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Jérôme Turquey Jérôme Turquey 6 mars 2006 09:55

Quelques réflexions complémentaires sur la situation luxembourgeoise en particulier

Il y a des faiblesses majeures, propres au Luxembourg, qui appellent une politique volontariste.

La promiscuité, qui est un frein à l’efficacité, devrait être limitée pour prévenir les conflits d’intérêt au quotidien : ainsi le Groupe d’Etats contre la Corruption (GRECO) souligne-t-il que « les petites affaires ne doivent pas être négligées car elles banalisent le système et le rendent quasi-normal et invisible. C’est la raison pour laquelle il doit être observé que les raisons souvent invoquées, tenant à la dimension du pays et au fait que tout le monde se connaît (ce qui favoriserait un autocontrôle permanent), ainsi qu’à un niveau élevé de rémunération, ne sauraient constituer une garantie suffisante et pourraient même avoir un effet pervers, chacun sachant que l’autre pouvant être convaincu d’indélicatesse(s), se réfugierait dans un silence complice. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 13). Dans ce contexte les réviseurs, en raison du rôle qui leur est dévolu se doivent d’être exemplaires et de ne tolérer aucun manquement à la délicatesse de leur profession sous peine de jeter le doute : « Le rôle des autorités fiscales, des réviseurs et des comptables d’entreprises est fondamental pour la détection et la dénonciation aux autorités répressives des infractions comptables et de corruption. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 25). Le cas décrit d’un ex directeur financier d’un « Big four » de la Place est révélateur de l’acuité du problème de permissivité par le spectre large du « relationnel » autour des intéressés (Gouvernement, organisations professionnelles, sociétés du secteur financier, associations, réviseurs) et par le fait que les personnes sont toujours actives, ce qui peut être mis en évidence dans des sources publiques. Pour ce qui est de l’autorité de régulation des réviseurs, son président de devrait être « en disponibilité » de sa société d’origine pendant son mandat pour ne plus avoir de lien de subordination et ainsi prévenir un conflit d’intérêt si sa société est impliquée dans une affaire disciplinaire (soit comme personne morale, soit par une personne physique de la société) voire la possibilité de saisir le conseil de discipline devrait être élargie pour ne pas faire reposer l’auto saisine ou l’instruction des plaintes sur le seul président. Par ailleurs, les chartes éthiques des organisations professionnelles devraient donner lieu à sanctions en cas de moindre manquement à plus forte raison non confidentiel, sous peine de jeter le doute sur la sincérité des déclarations.

Les sanctions devraient être communiquées. L’absence de transparence en la matière, qui est une « confidentialité mal placée », nuit à l’efficacité et à la dissuasion : les évaluateurs du GRECO ont ainsi souligné que, « même si le Luxembourg semble bien être largement épargné aujourd’hui par la corruption, il doit être vigilant s’il veut prévenir le développement de ce phénomène à l’avenir, compte tenu notamment d’un certain nombre de facteurs qui peuvent contribuer à le rendre vulnérable dans une certaine mesure (forte exposition en raison de son important secteur financier, système de financement des partis politiques, absence de journalisme d’investigation, absence de culture de la transparence) ». (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 15 juin 2001, p. 13). Par exemple, les réviseurs devraient communiquer sur les procédures disciplinaires (nombre de cas, type de reproche) à l’instar de ce que fait par exemple l’autorité de régulation des réviseurs en Belgique, pour montrer que les sanctions sont effectives.

Les autorités de régulation devraient être incitées à agir par intervention de l’Etat : « Les experts comptables et les réviseurs n’ont pas une idée de l’importance d’avoir une activité suffisamment active de collaboration avec les autorités judiciaires en ce qui concerne la détection des signes de corruption ou de blanchiment de capitaux. C’est pourquoi, l’Équipe d’Évaluation du GRECO recommande que le développement législatif existant soit assorti de la mise au point de lignes directrices, à l’attention des comptables et réviseurs, sur la détection des signes et des produits de la corruption dans le cadre de leur activité et pour faire rapport de leurs constatations. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 24). Le rapport paru en novembre 2005 du Parquet de Luxembourg est venu rappeler l’insuffisance du travail de détection du blanchiment par les réviseurs (Cellule de Renseignement Financier du Parquet de Luxembourg, Rapport d’activité pour 2003 et 2004, novembre 2005, page 8)

La responsabilité des personnes morales devrait pouvoir être engagée avec des sanctions dissuasives effectives : « Le GRECO encourage l’introduction d’un régime adéquat de responsabilité des personnes morales assorti de sanctions dissuasives et permettant la confiscation de leurs avoirs criminels ». (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 25) ; « L’absence de sanctions ou mesures proportionnées y compris l’absence de sanctions monétaires au moment de la visite d’évaluation de l’Équipe d’Évaluation du GRECO, constitue une lacune importante en matière de responsabilité des personnes morales pour des infractions pénales. » (GRECO, Rapport d’Evaluation sur le Luxembourg, 14 mai 2004, p. 24). Cette absence de sanction a été déplorée par l’AED (Administration de l’Enregistrement et des Domaines) dans son rapport 2004 : « Le service, dans un souci d’amélioration de son efficacité, a commencé à nouer des contacts avec la Justice. Le combat de la fraude fiscale sans une suite au niveau pénal pour les responsables ne fait qu’aggraver la situation existante, déjà catastrophique. L’impunité des organisateurs favorise l’explosion actuelle du nombre des créations de sociétés frauduleuses au Luxembourg. » (AED, Rapport d’activité 2004, p. 18) et réitéré au Premier ministre dans une note fin 2005 : « Le manque incontestable de vérificateurs expérimentés et l’insuffisance de mesures de contrôle et moyens de coercition prévus par les dispositions légales et réglementaires en vigueur ne permettent plus d’effectuer un contrôle adéquat en relation avec la perception de la TVA. » (Cité par Gérard Karas, La voix, 29 octobre 2005). Dans ce contexte, les notaires auraient aussi sans doute un rôle à jouer lors des créations de sociétés pour détecter les anomalies (dirigeants multirécidivistes de la faillite...).

En partant d’une petite affaire dans le Mémorial et en remontant les responsabilités et les relations, on découvre un risque majeur pour le pays par la preuve flagrante que l’autorégulation par les professionnels (soft law) ne fonctionne pas de manière satisfaisante, y compris pour du mauvais management au grand jour, corroborant de manière inquiétante les réserves du GRECO sur « l’autocontrôle permanent ». Pour autant, il ne faudrait pas croire que le Luxembourg, où l’administration semble toutefois en avance sur les associations professionnelles et les politiques publiques dans la prise de conscience des enjeux, est seul concerné même si la visibilité des limites de l’autorégulation y est des plus remarquable et menace dramatiquement un monde des affaires où la majeure partie des professionnels sont compétents et honorables dans leur travail quotidien.


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