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Accueil du site > Culture & Loisirs > Étonnant > La vieille aux deux fagots

La vieille aux deux fagots

À Morvandiau, inspirateur de cette histoire ! 

Pour un bouquet de houx.

Il était une fois une vieille femme, coureuse des bois, cueilleuse folle et sans doute, pour ceux qui prennent ombrage des comportements marginaux, un peu sorcière. Veuve depuis si longtemps, elle inquiétait par son obstination à vouloir rester seule malgré le poids des ans. Ce jour-là, ayant dû s'asseoir au pied d'un grand chêne tourmenté, elle reprenait son souffle, la tête lui tournait. Une sourde angoisse l'envahissait, le jour était tombé sans qu'elle s'en rende compte, tout affairée qu'elle était à préparer ses fagots.

Le temps sentait la neige comme disent les gens du coin. Pourtant la vieille était partie en ce jour de mi- décembre où les jours sont si courts … Elle avait taillé sa route pour se rendre aux affouages de l'hiver passé. Des arbres avaient été abattus, les parcelles éclaircies ; il était aisé d'y faire des fagots sans la crainte de s'accrocher aux ronces, aux épines noires ou aux églantiers.

Elle allait son chemin. La forêt avait toujours été son terrain de jeu. Au printemps elle y glanait les mousserons et les pieds de mouton, y ramassait quelques brins de muguet pour égayer sa demeure. L'été, elle y conduisait ses chèvres ; il y avait toujours pâture pour elle à l'humidité des clairières. Puis au déclin de la saison, elle y trouvait trompettes de la mort, chanterelles, mûres et noisettes. La forêt l'avait toujours bien servie.

L'hiver était plus rude. Pourtant, elle se souvenait avec nostalgie qu'elle y portait souvent le casse-croûte du père qui était bûcheron. Eugène, puisque tel était son nom, partait avec ses fils abattre et fendre le bois. Elle, toute jeunette alors , allait à leur rencontre avec son petit panier duquel dépassaient quelques bouteilles de vin rouge … C'était il y a si longtemps !

Ce jour-là, elle entra dans le bois, insouciante et joyeuse. Le poids des ans ne semblait pas avoir prise sur elle pas plus que ce ciel gris, lourd de menace et de nuages. La forêt était anormalement silencieuse comme si les animaux étaient dans l'attente de la neige ou d'un mystère plus profond encore ..

La vieille ne voulait pas tarder. Il lui fallait juste ramasser le bois mort dont elle avait besoin pour nourrir cette journée et le dimanche qui venait. Elle était toute affairée à son modeste ouvrage : son foyer était gourmand , l'âtre insatiable par ce froid pénétrant ; il ne fallait pas s'endormir à l'ouvrage. Elle déposa sa récolte en quelques tas soigneusement rangés puis s'en retourna, chargée de ce qu'elle pouvait prendre !

Dans sa quête forestière, elle avait tourné en rond , pensant que le chemin n'était pas très loin de là. Il lui fallait retrouver la lisière pour s'en retourner chez elle. Elle avança ainsi droit devant elle pendant une centaine de mètres, puis obliqua vers la droite car il lui semblait distinguer une clarté dans les branches mais elle n'était plus très sûre. Tout à coup, elle eut comme un doute, un pressentiment. Pour la première fois de sa longue existence, elle s'était perdue dans sa chère forêt ...

C'est le gars Lucien, dit Morvandiau, un solide gaillard de vingt ans, bûcheron de son état, qui la trouva au petit jour : Marguerite était allongée, à l'abri de la bise au creux d'un fossé à sec, sur un lit de feuilles mortes. Elle reposait là, au pied d'un grand chêne, son arbre préféré.

Avant d'appeler à l'aide, Lucien la contempla longuement ; elle avait attaché son foulard, mis en ordre ses habits et sa mise. Il lui semblait que la vieille dame avait attendu le grand sommeil, sans inquiétude ni colère ; comprenant que son heure avait sonné, que la camarde était venue la quérir au milieu des bois, en cette nuit qui sentait la neige.

La veille au soir, Jean-Baptiste et Léon, ses deux petits-fils, accompagnés des villageois, s'étaient lancés à sa recherche mais avaient dû l'abandonner, à cause de la nuit, épuisés par tous leurs appels désespérés, ces « grand-ma » qui s'évanouissaient en vain dans l'obscurité grandissante.

C'est Jean-Baptiste, le plus jeune, qui ramena sa grand-mère dans ses bras comme elle -même l'avait porté des centaines de fois. Léon suivait, il avait tenu, on se demande bien pourquoi à prendre les deux misérables fagots, trouvés à ses côtés dans le fossé. Le médecin prévenu par Lucien, attendait dans la cuisine. Il constata le décès, présenta ses condoléances aux fils et à ses deux petits- fils sans faire mention de sa dernière visite à la vieille, deux jours plus tôt !

Il avait constaté à cette occasion, que la vilaine grosseur qui déformait la gorge de Marguerite, avait encore enflé plus que de raison. La vieille femme lui avait décrit cette fatigue qui ne la lâchait plus et cette affreuse douleur qui la rendait folle. Quand le médecin avait évoqué l'hôpital de Châlon, Marguerite n'avait pas répondu, ou plutôt elle lui avait signifié d'un petit hochement de tête que ce n'était pas pour elle, qu'elle allait rester ici jusqu'au bout ...

L'hiver était tout proche . Pour les deux frères et leurs enfants ce serait leur premier Noël sans leur mère et grand -mère. Baptiste en déliant le fagot de bois mort, y trouva un petit bouquet de houx. Il le mit devant la crèche comme la vieille le faisait à chaque Noël, quand elle venait leur rendre visite. Il pleura longuement, attendri par ce dernier et silencieux message d'amour d'une Marguerite qui n'avait jamais su leur montrer qu'elle les aimait.

Sylvestrement sien.


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23 réactions à cet article    


  • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 11:49

    Morvandiau


    Vous serez mon scénariste et je serai votre metteur en musique

    Chacun son possible 

    Merci encore pour cette merveilleuse histoire

  • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 15:42

    Hervépasgrav 


    Partageons la ensemble !

    La vie n’est pas toujours très drôle, l’histoire ne se peuple pas de princes charmants et de gentilles fées. Il faut aussi que la mort prenne son dû ! 

  • Prudence Gayant Prudence Gayant 30 octobre 2013 17:03

    Morvandiau,

    Auriez-vous fait moins bien que Nabum ? ou mieux ?

    • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 17:16

      Prudence


      Je ne sais si c’était mieux ou moins bien mais le texte de Morvandiau n’avait pas franchi le jugement des rédacteurs.

      Que penser ?

      Que je bénéficie d’un préjugé favorable .
      Que le texte avait un ton différent ?

      Nul ne peut le savoir

    • Henri Diacono alias Henri François 30 octobre 2013 18:13

      Quel plaisir de lire de tels textes dans lesquels la musique des mots joue un si grand rôle, guidant l’imagination dans une nostalgie au regard doux. D’autant qu’ ils sont bien rares dans ce site où les « ronchons » abondent.


      • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 19:04

        Henri Diacono alias Henri François


        Merci 

        Les ronchons sont légion en tous lieux, il faut s’y faire ...

        Bonne soirée

        • Henri Diacono alias Henri François 30 octobre 2013 19:46

          C’est Nabum, n’aviez pas proposé récemment un texte, ou plutôt une légende, qui mettait en scène grand père et petit-fils et leur bateau partant au fil de l’eau de la Loire ? Si oui qu’en est-il advenu. Si non,veuillez m’excuser. J’ai ma mémoire qui flanche de temps autre". L âge peut-être...


        • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 19:56

          Henri


          Ce texte a vécu sa vie

          Ici il est passé inaperçu.

          Ailleurs, il a beaucoup plu ...

          Il en va ainsi des fables, Agoravox n’est pas propice à ce genre de propos 


        • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 19:57

          morvandiau


          Et moi j’ai préféré la faire grand-mère et vieille pour ajouter à sa détresse ...

          Me le pardonnerez-vous ?

        • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 22:51

          Morvandiau


          J’en suis heureux et suis moi aussi disposé à recommencer cette curieuse expérience d’appropriation C’est une effraction par les mots ...

        • Prudence Gayant Prudence Gayant 30 octobre 2013 22:02

          C’est qui l’andouille de service qui moinsse ?

          un adepte de Nabilla et des télé-réalités ? ou de GTA5 ?


          • C'est Nabum C’est Nabum 30 octobre 2013 22:53

            Prudence


            Laissez tomber ...

            Il y a toujours des ignorants, incultes, frustrés ou autres adeptes de la télé-réalité qui ne peuvent entrer dans le monde des contes. Il faut les plaindre plutôt que les menacer.

          • Henri Diacono alias Henri François 31 octobre 2013 06:35

            Prudence, comme disait ma grand mère qui n’avait pas lu grand chose dans sa longue vie ...« Il faut de tout pour faire un monde ».
            Y compris de gros imbéciles.


          • C'est Nabum C’est Nabum 31 octobre 2013 08:28

            Merci Monsieur Rat Raymond 


            Ainsi nous savons que nul n’est parfait en ce bas monde ...

          • marmor 31 octobre 2013 10:53

            ne sais si c’était mieux ou moins bien mais le texte de Morvandiau n’avait pas franchi le jugement des rédacteurs.


            Les rédacteurs « punissent » Morvandiau pour ses commentaires parfois acerbes mais si clairvoyants. C’est le résultat d’une méthode où les gens se retrouvent juges et parties, et font payer, parfois cher, des commentaires qui n’encensent pas leurs articles, des ayattolahs ne supportant pas les critiques. L’exercice d’un pouvoir, si petit soit il, conduit à des débordements

            • C'est Nabum C’est Nabum 31 octobre 2013 12:16

              marmor


              C’est curieux en effet car son texte était de qualité

              J’aimerais que Morvandiau glisse ici en commentaire son texte afin que chacun remarque à quel point je suis resté fidèle au modèle

            • C'est Nabum C’est Nabum 31 octobre 2013 12:17

              Morvandiau


              N’hésitez pas

              Glissez votre texte ici

            • C'est Nabum C’est Nabum 31 octobre 2013 18:27

              Merci l’ami ! 



            • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 31 octobre 2013 21:21

              Quoi ? Elle avait une double vie ,entre Morvan et Orléanais !

              Y a pus d’vieillesse !

               


              • C'est Nabum C’est Nabum 1er novembre 2013 07:45

                ita Pea Pea (


                Moqueuse ! 


              • Fleurnacre Fleurnacre 25 novembre 2013 18:04

                Merci pour cette agréable mais triste histoire .

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