• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Culture & Loisirs > L’été léger > Une dernière volonté qui fait long feu

Une dernière volonté qui fait long feu

Les adieux du maître queux.

Il fut un enfant qui avait le feu sacré pour la cuisine. Il était toujours dans les jupes de sa mère qui s'affairait aux fourneaux. Il n'avait de cesse de l'interroger, de vouloir apporter son petit grain de sel dans la préparation en cours. Il ne cessait de lui répéter que plus grand, il sera cuisinier, avec un aplomb qui ne laissait aucun doute sur sa motivation.

Il a plongé dès qu'il le put dans le monde de l'apprentissage, n'hésitant pas à quitter le cocon familial pour s'en aller loin de chez lui chez un cuisinier réputé. Il a serré les dents devant la rudesse d'une vie consacrée entièrement à cette brigade, dirigée comme un commando de combat. À force de courage et de persévérance, il a conquis des galons, passant du statut d'arpette à celui de second de cuisine.

Il fut honoré par un titre de meilleur apprenti de France ce qui lui offrit l'opportunité de se lancer dans un tour de France des grandes tables, peaufinant son savoir, allant à la rencontre d'autres méthodes, de nouvelles cultures, de techniques différentes. Il avait faim de connaissance et toujours ce désir de trouver sa propre patte afin un jour, de voler de ses propres ailes.

Il s'est fait un nom avant que d'ouvrir son établissement. Sa réputation lui ouvrit les portes d'une banque qui accepta de se mettre à sa table. Il avait sa petite idée en tête, sa spécificité qui devait, il n'en doutait pas une seule seconde, le placerait au firmament des chefs étoilés. Il avait l'exigence au cœur sans jamais s'accorder de loisirs pour séduire les plus fins gourmets.

Il avait un credo, une touche personnelle, une manière de mijoter à petit feu des plats qui prenaient tout leur temps pour venir enchanter des palais qui avaient pris l'habitude de se satisfaire des préparations qui s'épanouissaient dans un micro-onde. Il devint le chantre de la cuisson lente, du temps qui se refuse à la cuisine rapide, de la cuisson au degré près.

Les étoiles s'empilèrent sur sa devanture tandis que la file d'attente pour les réservations marquait son indéniable réussite. Il était aux anges, il était ce chef réputé, honoré, copié qu'il avait rêvé d'être. Il s'était fait un nom, il entendait ne pas manquer sa sortie. Une curieuse idée germa dans l'esprit de ce Chef, lui qui sentait que toute l'énergie qu'il avait mise à sa fulgurante ascension l'avait usée prématurément.

Quoique jeune encore, il prépara sa succession, adouba quelques jeunes gens qui avaient suivi ses pas. Il était serein, sa touche n'allait pas mourir. D'autres tables de par le pays allaient honorer cette fameuse cuisson lente qui l'avait mis sur les feux de l'actualité et de la renommée. D'ailleurs, chez les particuliers eux-mêmes, le thermomètre de haute précision faisait désormais partie de la panoplie.

Il était grisé par ce succès au point de coucher sur le papier sa dernière volonté, d'offrir par codicille, une sortie qu’il envisageait proche, qui ferait un tabac dans les médias. Son métier, porté au pinacle, lui avait fait perdre de vue les réalités à moins que ce ne fut une saillie d'un client moqueur qui avait instillé dans son esprit surchauffé, le germe de la déraison. Il pensait que sa notoriété lui permettrait de réaliser cette folie, une sortie digne de lui.

Il ne saura jamais que tout ceci n'était qu'illusion et vaine gloire. Lorsque son cœur céda de trop d'abus, d'une vie trépidante sans repos ni modération, on ouvrit le fameux codicille qu'il avait pris soin de confier également à un grand média. Le maître de la cuisson lente exigeait que sa crémation se passa de la sorte, son corps à l'intérieur d'un cercueil en croûte de sel. Il était persuadé que les caprices les plus insensés pouvaient se réaliser avec l'argent et la renommée.

Fort heureusement, la raison l'emporta, toute célébrité qu'il était, il dut se contenter du brasier commun, selon le protocole classique. Son âme s'envola dans un ciel qui ce jour-là, vit s'éteindre trois étoiles tandis que le client taquin ne cessait de répéter, narquois : « Vanitas vanitatum, omnia vanitas »

À contre-feu

Illustrations

Dominique DUPIN


Moyenne des avis sur cet article :  4.37/5   (19 votes)




Réagissez à l'article

2 réactions à cet article    


  • juluch juluch 11 août 2023 19:55

    C’est lequel de chef ???

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès


Derniers commentaires


Publicité