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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > AlKpote : l’Avenir

AlKpote : l’Avenir

Bien loin de la verve poétique d’Oxmo Puccino ou des récents délires incendiaires de La Rumeur, un artiste encore peu connu du grand public s’en donne à coeur joie : le satané AlKpote (lire « Alkapote »), rappeur inclassable, qui enchaîne les titres les plus farfelus et controversés. Si certains lui reprochent sa vulgarité, « AlK » a d’ores et déjà marqué son époque en adoptant un style qui fait mouche : le sien.

Par Bastien JEAN, avec l'aimable accord d'AlKpote

Tour à tour insolent, misogyne ou rentre-dedans, parfois tout ça à la fois, sans cesse scandaleux, Atef Kahlaoui se démarque par une écriture et un style unique. Vulgaire diront certains. Mais le résident du quartier du quartier des Pyramides (Essone), connu notamment sous les sobriquets de « Serge Gainzbeur », « AlKasanova », "La Ténébreuse mitrailleuse" ou encore « L’Aigle royal de Carthage »1, possède aussi une certaine répartie et un don pour l'absurde . Si on est obligé, pour des questions de bienséance, de condamner sa vulgarité et son côté misogyne, on ne peut s’empêcher de sourire, voire d’éclater de rire devant le mordant de certaines punchlines de l'oiseau. Ces quelques lignes ont donc pour ambition de vous faire voyager dans l’univers trash mais touchant d’un artiste largement incompris et trop rapidement jugé en présentant l’énergumène d'une manière volontairement subjective. Précisons d'emblée aux puristes, au risque de paraître pédant, que le propos de l'auteur n'est pas de se livrer à une analyse complète d'AlKpote du point de vue musical, démarche qui s'avèrerait être parfaitement inutile tant son oeuvre est dense. Ainsi, nous nous focaliserons plusieurs tubes de la Ténébreuse Mitrailleuse : Bande de Putains(2), bien sûr, mais également le classique Ce n'est que moi ou le récent Machin, sorti le 19 octobre dernier en collaboration avec Seth Gueko et Zekwé Ramos, autres spécimens notoires.

Bref rappel des faits

En 2010, la sortie du sulfureux Bande de Putains sur l’album AlKpote et la crème d'Ile de France 2 donne lieu à un vaste clash qui reste plus que jamais d'actualité. Dans un camp, les partisans d’AlKpote voient en leur guide le précurseur d’un style nouveau, voire l'avenir du rap pour les plus radicaux. En face, les opposants considèrent le titre pondu par l’Aigle royal de Carthage comme une exhaltation des pires clichés qu’on prête généralement à cette musique. Vous l’aurez compris, la misogynie, la violence et la vulgarité sont les principaux griefs qu’on porte à l'Empereur. Il est, à ce sujet, intéressant de s'arrêter sur le titre polémique pour tâcher de comprendre son fonctionnement.

Venu pour tailler le lard

Dès le début de Bande de putains, l’auditeur est prévenu : l’Empereur ne fait pas dans la dentelle. Il est venu pour tailler le gras, point barre. En effet, la première strophe parle d’elle-même : « Qu’est-ce qu’il se passe les petites garces / maintenant je rentre sur l’instru / je suis efficace / je dédicace au 9-1 bande de putain de putes." Une entrée risquée mais réussie, AlKpote choisissant de prendre à partie l'auditeur et ce d'entrée de jeu, sans doute pour mieux le charmer. Un procédé qui s'avère être un leitmotiv dans son oeuvre. Dans la phrase qui suit, l'auteur ne fait aucun mystère de ses intentions. S’il est là, ce n’est sûrement pas pour une partie de cartes : « C’est sans problème / j’vais prendre vos fesses. » J’en passe et pas des moindres. Ajoutez à cela le visuel stéréotypé du clip (une blondasse délurée, la présence d'une alkarabine, etc.) et vous obtenez le résultat escompté : AlKpote est aujourd’hui rangé dans la catégorie « vulgaire  » par ces Messieurs de la Cabale et par le grand public. D’autant plus que le choix des featurings ne va pas redorer le blason de l'Aigle de ce point de vue-là, puisqu’il a notamment posé aux côtés de L.I.M et même de l’indécrottable Morsay, qui est à la langue française ce que les vuvuzelas sont aux oreilles(4). Dès lors, me direz vous, qu’est-ce-qui rend notre auteur si croustillant ? On y arrive.

Plusieurs cordes à son arc

Car à y regarder de plus près, l’observateur avisé pourra prêter quelques qualités à l'Aigle royal de Carthage. Premièrement, ce dernier est doué d'un sens de l’auto-dérision et du second degré assez évident. Pour en revenir à Bande de putains, le bougre a notamment le bon goût de se réclamer par deux fois du grand Jacques, excusez du peu : « Je suis le Jacques Brel des temps modernes », et, plus loin : « J’ai le profil à Jacques Brel.  » Les inconditionnels de l’auteur de Marieke sont prévenus. Reste maintenant à savoir si AlK connaît la signification d’En schuurt het zand over mijn land5, ou s’il peut nous renseigner quant à la distance séparant Bruges de Gand. Une question à laquelle l'Aigle royal, contacté sur Facebook, a péféré ne pas répondre. Probablement pour entretenir le mystère.

Autre talent de l'énergumène : un sens de l’absurde hors du commun. AlK possède en effet une propension à trouver des alliances de concepts saugrenues auxquelles personne n'aurait pu songer. Dans l’excellent « Ce n’est que moi », titre égotrip conçu sur la base de répétitions d’ « AlK  » à toutes les sauces possibles, notre auteur pousse l'incongruité dans ses derniers retranchements lorsqu'il se propose de te « séquestrer dans l’Al-cave à vin ». Dans Bande de putains, véritable bible en la matière, il affirme sans détour qu’il « terrorise ta gazelle », concédant au passage être « un pyromane scatophile. » Sympa. Mais la palme revient sans aucun doute à cette phase venue d’ailleurs : « Tordu et bizarre, je pourrais descendre dans les égouts manger des pizzas comme une tortue ninja. »

Enfin, et c’est le dernier point de ce propos, on retrouve chez l’Aigle royal une capacité à former des néologismes étonnants, qualité dont son collègue Seth Gueko a déjà fait montre lorsqu’il nous parlait de sa bistouflex dans le titre éponyme, mais également lorsqu’il fit usage de l’adjectif jacquesmesrinois, dans le tube Shalom, Salam, Salut. Mais si Gueko utilise des procédés plus élaborés qui relèvent presque de la métalinguistique, AlK met en pratique, dans Ce n’est que moi, un procédé courant (manque description linguistique) : On obtient ainsi des « alkatastrophes », « l’alkarabine et les alkartouches » ou encore le «  alkamasutra  ». Bref, un procédé bien sentii pour ce titre, mais qui s’essouffle rapidement. Et c’est la que la patte de l’Aigle intervient une fois encore, AlK ayant le bon goût de ne prévoir qu’1’30’’ pour ce morceau.

Mais surtout, dans Bande de putains, AlKpote nous livre une réflexion sur la condition humaine, outrepassant les conceptions de Sartre ou de Camus : "9000 E / Sosie de Gargamel / espérant être plus heureux dans une autre vie parallèle." Qui débouche, si j'ose dire, sur un débat houleux quant à l'existence de l'âme.

Questions en suspens

Alors, Alkpote, grossier personnage ou lyriciste hors paire ? Misogyne de bas étage ou génie incompris ? A vous de trancher. Ce qui est sûr, c’est que l’Aigle n’aura de cesse de m’étonner, lui qui en vient même à citer John Locke5, sur le titre L’axe du mal. On n'a donc de loin pas fini de découvrir l'étendue de ses connaissances et de son univers. Mais si nous avons brièvement esquissé la philosophie kpotienne et abordé les mécanismes linguistiques mis à contribution dans l'oeuvre d'AlKpote, reste un problème, et il est de taille : celui du Machin, cité en début d'article et dernier morceau en date de trois artistes parmi les plus punk du rap français, à savoir l'Aigle, son acolyte Seth et le moins célèbre Zekwe Ramos. Car le morceau, sorti il y a à peine dix jours à l'heure ou nous mettons sous presse et déjà crédité de plus de 150'000 vue sur YouTube, prête à une vaste réflexion. A tel point qu'il serait utopique de tenter de résumer et d'analyser un tel ovni sans rallonger considérablement cet article. Aussi, l'auteur vous propose de revenir plus tard sur ce morceau, dans un machin qui lui sera consacré.

 

Notes

1) La liste des surnoms prêtés à l'empereur est longue. Le lecteur curieux en trouvera un aperçu sur www.wikipedia.org.

2) Le titre original de ce chef d'oeuvre est en fait Bande de putains de sales putes (AlKpote, Néochrome 2010). L'auteur a donc pris la liberté de raccourcir pour des raisons évidentes de lisibilité. Toutes les chansons dont on parle sont bien sur disponibles sur YouTube et chez ton meilleur disquaire.

3) Extrait de Marieke, Jacques Brel,

4) Qu'on pardonne à l'auteur l'emprunt évident à la citation culte, "Les vuvuzelas sont aux oreilles ce que l'equipe de France est aux yeux.", signée (manque référence), mais c'était trop tentant. Morsay, a.k.a "Le Farinet de Clignancour", est l'inventeur de la célèbre "barre de dislike" sur YouTube. Mais autant AlKpote et son crew sont mythiques, autant Morsay ne présente aucun intérêt pour le scientifique. Sinon celui d'avoir inspiré quelques jeux de mots sympas (Les Truands de la Grammaire, etc.)

5) Le philosophe John Locke (1632-1704) est un théoricien de la pensée économique qui s'est imtéressé à la question de l'Etat de droit.

 

Merci à AlKpote pour ses lumières et à tous ceux qui ont contribué, de près ou de loin, à la création de cet article.

 

© swaggadag.wordpress.com, "La seule vraie source d'information" - Octobre 2012.


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