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Maurizio Pollini, « un miracle de rigueur et d’expressivité »

« La mort de Maurizio Pollini laisse un grand vide dans le monde de la musique. Virtuose inégalé du piano, Pollini a marqué par sa précision technique, son sens de l'expression et sa profondeur artistique, particulièrement dans l’œuvre de Chopin. » (Aurélie Moreau, France Musique le 25 mars 2024).

Ce week-end, deux très grands musiciens sont morts, Maurizio Pollini et Péter Eötvös. Maurizio Pollini est mort ce samedi 23 mars 2024 à Milan des suites d'un problème cardiovasculaire, à l'âge de 82 ans (il est né le 15 janvier 1942 à Milan également). Sa mort a été annoncée par la Scala de Milan qui a rendu hommage à « l'un des grands musiciens de notre temps » et à « une référence fondamentale de la vie artistique du Théâtre depuis plus de cinquante ans ».

Le pianiste italien a gagné sa notoriété très rapidement et déjà à l'âge de 30 ans, il était considéré comme l'un des plus grands pianistes contemporains du monde : première leçon à 6 ans ; premier concert à 10 ans ; à 15 ans, il a émerveillé son auditoire et la presse pour son interprétation "époustouflante" des Études de Chopin ; un trophée à 16 ans au Concours international Chopin à Genève, mais seulement le deuxième prix, derrière Martha Argerich ; première reconnaissance à 18 ans en remportant le premier prix du Concours international Chopin à Varsovie. Son génie musical était alors reconnu par Arthur Rubinstein (1887-1982) : « Il joue mieux qu'aucun d'entre nous. », le "nous" étant les membres du jury dont il faisait partie avec Nadia Boulanger et Heinrich Neuhaus. Ce fut le début d'une longue amitié avec Arthur Rubinstein. Pollini était à la fois l'interprète des grands classiques et le promoteur de la création artistique, pour son envie de découverte et de modernité.

S'il a été quelquefois chef d'orchestre, Pollini était avant tout un pianiste qui a tenu de très nombreux concerts (une quarantaine de récitals par saison) et enregistré beaucoup de disques, notamment d'œuvres de Beethoven, de Chopin, de Bach et de Mozart. Sur scène, il pouvait jouer avec des amis comme Pierre Boulez, Péter Eötvös (qui lui a survécu de quelques heures), Herbert von Karajan, Karl Böhm, Claudio Abbado, aussi Mstislav Rostropovitch, Dietrich Fischer-Dieskau, etc. Son répertoire s'est élargi aussi à Boulez, Stockhausen, Schönberg, Berg, Nono, etc. L'un de ses derniers concerts a été tenu en 2022 à l'Académie Sainte-Cécile, à Rome, après cinq années de quasi-interruption.

J'ai eu la chance d'avoir eu l'occasion de l'écouter le 15 juin 2006 au Théâtre du Châtelet, à Paris, pour un unique récital. Au programme, du Chopin pour la première mi-temps et du Liszt pour la seconde mi-temps. Avec quatre bis à la fin, trois Chopin et un Liszt.

Nocturne op. 48 n°1 en ut mineur de Chopin.
Nocturne op. 48 n°2 en fa dièse mineur de Chopin.
Nocturne op. 55 n°1 en fa mineur de Chopin.
Nocturne op. 55 n°2 en mi bémol majeur de Chopin.

Lugubre Gondole de Liszt.
Nuages gris de Liszt.

 

 




C'est difficile ici de retranscrire l'envoûtement que j'avais ressenti. C’est plus facile de décrire l’émotion des tableaux, la volupté d’un geste de danse. Moins d'une interprétation musicale.

L’homme avait une belle prestance avec sa queue de pie. À cette époque, il avait seulement 64 ans, mais je lui en donnais bien dix de plus (impression qu'a eue aussi Jean-Pierre Rousseau bien plus tard, en 2019, voir plus loin). Pourquoi donc cette différence ? Surtout qu'il était connu avec sa tête de jeune homme dans les années 1960. On le disait pudique et réservé. Les récitals devaient être assez contraignants et épuisants, avec tant de concentration.

Une voisine de fauteuil expliquait à ses proches (c'est toujours bien de laisser traîner une oreille dans ce cas) que Pollini avait eu une période "glaciale", où il mettait trop de distance avec l’œuvre qu’il interprétait, mais qu'ensuite, cela allait mieux. Car le génie de Pollini était double : la technique et le cœur, mais ce cœur s'exprimait plus difficilement.

Wikipédia affirmait à l'époque (en 2006) : « Si Pollini est un exemple frappant de maîtrise absolue du clavier, il lui est parfois reproché une certaine distance émotionnelle ; mais ses admirateurs répondent que cela est plutôt le signe d'une rigueur musicale qui refuse de se compromettre avec la sensiblerie, surtout quand il s'agit d'interpréter des œuvres comme celles du répertoire romantique. ».

Le critique musical Jacques Lonchampt, pour "Le Monde", ajustait le portrait de Pollini : « Il a conquis dans le silence la maîtrise de l'empire pianistique : il sait qu'il ne suffit pas d'avoir de la technique et une sonorité, et il a élaboré entre les notes des mélodies, les blocs sonores, les rythmes, les mouvements du discours et les états d'âme, une architecture sans faille dans laquelle, par les plus justes pesées, tout l'univers entre en vibration. ».

Quant au compositeur André Boucourechliev, pour "Harmonie", il le décrivait ainsi : « Son jeu solaire fait pâlir les étoiles... Musicien absolu, sans limites spirituelles ni culturelles, ni techniques, Pollini est capable de rendre lumineuse la vérité de toute musique digne de ce nom, des classiques à Boulez. Pollini au piano est l'harmonie incarnée, sans secrets, sans gestes spectaculaires, sans étrangeté, il sera probablement sans légende aussi, car il n'a que sa musique à offrir. Il n'attisera ni comblera la soif de mythe du public (…). Réincarner une œuvre, faire vivre une plénitude absolue ce qu'à rêvé le compositeur, est sa passion, communicable. ».

Ancien directeur de la musique à Radio France, Jean-Pierre Rousseau a évoqué, dans son blog très intéressant et instructif, sa déception lorsqu'il a assisté à son seul récital de Maurizio Pollini le 21 novembre 2019 à la Philharmonie de Paris, pour les trois dernières sonates de Beethoven. Assurant tout de même qu'il avait chez lui l'intégrale des enregistrements de Pollini, il avouait cependant seulement son respect et son admiration, mais pas son adoration pour le pianiste : « J’ai plusieurs fois entendu, dans ma vie de mélomane (et d’organisateur) des musiciens âgés, voire très âgés (…). Ce qu’ils avaient perdu en technique, ils le restituaient en inspiration, en rayonnement, atteignant à l’essentiel. Je n’ai malheureusement entendu hier qu’un homme à son crépuscule. ».

 

 

Mais, treize ans auparavant, quel était mon ressenti au Châtelet ?
Envoûtant, je revenais toujours sur ce mot.

Envoûtant ce Chopin si lié, si maîtrisé, qui vous amenait aussi loin que le compositeur pourrait l’imaginer, dans cette onctuosité propre à faire chavirer les cœurs. Une ligne continue, droite, à peine sinueuse.

Plus dynamique, plus contrasté, plus vitupérant harmonieusement, ce Liszt qui nécessitait au pianiste toute l’énergie, tout le recueillement aussi. Une ligne brisée, avec des pointes en dents de scie, mais parfois aux bords sinueux.

Certains connaissent les langues couramment. Pollini, lui, parlait piano couramment, parlait clavier couramment. L’immense piano à queue, ouvert sur un public attentif qui n’hésita pas à l’acclamer à la fin de chaque partie... ce piano, cet instrument, là, seul posé sur l’immense scène... dépouillé de tout artifice... on aurait dit, les couleurs en moins, un toréador s’attaquant au taureau...

Les notes s’égrainaient au fil des mesures. Des notes venues de l’espace, venues en dehors du temps, des notes qui vous faisaient fermer les yeux, qui vous ballottaient le cœur... bref, des vibrations aux longueurs d’onde pourtant bien définies mais qui ici, faisaient parler les tripes et pas l’hémisphère gauche.

Maurizio Pollini ne jouera plus, ni sur scène ni ailleurs. Mais il reste ses disques et d'autres enregistrements. France Musique a diffusé une émission spéciale en son hommage ce lundi 25 mars 2024, l'occasion d'écouter ou de réécouter quelques-unes de ses interprétations (que l'on peut réécouter ici).


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (25 mars 2024)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Péter Eötvös.
Maurizio Pollini.
Piotr Ilitch Tchaïkovsky.
György Ligeti.
Vangelis.
Nicholas Angelich.
Joséphine Baker.
Léo Delibes.
Ludwig van Beethoven.
Jean-Claude Casadesus.
Ennio Morricone.
Michel Legrand.
Francis Poulenc.
Francis Lai.
Georges Bizet.
George Gershwin.
Maurice Chevalier.
Leonard Bernstein.
Jean-Michel Jarre.
Pierre Henry.
Barbara Hannigan.
Claude Debussy.
Binet compositeur.
Pierre Boulez.
Karlheinz Stockhausen.
Mstislav Rostropovitch.
 

 


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6 réactions à cet article    


  • Antoine 28 mars 14:18

    Pour le moins étonnant que cet article soit à ce point moinssé, sans doute par des aficionados de la sous-culture...


    • Fergus Fergus 28 mars 15:24

      Bonjour, Antoine

      Non, l’auteur est systématiquement « moinssé » pour son allégeance à Macron et sa politique néolibérale. Bref, rien à voir avec la musique.

      Cela dit, si cet hommage est amplement mérité, force est de reconnaître que Maurizio Pollini n’a pas été le seul grand pianiste de son temps. Je pense par exemple à Martha Arguerich, Daniel Barenboïm et Radu Lupu ou, plus jeunes, Lang Lang et Hélène Grimaud.
      Personnellement, j’ai un faible pour Khatia Buniatishvili.


    • Antoine 28 mars 16:41

      @Fergus
      Ils sont donc encore plus cons que je pensais, ces pignoufs hors sujet. Pour Khatia, peut-être que sa chute de reins n’y est pas pour rien....



    • chantecler chantecler 28 mars 18:27

      Rien n’est pire que les critiques musicaux .

      Ainsi :"Jean-Pierre Rousseau a évoqué, dans son blog très intéressant et instructif, sa déception lorsqu’il a assisté à son seul récital de Maurizio Pollini le 21 novembre 2019 à la Philharmonie de Paris, pour les trois dernières sonates de Beethoven. Assurant tout de même qu’il avait chez lui l’intégrale des enregistrements de Pollini, il avouait cependant seulement son respect et son admiration, mais pas son adoration pour le pianiste :

      ....« 

      Ca ne veut pas dire grand chose !

      Un soliste n’est pas une machine et peut rater un concert car pas en forme .

      Il faut être culotté pour porter de tels jugements quand on n’est que scribouillard !

      cela dit »adorer" n’est pas un verbe adéquat ....


      • zygzornifle zygzornifle 31 mars 09:12

        Tout l’inverse de Macron .....

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