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Accueil du site > Culture & Loisirs > Parodie > Sherlock Holmes, monsieur Raymond, et les pingouins

Sherlock Holmes, monsieur Raymond, et les pingouins

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Dépositaire des droits de Holmes, j’ai hésité longtemps avant de soumettre cette affaire au public. De tous ces personnages connus, seuls « Marks and Spencer » ont disparu, et le foreign office pourrait trouver matière à redire. C’est pourquoi les faits, les noms ont été occultés, ou modifiés expressément, sans nier au ressort néanmoins de l’intrigue. Le lecteur pourra trouver matière à réfléchir sur ces événements. Ils nous parlent de sujets d’actualité, et d’autres éternels, que je cite, tels qu’ils me viennent : L’amour, l’ambition, le symbolisme, la psychanalyse, la jalousie, l’abus de faiblesse, les salaires exorbitants, la finance internationale, la consolation d’un bon livre, et le confort d’une bonne paire de chaussons fourrés.

« Eh, pingouin ! Me dit-elle, d’une ton de crécelle. Appelle ton maître, le Sherlock ! Je crois que c’est comme ça qu’il s’appelle ! Fait vite le pingouin ! C’est mal élevé les pingouins ! Faut que je lui donne des cours de maintien ! »

En voyant sa tenue, son pantalon qui était de grosse toile bleue, dites de Nîmes, et son sac qu’elle tenait en bandoulières sans grande façon, je l’identifiais comme venant des bas quartiers. J’avais déjà été plusieurs fois trop bon, avec ces mendiantes décharnées, qui viennent en dernier recours quémander un quignon de pain dans nos maisons ! Sans aucun doute, notre adresse était maintenant connue de tout l’east end ! Voilà ce que c’est d’être trop généreux, de donner restes, chiffons, et souliers éculés !

A peine lui avais je dit de passer son chemin, que l’effronté me répliqua :

« Il bouffe ses mots le pingouin. Il cause comme on perd son chemin ! ».

Je restais estomaqué un instant, devant l’audace de cette créature ! Avec ses longs cheveux dénoués sur ses épaules, c’était bien le genre de modèle à inspirer un de ces peintres préraphaélites du dimanche, cherchant une Ophélie à la petite semaine.

J’étais prêt à lui claquer la porte du 221 b bakerstreet au nez, quand la voix de Holmes me fit sursauter. Le grand homme avait été intrigué par ce remue ménage et se tenait derrière moi..

« Laissez entrer cette dame dans le salon, Watson ! Qu’elle m’explique donc elle même l’objet de son courroux, et par quel étrange phénomène, elle en est venue à vous comparer à un mouton arctique !

« C’est mérité le pingouin, t’avais qu’à pas être si vilain. Je ne l’aime pas ce pingouin ! »

Goods Heavens ! Si Holmes n’avait pas été là, je perdais mon self-contrôle ! Cette insolente continua à m’insulter !

« Madame, lui dit enfin Holmes, vous avez vraiment une voix de velours, mais je ne suis pas sûr que notre bon docteur Watson apprécie vos vers »

« Ah ! Mille excuses, ne prenez pas bien sûr pour vous, sir ! Voyez vous je suis comme vous, une artiste, et pas une heure sans que les muses ne remontent du fond de ma gorge, quelque couplet que je me fais fort de mettre ensuite en musique ! » Minauda t’elle d’une voix fluette, et soudain raffinée !

« Si fait, madame, lui dis-je d’un ton sec ! Croyez que je sois enchanté de vous inspirer ces merveilles que Shakespeare n’aurait pas reniées ! »

Elle haussa les épaules, fit une moue de gamine en s’asseyant dans un fauteuil du salon, et continua son persiflage à mon égard !

« .M’as l’air content de lui tout plein. Il a l’cœur froid ce pingouin ! J’préfér les biches, les chats, les chiens, les tiques, les lions ou les dauphins, pas les pingouins, pas les pingouins. »

Je préférais ne pas répondre à la provocation, et rester un peu à l’écart, me rongeant les ongles, néanmoins curieux de ce qui allait suivre. Il y avait dans cette fille quelque chose d’étrange et de lisse, propre à vous interroger sur son identité et son âge !

En quelque sorte, on aurait dit ce personnage de grande gigue, cette Alice de Lewis Caroll ,qui avait fait le bonheur des petits et des grands. Les mêmes manières de poupée trop vite poussée en graine, tombée à l’intérieur d’un terrier, et qui s’était mise à parler à tous les animaux. Je me rappelais en particulier d’ un lapin étrange affublé d’un chapeau et d’une montre à gousset, de cette longue vue qui rentrait en elle même et qui s’étirait, de serrures trop grandes, de clés trop petites ! Allusions douteuses, propres à éveiller les sens de collégiens boutonneux… Tout cela n’était bien sûr qu’une histoire habile à vous tourner les sens, bien peu compatible avec la conception du monde civilisé, tel que le perçoit un gentleman anglais. 

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Holmes m’avait appris à résonner en partant d’indices, et de les recouper efficacement, et je me sentais assez fier de moi.

« N’avez vous pas peur de trop grandir, et de vous cogner au plafond ! » Lui aurais je bien lancé, afin de lui montrer que je l’avais démasqué. Je venais d’ailleurs de me rappeler qu’un cirque s’était installé dans le quartier d’ « Elephant and castlle » jouant précisément « Alice in wonderlands ! »

« Dites moi donc ce qui vous amène, dit Holmes d’un ton affable, portant sa pipe à la bouche.

« Et bien voilà ! Nous dirons que je m’appelle Carlita ! C’est mon Raymond qui m’inquiète ! Il prend tout à l'abordage ; Comme s'il y jouait sa vie comme s'il y jouait sa peau ! Comme si le monde était beau ! Il dit qu'la vie est un gage, qu'il faut la vivre debout , ou bien la vivre à genoux ! Vraiment rien n'le décourage ! Non non non !… Mais le v’la qui sort en douce tous les soirs, et je voudrais savoir où il va ! »

Tout cela n’était finalement qu’un histoire des plus banales, et j’étais surpris que Holmes consentisse à faire ce que n’importe quel détective de bas étage était capable de faire, une simple filature menant à un constat d’adultère.

« Craignez vous quelque infidélité ? »

« Je crois que si c’était le cas je ne lui pardonnerais pas ! Je ferais une chanson sur lui, et même que je lui mettrais du sel sur la queue, comme on le fait des oiseaux, pour que plus jamais il ne s’envole ! M’accompagneriez vous au piano ? »

« J’aurais bien sûr besoin de quelques détails, ainsi fait votre lieu de résidence, et une description de votre époux, autant au mental qu’au physique ! »

Elle écrivit une adresse sur le carnet que Holmes lui tendit, et décrivit son mari avec les yeux de chimène.

« Mon Raymond il est unique, avec ses yeux de mésange, avec ses airs de métèque Hongrois juif de Salonique ! Quoiqu'en disent les bouffons ! Raymond c'est d'la dynamite ! Pour franchir le Rubicon. Mon Raymond il est complexe, sentimental mais tactique. Mon Raymond reste dans l'axe en toute situation critique. Mon Raymond, c'est lui l'patron, C'est lui qui tient la boutique. Et bien qu'il porte une cravate on peut pas dire qu'il hésite. Mon Raymond, il est canon, C'est d'la bombe atomique. Quand il déboule non de non. L'air en devient électrique !

Et elle conclut sa description d’un « yeah ! » qui ne laissait aucune équivoque possible ! Ce petit homme hargneux et décidé ne pouvait être que le dompteur du cirque, à qui cette écuyère avait donné son cœur !

Je lui aurais bien dit de se rabattre sur le prestidigitateur, ces types qui sortent des pingouins de leur chapeau clac ! Mais je me retins, par esprit de convenance, remarquant tout de même qu’on a bien vite fait de glisser vers le pire, en pareille compagnie.

 Je la raccompagnais à la porte, et elle ne put s’empêcher de me glisser avec cette douceur fielleuse qui lui était propre :

 « T’as l’air inquiet le pingouin, t’as mis ta tête de mocassin. T’es démasqué le pingouin. T’es bien puni, t’es mis au coin, coin ! C’est mérité le pingouin, t’avais qu’à pas être si vilain. C’est mal élevé les pingouins faut que je lui donne des cours de maintien !Eh le pingouin ! Si un jour tu recroises mon chemin, je t’apprendrai le pingouin, je t’apprendrai à faire le baisemain ! »

 Dieu me garde de me mettre en ménage avec une telle furie !

Holmes me montra sans un mot le chèque qu’elle avait signé, avec la même légèreté que s’il s’agissait d’un autographe. Le montant me laissa stupéfait !

« By Jove ! Les saltimbanques, dis-je, semblent gagner bien plus en une soirée ce qu’un honnête médecin gagne en une vie de travail acharné ! Plut à la reine que je ne verrais pas le jour où les footballeurs seront mieux rétribués que le président de la chambre des lords ! »

« Saltimbanque ? Mon bon Watson, vous n’y êtes pas. Cette dame joue à la chanteuse comme Marie Antoinette jouait à la bergère dans le parc du Trianon ! Comment pouvez vous vous égarer pareillement ! »

« Mais enfin, il suffit de voir son habillement et ses manières, et cette accent des bas quartiers ! Mon idée est toute faite, et mes déductions parfaitement en accord avec vos méthodes de recoupement ! »

« Son pantalon était déchiré, je vous l’accorde, mais avec une grâce de grand couturier ! N’avez vous pas la griffe prestigieuse, autant sur ce sac qui porte le nom d’un dieu Grec, et dont le prix suffirait à acheter un pâté de maison ? Quand à son accent cockney, il ne tromperait pas un marin du port, et encore moins une tenancière de maison close ! Watson, je vous l’ai déjà dit, vous ne fréquentez pas assez ces bas quartiers où l’on en apprend autant que dans les salles de dissection de la faculté ! »

Je passais un doigt sous mon col de chemise, irrité autant par l’amidon que pas le talent de Holmes ! Il restait dans la pièce un relent de parfum français capiteux, et Holmes m’approuva au plus haut degré, quand j’ouvris la fenêtre, malgré le froid !

L’enquête dura quelques jours. Comme je déambulais du coté de Trafalgar, je vis un pingouin anonyme qui faisait les cent pas depuis un bon moment. Enfin, il me demanda l’heure, au moment même où arrivait un bus à impérial. J’aillais lui répondre, sortant la montre de mon gilet, quand la voix de Holmes, sortant du bec de l’animal, me fit sursauter : 

« Les bras ballants le pingouin, les bras ballants mais l’œil hautain ! Tiens le pingouin, t’as l’air tout seul dans ton jardin ! » 

By jove ! Cet homme est capable de tous les déguisements, mais cette fois, son ingéniosité me laissa stupéfait.

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« Cette dame comme vous l’avez noté, semble voir des pingouins partout. J’ai pensé qu’il n’y avait pas de meilleurs moyens que de se perdre dans la masse afin d’être incognito aux yeux de tous !. Grâce à ce subterfuge, mon enquête est terminée ! Rentrons à la maison, je vais tout vous expliquer ! Ce Raymond ne possède plus pour moi aucun mystère ! »

Il était six P.M quand sorti enfin de sa défroque de palmipède, et enveloppé d’une lourde robe de chambres à ramages, Holmes me servit le thé avec un peu de retard.

« Et bien l’affaire voyez vous n’a pas été trop difficile à conclure. J’ai vu sortir effectivement tous les soirs à la même heure, par une petite porte dérobée, ce petit homme que vous aviez baptisé du mot qu’il faut, en l’appelant « le dompteur » ! Je ne livrerais pas ici son vrai nom, mais ce « juif Hongrois de Salonique » est un de ces hommes qui ont compté le plus au sein d’un état qui nous est proche, de l’autre coté du channel. On parle encore beaucoup de lui sur le continent, et certains ne désespèrent pas de son retour.

Et voilà en cela toute la raison de l’affaire. Car même Napoléon n’avait pas assez d’argent pour financer ses guerres. Ce genre de personnage, que nous continuerons d’appeler « Raymond », n’est jamais en vacances, ni congé du pouvoir. A peine est il en exil, qu’il complote pour revenir, et cherche des sous partout pour assurer ses soutiens et faire campagne.

C’est ainsi que je l’ai pu voir, aller d’une maison à l’autre, dans les beaux quartiers, de Soho à Buckingham ! »

Je ne pus m’empêcher de railler. L’hypothèse que cet homme aurait pu être « Jack the ripper », m’aurait semblé plus vraisemblable !

« Et il aurait du succès, à tirer toutes les sonnettes, comme un écolier qui vend des billets de tombola, pour préparer la kermesse du village ! »

« Bien plus qu’on vous ne pensez ! Tous les majordomes ont ordre d’introduire cet homme en lui faisant des courbettes ! La gentry a des connivences d’argent et de mœurs que n’arrêtent pas les frontières. Et celles de la city sont bien lâches ! Il y a surtout du coté de Tower bridge une très riche héritière qui a un peu perdu la tête ? Cette dame lui lâche une petite fortune tous les soirs, tant chaque jour qui s’efface de sa mémoire, est pour elle un jour nouveau pointant sur une horloge de Big ben sans aiguilles ! »

« Good heavens ! La loi n’y trouverait elle pas à redire. N’y aurait il pas là ce qu’on appelle « abus de faiblesse ! »

« Ce n’est pas à moi de le dire ! Même il est fort possible que le fog qui embrume l’esprit de cette dame, risque de lui faire prendre un escroc pour un policeman. Ma cliente va en tout cas être bien rassurée. Il n’y a pas là objet de conflit amoureux à craindre pour elle ! C’est qu’on n’a jamais vu de pingouin s’amouracher d’une vieille souris grise ! »

« Que voulez vous dire pas là ! »

« Les chansons que dame Carlita nous a livrées révélaient bien son ambivalence. Cette histoire de pingouin n’est pas si simple qu’il y paraît, et révélait ses peurs. Voyez vous, cet animal n’a pas entaché sa livrée du noir et du blanc pour rien ! Ce sont les couleurs du yin et de yang, ces deux forces qui s’unissent et s’affrontent. 

Car tous les soirs, Raymond se met sur son 31 pour faire le tour de sa collecte ! Ce smoking qu’il porte, on l’appelle aussi l’habit de pingouin. Carlita a du le voir ainsi un soir, s’éloigner sur le trottoir, à la lumière des réverbères, et construire des scénarios autour d’une histoire d’amour cachée.

Les animaux voyez vous ont tout un symbolisme en eux, et ce pauvre pingouin ne sait pas qu’il se promène en habit de soirée sur la banquise. A peine avais je entendu Carlita vous traiter de pingouin, que j’ai su que cette femme que vous preniez pour une mendiante appartenait à la meilleure société.

 Ces pauvres palmipèdes n’y sont assurément pour rien ! Mais ce sont eux qui prennent les coups à la place de Raymond, ce dompteur des foules ! Cela permet à notre homme de briller davantage au firmament du panthéon, où sont accrochés les sacs Hermès et Louis Vuitton !

Et voilà pourquoi, my dear Watson, cette dame s’en est pris si méchamment à vous ! Vous lui avez simplement servi de soupape à son courroux ! Le pingouin et le Raymond ne sont qu’une seule et même personne, à l’instar de l’affaire du docteur Jykell et de son vis à vis, mister Hyde !

Je ne pus que féliciter une fois de plus le grand homme, qui m’a laissé seul juge de l’intérêt de ses mémoires, et que je consigne de mon mieux, avant que le thick fog ne se referme sur la tamise, et sur toute la vanité humaine.

« Holmes, vous pourriez installer vous aussi un divan, comme ce docteur de Vienne l’a fait dans ses appartements. Il me semble que les méandres de l’âme n’ont aussi pour vous aucun secret ! »

« Mais tout cela est si élémentaire mon cher Watson ! » Ne put il s’empêcher de conclure, tirant une dernière fois sur sa pipe, et regardant mes pieds. J’avais acheté ces chaussons oranges, très confortables, chez « Marks and Spencers » et ils imitaient au mieux des palmes de pingouins.

« Very funny ! Isn’t it ? »

Chez Holmes, le tabac est une des formes de consolation de l’existence. Pour mon compte, je trouve dans la lecture bien matière à évasion. Y a t’il un plaisir plus grand pour un honnête homme que la simple joie d’un livre ? Allez savoir pourquoi, ce soir là, mon doigt courant sur les rayons de la bibliothèque, je repris le livre de Lewis Caroll.

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Une flasque de brandy devant moi, afin de me débrider l’imaginaire, je me laissais glisser dans le fauteuil en cuir, pour ne plus lâcher Alice, l’accompagnant dans cet étrange pays des merveilles, peuplé d’animaux de toutes sortes ! 


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2 réactions à cet article    


  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 5 avril 2013 12:43

    Toujours à mes talonnettes Sherlock ....
    Raymond Moriarty .


    • alinea Alinea 5 avril 2013 13:05

      Waouh ! Quelle imagination ! Un régal mon cher Watson !

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