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Laurent Touchard 28 octobre 2008 13:50

"Conflit de haute intensité", l’expression est techniquement juste ; elle présente une guerre dans laquelle deux Etats (ou plus) s’affrontent du fort au fort, avec des moyens lourds qu’ils engagent massivement (par rapport aux moyens dont ils disposent) : l’engagement entre de nombreux éléments des forces du District Militaire du Nord Caucase, la Flotte de la Mer Noire russe et l’essentiel de l’armée géorgienne (ses forces terrestres, aériennes et navales, ainsi que des éléments de sa garde nationale), alors, c’est un conflit de "haute intensité" (à l’inverse, par exemple, du conflit entre le Pérou et l’Equateur en 1995, qui peut être qualifié de "basse intensité", car bien qu’impliquant deux Etats, ceux-ci ne mettent en ligne, de part et d’autres, que des moyens réduits par rapport à ce qu’ils disposent)...


 La désignation "L’Armée Rouge" n’existe plus depuis 1946. C’est une erreur occidentale de l’appeler ainsi, notamment due à la propagande occidentale, car cette désignation est plus "sexy" que la véritable, à savoir, "Armée soviétique". A partir de 1991, elle est nommée "armée russe", tout simplement. Continuer à l’appeler "Armée Rouge", alors que cela ne correspond plus à aucune réalité politique, c’est ni plus ni moins qu’une attitude inconsciente dans l’esprit "Guerre Froide"...

 L’armée russe est effectivement, pour l’essentiel, sous-équipée. Ses personnels sont encore pour l’essentiel des conscrits. Cependant, cette tendance s’inverse, à l’image de la 2e Division Blindée de la Garde et de la 5e Division de Fusiliers Motorisée de la Garde qui ont été rééquipées avec du matériel moderne. Ces deux divisions sont basées dans des régions où il est justifié de disposer d’armes perfectionnées. D’autre part, les soldats professionnels sont de plus en plus nombreux au sein des forces armées russes. Ce qui signifie que les conscrits sont encore très nombreux. Mon propos n’est pas de dire le contraire, mais de souligner la professionnalisation des forces qui se met lentement en place depuis 2000, et qui, plus le phénomène s’accentue, est quelque chose de totalement nouveau. Avant les années 2000 (grosso modo, la seconde guerre de Tchétchénie), l’Armée russe était l’héritière parfaite de l’Armée soviétique ; seuls les officiers faisaient carrière, avec quelques rares (proportionnellement aux effectifs) sous-officiers. Aujourd’hui, de plus en plus de sous-officiers sont des professionnels, ainsi que de nombreux hommes hommes du rang. Ce n’est pas seulement une révolution militaire, mais également sociologique.

 

Le budget militaire de la Russie est à des années lumières de celui des Etats-Unis. Mais en quoi cette différence colossale dans les crédits alloués aux forces armées est LE critère pour affirmer que les tensions entre les Etats-Unis (et plus généralement « l’Ouest » politique) et la Russie (le Nouvel Est) ne sont pas réelles ? D’autant que la Russie a toujours été économiquement très en-deça des capacités américaines et occidentales, ce même pendant les pires périodes de la Guerre Froide. Ces problèmes économiques expliquent d’ailleurs en partie la conception des matériels soviétiques : désignés pour être produits massivement, à moindre coût, d’utilisation simple pour des soldats à l’instruction parfois défaillante (dans les années 1980, beaucoup d’entre eux comprenaient très mal le Russe, et la proportion de Slave dans les unités se réduisait, ce qui impliquait la présence de nombreux conscrits d’ethnies du Caucase, de Sibérie...), avec néanmoins des capacités de combat raisonnables. L’Union Soviétique était économiquement à la traine, ce qui n’a nullement empêché l’URSS et l’OTAN (plus alliés) de s’affronter pendant plus de quarante ans...

 

Aujourd’hui, les tensions entre un « bloc » pro (ou proche) américain et un « Nouvel Est » sont ravivées. Elles concernent par exemple la question de l’équilibre nucléaire : la doctrine de « destruction mutuelle assurée » (MAD ; si l’un des protagonistes déclenche le feu nucléaire, alors, il sera certain d’être lui aussi rayé de la carte, ce qu’on appelle aussi « l’équilibre de la terreur ») est rendue caduque depuis que George Bush et ses conseillers ont choisi de se retirer du traité ABM en 2002. A moyen terme, cela peut signifier une relance dans la surenchère nucléaire, la recherche d’alliance qui ne se justifiaient a priori pas, et un retour à l’importance de la géopolitique, avec tout ce que cela implique en termes de confrontations éventuelles. Possibilités de confrontations renforcées par la nécessité de contrôler, ou au moins, d’exercer une influence sur les pays qui disposent de ressources naturelles énergétiques. Ces tensions s’expriment ostensiblement dans les ventes d’armes effectuées par la Russie à des pays clairement hostiles (ou susceptibles de l’être) aux Etats-Unis. Du matériel de qualité que fabrique le nouveau complexe militaro-industriel russe (à deux vitesse : celui qui représente une masse de travailleurs considérable, qui est en déliquescence et réformé plus ou moins chaotiquement afin de le faire disparaître, et celui qui est à même de rivaliser avec les industries d’armement occidentales) équipe de plus en plus les armées chinoises, indiennes, syriennes... Et certaines armes russes sont supérieures à celles du complexe militaro-industriel américain. Enfin, les tensions entre les deux « blocs » s’expriment par le biais des opinions publiques, avec une façon de voir « l’Autre » qui est redevenue très négative après une brêve période d’état de grâce. Exemple parmi d’autres : de nombreux russes sont convaincus que le Koursk a été coulé par des sous-marins américains...

 

Mon article n’a pas pour but de vanter ou de dénigrer l’armée de terre russe, mais juste de constater qu’en dépit de lacunes évidentes, elle a remporté la victoire en Géorgie. Cette victoire, la Russie ne l’a pas obtenue sans effort.


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