Le plagiat est nécessaire
« Gilles Uriel Bernheim est un rabbin français contemporain (Aix-les-Bains, 1952 - ).
Rabbin des étudiants, aumônier des hôpitaux et, depuis le 1er mai 1997, rabbin en poste de la Grande synagogue de Paris, il est élu Grand rabbin de France le 22 juin 2008, entamant son mandat le 1er janvier 2009. Tenant d’un judaïsme orthodoxe ouvert sur le monde moderne, chevalier de la Légion d'honneur, auteur prolifique, il obtient un important écho au sein de sa communauté et en dehors d’elle, participant à de nombreux débats de société comme la question de l’abattage rituel en France ou le mariage pour tous. Cependant, après qu’il a été établi et reconnu par lui-même que son œuvre comprend de nombreux plagiats et qu’il n’a pas, comme on l’en a crédité jusqu’alors, obtenu l'agrégation de philosophie, Gilles Bernheim annonce sa « mise en congé » le 11 avril 2013. »
J’ai tenu à mettre entre guillemets cette citation de Wikipédia et j’ouvre de nouveaux guillemets pour citer cet extrait des Poésies d’Isidore Ducasse, comte de Lautréamont.
« Les idées s’améliorent. Le sens des mots y participe. Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par l’idée juste. »
Guy Debord, à qui les autorités de la République consacrent une exposition, reprend ce passage dans son livre La société du spectacle. Il en fait l’intégralité de sa thèse 207 et ne fait usage d’aucun guillemet. Il s’en explique à la thèse suivante :
« Le détournement est le contraire de la citation, de l'autorité théorique toujours falsifiée du seul fait qu'elle est devenue citation ; fragment arraché à son contexte, à son mouvement, et finalement à son époque comme référence globale et à l'option précise qu'elle était à l'intérieur de cette référence, exactement reconnue ou erronée. Le détournement est le langage fluide de l'anti-idéologie. Il apparaît dans la communication qui sait qu'elle ne peut prétendre détenir aucune garantie en elle-même et définitivement. Il est, au point le plus haut, le langage qu'aucune référence ancienne et supra-critique ne peut confirmer. C'est au contraire sa propre cohérence, en lui-même et avec les faits praticables, qui peut confirmer l'ancien noyau de vérité qu'il ramène. Le détournement n'a fondé sa cause sur rien d'extérieur à sa propre vérité comme critique présente. »
Il a même annoncé ces façons de faire dans les thèses 205 et 206, n’hésitant pas à se réclamer de Hegel, de Marx et de Kierkegaard :
« Dans son style même, l'exposé de la théorie dialectique est un scandale, et une abomination selon les règles du langage dominant, et pour le goût qu'elles ont éduqué, parce que dans l'emploi positif des concepts existants, il inclut du même coup l'intelligence de leur fluidité retrouvée, de leur destruction nécessaire.
Ce style qui contient sa propre critique doit exprimer la domination de la critique présente sur tout son passé. Par lui le mode d'exposition de la théorie dialectique témoigne de l'esprit négatif qui est en elle. « La vérité n'est pas comme le produit dans lequel on ne trouve plus de trace de l'outil. » (Hegel). Cette conscience théorique du mouvement, dans laquelle la trace même du mouvement doit être présente, se manifeste par le renversement des relations établies entre les concepts et par le détournement de toutes les acquisitions de la critique antérieure. Le renversement du génitif est cette expression des révolutions historiques, consignée dans la forme de la pensée, qui a été considérée comme le style épigrammatique de Hegel. Le jeune Marx préconisant, d'après l'usage systématique qu'en avait fait Feuerbach, le remplacement du sujet par le prédicat, a atteint l'emploi le plus conséquent de ce style insurrectionnel qui, de la philosophie de la misère, tire la misère de la philosophie. Le détournement ramène à la subversion les conclusions critiques passées qui ont été figées en vérités respectables, c'est-à-dire transformées en mensonges. Kierkegaard déjà en fait délibérément usage, en lui adjoignant lui-même sa dénonciation : « Mais nonobstant les tours et détours, comme la confiture rejoint toujours le garde-manger, tu finis toujours par y glisser un petit mot qui n'est pas de toi et qui trouble par le souvenir qu'il réveille. » (Miettes philosophiques) C'est l'obligation de la distance envers ce qui a été falsifié en vérité officielle qui détermine cet emploi du détournement, avoué ainsi par Kierkegaard, dans le même livre : « Une seule remarque encore à propos de tes nombreuses allusions visant toutes au grief que je mêle à mes dires des propos empruntés. Je ne le nie pas ici et je ne cacherai pas non plus que c'était volontaire et que dans une nouvelle suite à cette brochure, si jamais je l'écris, j'ai l'intention de nommer l'objet de son vrai nom et de revêtir le problème d'un costume historique. »
Son ami Raoul Vaneigem, dans son Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations (paru le même année 1967) consacrait un chapitre au détournement :
« En somme, le détournement est la manifestation la plus élémentaire de la créativité. La rêverie subjective détourne le monde. Les gens détournent, comme Monsieur Jourdain et James Joyce faisaient l'un de la prose et l'autre Ulysses ; c'est-à-dire spontanément et avec beaucoup de réflexion. »
Et dans le numéro 10 de la revue Internationale Situationniste, on pouvait lire dans un texte intitulé Les mots captifs :
« Parce que tout sens nouveau est appelé contresens par les autorités, les situationnistes vont instaurer la légitimité du contresens, et dénoncer l’imposture du sens garanti et donné par le pouvoir. Parce que le dictionnaire est le gardien du sens existant, nous nous proposons de le détruire systématiquement. Le remplacement du dictionnaire, du maître à parler (et à penser) de tout le langage hérité et domestiqué, trouvera son expression adéquate dans le noyautage révolutionnaire du langage, dans le détournement, largement pratiqué par Marx, systématisé par Lautréamont et que l’I.S. met à la portée de tout le monde.
La question se pose aujourd’hui : Gilles Bernheim est-il, sans le savoir, un adepte de Marx, de Lautréamont et des situationnistes ?
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