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Les neiges du Kilimandjaro (4)

Pour ce film, Robert Guédiguian se recommande d’une adaptation libre, voire très libre, des « pauvres gens » de Victor Hugo. C’est un beau cadeau qu’il se fait à lui-même. L’ensemble des critiques sur ce film étant très suivistes, chacun détaille, avec ses mots comme on dit, comment Guédiguian a bien filmé ce qu’il dit qu’il a filmé. Le rapport entre ce poème hugolien et les « pauvres gens » d’Hugo et ceux de Guédigian ne fait presque jamais le sujet de discours sur le film.

Cependant, l’histoire que Robert Guédiguian raconte n’a que peu de liens avec l’histoire du poème de Victor Hugo. Les ressemblances sont dans la fin de chacune des histoires : dans les deux, le couple protagoniste adopte les enfants d’un autre couple, plus malheureux qu’eux, et l’homme et la femme le font d’un commun accord tacite qu’ils découvrent par leurs actes, qu’ils ne se déclarent pas l’un à l’autre. Dans « les pauvres gens », le couple est même tout-à-fait plus malheureux qu’eux puisque deux époux sont morts ; les enfants adoptés sont orphelins.
 
La générosité des « pauvres gens » d’Hugo est autrement plus grande que celle de nos contemporains de l’Estaque : c’est en partageant leur nécessaire, leur si strict nécessaire, que les pêcheurs d’Hugo adoptent.
 
Il y a une différence de nature entre le prolétaire et le travailleur : le prolétaire n’a que sa progéniture pour subvenir à ses besoins quand il ne pourra plus travailler, du fait de la maladie, de l’accident ou du grand âge. Nous avons superposé les deux, Guédiguian aussi. Les pauvres gens d’Hugo sont des travailleurs prolétaires, ils ne sont pas ouvriers ; à l’inverse, les ouvriers d’aujourd’hui ne sont pas prolétaires. Les ouvriers d’aujourd’hui ont mille lois imparfaites et insuffisantes, mais ils ne sont pas dépendants au jour le jour de leur effort quotidien. Hugo : « L’homme est en mer. (…) …il faut qu’il sorte (…) car les petits enfants ont faim. » Je préfère préciser que je n’en ai nul regret, qu’il me semble que si l’on veut trouver une correspondance entre ces deux époques, il faut traiter cette différence.
 
Le poème d’Hugo est une longue description du métier de pêcheur, du froid, du danger, du hasard… « être en proie aux flots, c’est être en proie aux bêtes… » Où voit-on le travail, dans le film de Guédiguian ? Il me semble qu’on ne voit du travail que la distribution des journaux gratuits, avec ces échanges très didactiques : une dame remercie Michel et Marie-Claire de cette distribution qui la distrait, juste après qu’ils aient pesté contre leur participation contrainte à l’aliénation de la consommation.
 
Surtout, il n’y a rien de commun dans ce qui amène à ces deux adoptions généreuses. Chez Hugo, les enfants adoptés sont ceux d’une veuve qui vient de mourir dans la nuit, ses petits près d’elle. Le père comme la mère sont morts à la tâche. C’est ce qu’on comprend. Ils partagent le même monde, la même condition que le couple adopteur. Ils n’ont vraiment que leur travail avec eux, et un travail terrible, à mourir à chaque instant.
 
"Pour moi, nous dit Guédiguian, l'une des choses les plus graves dans la société actuelle est qu'il n'y a plus de conscience de classe. Il n'y a plus de « classe ouvrière », il y a des « pauvres gens ». Or, la conscience d’être des pauvres gens n’existe pas. Hier, on pouvait être ensemble, avec des intérêts communs. » Si l’on s’appuie sur une comparaison des « neiges du Kilimandjaro » et « des pauvres gens », c’est tout-à-fait le contraire. Les prolétaires s’entraident, se soutiennent. Ils choisissent même d’adopter les enfants sans s’occuper d’enterrer la mère (peut-être le feront-ils plus tard). Ils choisissent la protection de la vie.
 
Les ouvriers de nos jours s’opposent par tous les moyens, y compris la violence physique, pour bénéficier des structures sociales, justement parce qu’elles sont déficientes et en diminution.
 
« Aujourd'hui, il y a deux peuples, l'un autochtone, salarié, syndiqué, pavillonnaire, l'autre chômeur, immigré, délinquant, banlieusard. Je veux démasquer cette imposture intellectuelle. Je ne changerai jamais d’avis là-dessus, c’est là l’essentiel. » D’autres fois, Guédiguian dit « il n’y a pas deux peuples » c’est-à-dire, on veut nous faire croire qu’il y a deux peuples. Certes, mais qui est ce « on » ? Et pendant que ce « on » agissait ou agit, que faisait la classe ouvrière ? Et puis, ce qui fonctionne dans son film, c’est deux peuples pour le jeune et un seul pour les anciens. Hier le bien (un seul peuple). Aujourd’hui, le mal (une imposture intellectuelle : la division du peuple).
 
Il semblerait qu’il suffise de parler explicitement, nominalement de la classe ouvrière, de contempler le fossé qui nous sépare du temps passé mais proche où les ouvriers dans les grands ensembles industriels étaient solidaires et généreux (hum…), pour faire œuvre utile, progressiste, de gauche. Et de croire ? (de déclarer, comme le fait Guédiguian, qu’on ne changera pas d’avis). Quant à moi, je ne souhaite pas croire, je souhaite analyser (dire de quoi c’est fait).

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9 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 23 décembre 2011 12:33

    "Les ouvriers d’aujourd’hui ont mille lois imparfaites et insuffisantes, mais ils ne sont pas dépendants au jour le jour de leur effort quotidien."
    sans economie, si


    • Ariane Walter Ariane Walter 23 décembre 2011 19:41

      Très intéressant.
      Merci.


      • Francis, agnotologue JL1 24 décembre 2011 09:57

        Ariane,

        vous avez vu le film ?


      • samagace69 24 décembre 2011 07:16

        J’avoue que j’ai du mal à identifier ce que vous voulez démontrer.c’est alambiqué au possible. Etes vous pour la cause progressiste des ouvriers ou non ?

        que voulez vous démontrer au juste ?
        merci pour un pauvre ouvrier comme moi.

        • Orélien Péréol Aurélien Péréol 24 décembre 2011 09:36

          à samagace69 : Je ne veux rien démontrer, je cherche à savoir ce qu’il y a dans ce film. Je cherche à dire de quoi il est fait, quelles sont les résonances profondes de ce que l’on voit et de ce que l’on entend.

          Ce que j’ai vu, c’est qu’il n’y avait pas, du tout, ce que l’on disait qu’il y avait : en gros, une éternelle défaite des ouvriers, qui serait pire que dans un temps ancien parce que la bourgeoisie qui domine les ouvriers et en fait ce qu’elle veut, a réussi à les dresser les uns contre les autres, faire disparaître leur conscience de classe.

          J’ai vu un film psychologique, situé dans le monde ouvrier, ce qui m’a paru intéressant, parce que d’habitude, les ouvriers ont des problèmes d’ouvriers et les bourgeois ont des problèmes de psychologie, plus universels.
          La force avec laquelle des commentateurs m’ont insulté m’a obligé à poursuivre mon analyse, ce qui n’était pas mon intention du tout, parce que je tiens à rester dans l’argumentation. Je prépare un petit livre, qui fera environ deux fois la totalité de mes 4 articles.

          Je déplore le succès du film de Guédiguian qui me parait contre la cause progressiste des ouvriers. C’est un film où les ouvriers sont régressifs, faibles, pleurnichards, dépassés par leur condition ouvrière, découragés, visant d’aller se promener en Afrique chez des plus pauvres qu’eux... et je suis, tout au contraire pour une pensée ouvrière, et une action, politique, dynamique, tournée vers l’avenir, inventive, progressiste.

          A aucun moment, je ne mets en cause la bonne foi de Guédiguian, ni de toutes celles et ceux qui avec lui, voient dans son film un exposé d’une cause progressiste.

          J’avais écrit cela il y a longtemps.



          • Francis, agnotologue JL1 24 décembre 2011 09:57

            « d’habitude, les ouvriers ont des problèmes d’ouvriers et les bourgeois ont des problèmes de psychologie, plus universels. » (péreol)

             smiley  smiley  smiley

            Le même inénarrable écrit : "C’est un film où les ouvriers sont régressifs, faibles, pleurnichards, dépassés par leur condition ouvrière, découragés« (Péreol)

            Nous n’avons pas vu le même film ! Moi j’ai vu des personnes dignes et qui assument.
            Lui, parce qu’il a vu un couple à la retraite se faire offrir un voyage au Kilimandjaro, en conclue bêtement : »les ouvriers rêvent d’aller se promener chez des plus pauvres qu’eux !"

            Moi j’ai vu des personnes qui doivent renoncer au cadeau qui leur a été offert et qui s’en sortent noblement. Lui a refusé de voir dans ce film que ces ouvriers se conduisent mieux que les bourgeois qu’il connait ; et ça, il se gardera bien de le généraliser.

            Car pour les bourgeois imbéciles, les ouvriers sont forcément moins bien qu’eux, sinon ils ne seraient pas si pauvres. Pour un bourgeois imbécile (qui a dit pléonasme ?), la pauvreté est un vice et réciproquement. Et vive DSK !


          • Orélien Péréol Aurélien Péréol 24 décembre 2011 13:01
            à JL1

            Vous n’avez que l’invective et la haine à la bouche.
            Vous demandez à Ariane si elle a vu le film. Votre mépris pour elle est indigne (pour parler comme vous, juste un instant). Mais vous m’avez insulté déjà. Votre mépris sous forme de question est peu de chose.

            Vous faites des amalgames fous, insensés : « vive DSK ! »

            Vous suggérez sans le dire, avec un manque de franchise qui vous déshonore, que je serais un bourgeois imbécile, ce qui serait, selon vous, un pléonasme, et que je connaîtrais bien les bourgeois...

            Nous avons vu le même film, évidemment, il n’y en a qu’un !
            Votre manque de lucidité, de clairvoyance, peut se lire dans le fait que vous fantasmez que je serais un bourgeois alors que je suis fils d’ouvriers, petit-fils d’ouvriers (puisque vous êtes dans l’identitaire, je le rajoute car c’est vrai, en plus, (dans le domaine de vos fantasmes, cela doit bien être « en plus »), en plus d’être fils d’ouvriers, je suis petit-fils d’ouvriers).

          • Francis, agnotologue JL1 24 décembre 2011 13:18

            Péreol,

            le seul pleurnichard que j’ai vu dans cette histoire, c’est vous.

            Dois-je rappeler que votre premier article sur ce sujet décrivait, je cite, « un film sur la victimisation ».

            Que ceux et celles qui l’ont vu nous disent ici ce qu’ils en pensent. Ariane Walter est une grande fille capable de me répondre comme il convient, je ne vois pas où il y aurait du mépris dans ma question.

            Vous manquez totalement de finesse : bien entendu qu’il n’y a qu’un film ! Par votre réponse vous montrez que vous n’avez même pas perçu l’ironie de la phrase ! Et puis, où avez-vous vu que je vous traite de bourgeois ? J’ai parlé de ceux que vous côtoyez, lisez bien. Vous en côtoyez des bourges, non ?

            Désolé, Péreol, mais je vous trouve très mauvais analyste : vous devriez changer de registre.


          • Orélien Péréol Aurélien Péréol 24 décembre 2011 13:44

            Je vous laisse à votre aveuglement et aux répétitions qui en naissent.

            Vous ne voyez rien. Vous l’affirmez vous-même.

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