Sabine Weiss (86 ans) qui datent de 1986 et qui représentent des habitants du Val-de-Marne. On y voit entre autres un vieux monsieur qui fait du vélo d’appartement, le salon d’une maison de retraite où un homme bavarde avec six ou sept dames, etc.
 
On peut aussi voir un film montrant des images de guerre, guerre stupide, avec un flou des traits et des couleurs très vives.
 
Visible de loin, le visiteur pourra aussi tout de suite imaginer un bateau dans ces trois panneaux uniquement noirs de goudron avec quelques parties blanches, et quelques ampoules en guise de hublots. C’est une œuvre figurative mais qui aurait pu n’être que de l’esthétique noir et blanc. En somme, une œuvre anti-Pierre Soulages. L’auteur de ce bateau Kriegsschatz est Sarkis (72 ans).
 
Élina Brotherus (38 ans) expose ses photographies de Finlande de 2006, autoportraits, avec paysage et nudité, en hommage à Érik Satie à qui elle emprunte des « intentions de jeu fantasques et poétiques ».
 
Il y a la compression plate d’une Citroën ZX neuve de couleur noire réalisée en 1995 par César (89 ans) pour qui cette technique est l’une des « nouvelles approches perceptives du réel ».
 
On peut aussi y voir un court-métrage de Dominique Angel (68 ans) sur l’évasion d’œuvre fragile du Musée des Beaux Arts de Nantes.
 
Enfin, un tableau de Philippe Cognée (53 ans) représentant un immeuble quadrillé est particulièrement prenant.
 
Beaucoup d’œuvres à la sensation contrastée y sont exposées, avec cependant une légère impression d’un surdimensionnement du musée.
 
 
Encore seulement deux journées pour "Après" de Boltanski
 
Christian Boltanski termine son exposition "Après" le 28 mars 2010. Je ne l’ai donc pas ressentie comme très intéressante car il ne laissait pas place à l’imagination ni à l’émotion, mais ce n’est que mon avis. Par son jeu de construction et sa notoriété, Boltanski a peut-être contribué aussi à mieux faire connaître le MacVal et certaines de ses œuvres permanentes. Ce qui est somme toute déjà bien positif.
 
 
 
Sylvain Rakotoarison (27 mars 2010)
 
 
Pour aller plus loin :
 
 
 
 
 

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La mort selon Christian Boltanski La mort selon Christian Boltanski

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1 réactions à cet article    


  • NOUVEL HERMES NOUVEL HERMES 27 mars 2010 18:59

    Mettre dans un même billet la nullité d’un Boltanski et le grand art d’un Philippe Cognée, c’est pour le moins étrange ! En art la notoriété n’équivaut pas au talent.

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