San Francisco, suite….
San Francisco est une ville en attente, on la sent suspendue, éparpillée. Elle est d’essence gracquienne, Julien Gracq aurait pu en faire une de ses destination littéraire, lui qui a travaillé sur « la forme d’une ville ». Peut-être aurait-il pu en lever une partie de ses mystères. Sa découverte est un événement, là aussi au sens que met Julien Gracq dans ce mot, un évènement, non pas un fait qui se pose là dans son insolente certitude, mais quelque chose de l’ordre de l’incident, de l’aventure, de l’épisode… On n’en sort pas indemne. Quelque chose est arrivée…

Oui, ce sentiment de l’exceptionnel, ne peut rendre à lui seul la force du sentiment éprouvé. C’est l’arrivée finale, le lieu, l’endroit et pourquoi pas la ville où je devais inévitablement me trouver, ne serait-ce que le moment venu. Pas d’hébétudes, d’indolences, ni de troubles quelconques, mais la connaissance intime, intérieure d’une vérité rencontrée. Toute ma vie, ce qui faisait mon essence profonde, chaque apprentissage, chaque découverte trouvaient leur légitimité d’un seul coup, comme cela d’un simple regard sur la ville.
San Francisco inspire le sentiment de la pause, de l’escale. Un port elle fût, un port pour les âmes en vagabondages elle reste. Est-elle mystérieuse ? Pas tout à fait, juste un peu vaporeuse, elle donne le sentiment d’abonder, au contraire de promesses. San Francisco reste encore empreint de son histoire, au XIXe siècle, à ses débuts, elle n’était qu’un amas de tentes et de baraque en bois que prolongeait un océan de bateaux à perte de vue. Juste un début de landes et de collines abandonnées qui s’offraient aux yeux du voyageur.
Je vois encore la « folie » de ses collines se bousculer sur un si petit promontoire pour prendre leur place, « exister » semble-t-elle murmurer. Ville à priori impossible, ville inaboutie, et pourtant ville tout court ! Je ferme les yeux, je suis en haut de la tour du musée de Young, dans l’embarras de ce panorama infini, je sens les forces telluriques à l’œuvre et les esprits qui ont nourri cette terre de leurs créations et de leurs désirs. Mes pensées s’égarent dans des pérégrinations incertaines… je remonte le passé et je sens la proximité sauvage de ce qui fait San Francisco…
Ville fatigante, éprouvante, je monte et je descends, je m’enivre de ces secousses. Je sens sous mes pieds l’histoire des incendies et des tremblements de terre, la dévastation n’est pas loin, mais le sentiment de la renaissance plane à jamais sur ces terres bénies. Ville fragile, posée là au hasard des voyages de colons à la recherche de leur Eldorado et de leur Eden.
Ville patchworks, nécessairement, elle est l’aboutissement de destins bâtards et hasardeux qui se confondent et dont les gênes construisent ainsi un monde au hasard de leurs mémorances. C’est un peuple de souvenirs qui se met à l’ouvrage dans une nuit qui s’étend sans ombre, véritable et authentique.
Ville liberté, où ses entrailles ne sont pas des ventres repus, mais de nombreuses et folles sédimentations de sentiments contradictoires. Les pas peuvent s’égarer en toute liberté, sans entraves. Celui que je ne suis pas n’est pas très loin de moi, d’une rencontre improbable la ville fera un festin d’entrevues festoyantes.
Ville façade, chaque pas est une aventure qui se doit, se mérite. Les maisons se répètent et s’égosillent dans un murmure incessant, bleues, roses, jaunes pâles, elles semblent se serrer dans un empressement serein, aux seuls fins d’accueillir la suivante qui ne manquera pas de venir à son tour ; Leur murmure est un appel au foisonnement.
Aux façades répondent de vastes avenues et des rues qui s’entrecroisent selon un plan inconnu. Rectangles et carrés dominent cette architecture, parfois fastidieuse à la régularité monotone. Mais cette uniformité n’est qu’un semblant, un geste juste posé-là qui d’un seul coup conduit à une grève insensée, la ville est là, installée sur le bout des lèvres d’une promesse venue de l’océan, du Pacific.
Plages immenses qu’agite un rivage de soubresauts, plages dorées par une lumière de fin du jour, douce et parfumée d’où montent les brumes froides et ondoyantes qui finissent par peupler la ville d’un linceul provisoire. Celui-ci va et vient, sa mécanique est obscure, mais il occupe les pensées des habitants de San Francisco et ceux qui y viennent là, pour chercher à comprendre cette fin probable de l’histoire.
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