Les mystères du monde
« La peinture décrit les mystères du monde », « La révolte est un réflexe de l’homme vivant », disait le peintre surréaliste belge, Réné Magritte. Le surréalisme plane aussi au dessus de la Belgique dans beaucoup de domaines.
Le 20 mai, était inauguré en grande pompe, le nouveau Musée Magritte. Le Roi et la Reine ont particulièrement apprécié un des vingt exemplaires de l’"Empire des Lumières", la toile que le peintre a le plus aimé.
Ouverture au public dans l’Hôtel Altenloh, en plein centre de Bruxelles, sur la place Royale. Ce projet qui avait débuté en 2005, a coûté 6,5 millions d’euros. On y attend 700.000 visiteurs de tous les horizons. Le premier guide officiel du Japon disait à l’ouverture que les Japonais adoraient le mystère de Magritte et qu’il fallait interpréter en s’amusant. Une autre façon d’aimer la peinture, reconnaissait-il.
Le musée avec ses 250 œuvres ne représente que 10% de la globalité des œuvres du peintre. On y rencontre, exposés, 120 peintures, 61 photos, 40 dessins, 9 sculptures, des lettres et des documents. 2500 m2 sur trois étages qui remontent le temps de la vie du peintre. L’étage inférieur reprenant les œuvres les plus récentes, les plus connues. De plus en plus anciens, au fur et à mesure, de la montée dans les étages supérieurs. Michel Draguet, le conservateur du Musée des Beaux-Arts, Charly Herscovici, l’héritier en droits de la fondation éponyme sont les initiateurs avec le mécénat de compétence de l’État Fédéral et du Groupe GDF-Suez.
La vie de Réné Magritte n’a été que peintures, mais ce n’est que lors la dernière partie de sa vie qu’il reçoit la reconnaissance de ses pairs et du public. Peintre d’exception, pour le moins. Aujourd’hui, mondialement connu.
Pour sortir ou s’enfuir de la réalité des jours et entrer dans son empire ? Peut-être.
La peinture, pour Magritte, n’est que sa conception préliminaire d’appréhender le réel par l’imaginaire. Fusion en inversion entre l’objet et sa fonction dans une association simple mais perturbée qui se crée, avec en toile de fond, un scénario inattendu. Patchworks de concepts et d’images bien réelles dans un contexte qui ne l’est pas. Esprit critique, ambigu, voir irrévérencieux et provoquant.
Images freudiennes composées jamais à leur place. Objets remplacés et qui inquiète et amuse le visiteur.
L’histoire de Magritte est simple, bien belge. Une vie de 1898 à 1967. Marqué par le suicide de sa mère, il peint dès l’age de 13 ans mais c’est à l’age de 27 ans que sa peinture s’affirme dans ce qui fait Magritte aujourd’hui. Partagé entre Bruxelles et Paris, il traverse les deux guerres et cela se reflète dans sa peinture par des couleurs ternes, intimistes, pour en sortir par les couleurs du "Surréalisme en plein soleil" quand la fin de la 2ème se faisait sentir. Les couleurs n’étaient pas alors pas aimées et l’échec qui en suivi, le lança dans la provocation subversive de la "période vache" pour répondre à l’incompréhension de son époque. Période anarchiste, qu’il violenta avec ses tripes.
"Domaine enchanté", s’il en est. "La Fée ignorante" hante encore son domaine. Trop de couleurs, pas assez développé, dit-on, en coulisse. Mais, le surréalisme arrive progressivement.
L’abstraction, le rêve éveillé, la poésie par la peinture, voir ce que l’on ne voit pas, c’est tout l’Univers magrittien. Pas de surprise, puisque tout est imaginé avant de voir le réel. La trahison des images expliquée par son auteur. La peinture se détruit par sa concrétisation.
Un tableau très connu "Ceci n’est pas une pipe". Qu’est-ce, donc, alors ? Une trahison de l’image ? C’est la devinette que tout visiteur pourra s’imaginer avec sa propre sensibilité et son vécu.
Anne Marie Crowet, son modèle préférée, sa muse, fut la fille d’un de ses amis, Pierre Crowet. Celui-ci a été le premier à lui avoir acheté une toile. Elle a été très étonnée lors de sa première séance de pose. Il l’avait peinte avant de la voir. Une seule séance de pose pour confirmer seulement les traits du visage. La rencontre avec le modèle n’était qu’une confirmation d’un événement que l’imagination allait prolonger dans la répétition.
Complexité de l’esprit en décalage des sens à la rencontre avec un autre réel. Des thèmes qui reviennent mais qui se complètent. Des objets répétés qui se recréent. L’exemplaire unique de l"Empire des lumières" qu’il a tellement aimé ne fut offert à Anne-Marie Crowet qu’à la fin de sa vie. Elle en 9 tableaux. Se moquer de lui-même était son sport, sans le reconnaître comme tel. "Pas de chiquet chez Magritte", dit, encore, sa Muse.
Georgette, son épouse, a été un autre modèle par l’inspiration des portraits.
Un jour, disait-elle, lors d’une visite du Musée de peintures des Offices à Florence, à la question de ce qu’il y avait aimé. Sa réponse fut, laconique : les cartes postales. Les cartes postales transmettent l’image sans la vérité.
Si James Ensor pouvait être une de ses consciences de création, on est bien loin de Dali avec son caractère fantasmagorique de l’extraordinaire et extraterrestre.
Magritte ne s’intéressait pas à la Belgique, disait son épouse. Qu’est-ce qui caractérise un Belge si ce n’est ce goût imprécis de l’irréel et d’en faire partie ou non ?
Magritte l’était bien plus qu’il ne l’aurait pensé.
Être belge et ne pas s’intéresser à la Belgique n’était-ce pas justement une partie de son surréalisme ? Le réel est tellement énervant, parfois que le Belge se tourne très souvent vers le surréalisme par les attitudes, la politique et la pratique de l’incompréhensible.
Un autre exemple ? En politique, c’est itou de même. On sait qu’elle n’est pas parfaite, mais dans le fond, on s’en fout.
Nous sommes à la veille de grandes élections qui chez nous serons doubles : régionales et européennes.
Imaginons, dès lors, Madame Tout-le-Monde belge, dans l’isoloir, devant l’écran noir de son ordinateur avec le crayon électronique à la main pour voter. Qu’y verra-t-elle ? Sera ce vraiment la liste des candidats ? Non, ce sera sa table de salon qui n’aura pas nécessairement une forme de porte comme celle de Magritte. Ce sera un cadre avec un bon repas. Et, oui, il faut vous dire qu’elle est un peu profiteuse, la belle. Elle se rappellera que son homme lui a promis un resto avec les obligations électoralistes. Elle l’attendait, depuis longtemps, ce jour-là et pas pour aller voter. Et puis, comme c’est dimanche, elle imaginera encore la petite balade avec des arbres et beaucoup de fleurs, au milieu. La politique l’emmerde. C’est clair. Elle sait qu’elle doit aller voter. Elle se sent citoyenne. Point. Le vote, elle le fera, par habitude, presque par inadvertance. Dans son rêve, elle n’est plus dans l’isoloir, elle sera, déjà, dans son jardin.
Les politiciens et les médias connaissent très bien ce désintéressement, d’ailleurs. Pas de campagne à la hussarde. Celle-ci n’a commencé que dans la dernière ligne droite. Pour animer et émoustiller les esprits, on a recherché les poux, les "affaires", comme on les appelle chez nous et elles sont nombreuses. On y perdrait son latin. Elles existent, toujours, celles-là, au moment où on les attend le moins.
Pas dupe, l’électrice, pourtant. Ces quelques secondes devant l’écran, lui paraîtront longues, trop longues. Il faudra qu’elle se dépêche. Qui saura, elle aura, peut-être, la chance de rencontrer la voisine sur le chemin de retour, juste avant de se préparer pour le resto. Alors, vite, son coup de pinceau, pardon, de crayon électronique qu’il faut appliquer sur cette liste de malheur et puis s’en vont. Elle s’est entraînée avec le nouvel ordi acheté récemment. C’est devenu une pro.
Dans un autre bureau de vote, ce sera son homme qui se trouvera dans la même situation. Lui, dans l’écran, il verra en imagination le match de foot de l’après-midi avec le steak bleu avec frites et mayonnaise sur le côté.
Faut pas croire qu’il ait tout le temps une brique dans le ventre, comme le laisserait penser les médias.
Surréalistes, nos élections, notre sport, notre cuisine...
Râleur, bougon, dans un monde irréel, ce Belge, mais toujours bon enfant...
Ce sera sans révolution, seulement par glissements et tassements de terrains qui se dessineront dans le décodage des résultats à la proportionnelle. Une véritable quadrature que ne renierait aucun cercle et surtout pas, des élus au milieu.
Je vous l’avais bien dit, que nous avions quelque chose de spécial. Je ne parvenais pas à le définir, à vous en trouver les raisons quand j’ai écrit mes articles sur Bruxelles. Magritte m’en a donné la peinture. Du surréalisme, mixé à du pragmatisme, la voilà, donc, cette raison.
Paul Delvaux avait une autre forme de surréalisme. Post-impressionniste ou expressionniste, on ne le sait pas vraiment. Arrivé aux frontières du rationnel avec la nudité de la femme dans toute sa beauté.
Un autre belge, Jean-Michel Folon passait par le même scénario mais dans la sculpture. Son musée et sa Fondation, à lui, se trouvent dans le parc du Château de la Hulpe.
"Voyages aux pays de Folon", c’était l’année passé. Styles différents mais complémentaires. Époques juxtaposées, mais qui reflètent parfaitement l’esprit souvent incompris de nos amis français, esprit qualifié de "Ça, c’est du belge".
Un autre encore, très actuel, Philippe Geluck, Le Chat, en joue de ce surréalisme par la BD et le dessin avec son chat en leitmotiv avec les mots en déphasage.
Le Musée Magritte n’ouvrira ses portes au public que le 2 juin. Je ne pourrai vous en donner les échos avant cela.
Rien n’empêche que vous y veniez voir les images surréalistes de Folon sur ces mystères du monde avant celles que je ferai de l’événement.
Mais attention, le Musée de Magritte n’est, peut-être, pas un Musée.
"Non, peut-être", dirait le Belge. Le Français, lui, serait tenter de dire "Oui, assurément". Chacun son truc à plumes ou à poils.
Circulez, y a rien à voir, mais tout à rêver.
L’Enfoiré,
La RTBF y était (journal du 20 mai)
Citations :
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« L’idée de surréalisme tend simplement à la récupération totale de notre force psychique. », André Breton
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« On peut très bien éprouver le sentiment de l’absolu en se faisant la barbe ou en mangeant des gaufres. », Marcel Havrenne
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« Tout porte à croire qu’il existe un point de l’esprit d’où la vie et la mort, le réel et l’imaginaire, le passé et l’avenir, le haut et le bas, le communicable et l’incommunicable cesseront d’être perçus contradictoirement. », André Breton
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