• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > A propos du foot

A propos du foot

 Quelques quatre vingt squelettes de gladiateurs de l’ère romaine viennent d’être découverts près de la ville de York, en Grande Bretagne. Des jeunes gens, bien nourris et en bonne santé si ce n’est les traces de leurs blessures mortelles. Avant le foot, les jeux des arènes étaient aussi un sport universel, tout comme les courses et combats de chars qui ont continué à Byzance pendant des siècles. Constantinople était divisée à l’époque entre rouges et verts à l’instar d’Istanbul aujourd’hui ente les partisans de Galatasaray et Fenerbahcé. Depuis 1923, l’école de Galatasaray fournit le gros des bataillons de présidents, premiers ministres, scientifiques et autres dignitaires d’Ankara, parallèlement à son équipe de foot (et de basket). C’est l’équipe des élites. Fenerbahcé représente les démunis des quartiers pauvres. Chacun de leurs matches est un combat symbolique entre le peuple et les élites, même si cela n’a plus rien à voir avec la réalité. Tout cela pour dire que, depuis l’antiquité, le sport prend en charge la symbolique des conflits en les transformant en un jeu. 
 
Les jeux olympiques, et la fameuse trêve qui en découlait, étaient exploités dans la Grèce antique par les diplomates qui essayaient, le temps des jeux, de désamorcer des conflits en cours. De manière provocatrice, j’inclus les jeux du cirque et les gladiateurs dans le sport, tant les similitudes (écoles, « écuries » des grandes familles, statuts privilégiés pour les champions, etc) nous ramènent au foot. Aussi violents qu’ils soient, ces jeux désamorcent et canalisent des conflits réels ou imaginaires qui traversent les sociétés. Ville contre ville, riches contre pauvres, nord contre sud, pays contre pays etc, défoulent leurs instincts et leurs arrières-pensées dans un combat qui a l’avantage d’être toujours recommencé. Il y a toujours une revanche à prendre, un espoir à préserver, une saison à sauver. Il y a toujours une défaite à venger. Donc, une sacrée invention, qui perpétue certes au delà du temps un conflit, mais l’encadre à l’intérieur de l’arène. (Et parfois autour).
 
L’argent et les dérives mafieuses ont toujours existé dans le sport. C’est idéaliser le passé que d’oublier la main mise de la mafia sur le sport américain (dès lors qu’il devient de masse), tout comme la main mise des armateurs et autres millionnaires qui font des équipes de foot un bouclier pour leurs affaires, une machinerie pour leur popularité, et enfin une affaire supplémentaire qui s’additionne à leurs affaires. Le reste n’est qu’une affaire d’échelle. C’est vrai que le vainqueur des jeux olympiques ne recevait qu’une couronne de lauriers, mais il accédait simultanément au statut de demi-dieu, ce qui lui ouvrait les portes d’une l’ascension sociale vertigineuse. C’est vrai que le gladiateur était un esclave, mais, dès lors qu’il devenait un champion, il pouvait gagner la liberté et, entre temps, il paradait libre dans les palais et les maisons des patriciens.

La morale et le sport ne font pas non plus bon ménage : plus haut, plus loin, plus vite, un point c’est tout. Le comment reste un détail aussi bien dans la défunte Allemagne de l’est que dans les pelotons du tour de France. La fabrique de surhommes reste depuis l’antiquité un espace hors règles si ce n’est celle de gagner. D’ailleurs pour les mêmes produits psychotropes un citoyen est sous l’emprise d’une « manie », d’une passion qui le consume, tandis que l’athlète est un dopé, qui a besoin d’un stimulant, ce n’est pas la même chose et il n’encoure pas les mêmes peines. Pire, le modèle pragmatique et utilitariste de la consommation des « dieux du stade » se démocratise et s’épanouit désormais au sein de la cité. Mais depuis toujours l’homme a eu besoin aussi bien de produits psychotropes (qui changent, transforment, l’âme) que de héros auxquels, depuis Hercule, on pardonne aisément crises de démence et autres hubris (surtout quand ils gagnent).

Il n’existe pas un seul homme (sans doute j’exagère), qui ne connaisse, d’une manière ou d’une autre, le statut réel et ambigu du champion. Et pourtant, pourtant, il continue à le vénérer, à se passionner pour ses combats, à se défouler devant un spectacle qu’il connaît d’avance chargé de malentendus et de sous-entendus. Car au fond, ce qu’il reproche à ses héros (riches, hors des règles de la cité, arrogants et intouchables, immortels) c’est ce qu’il convoite le plus, sans se l’avouer.

Sans vouloir être christique, je ne peux m’empêcher de m’amuser en disant qu’après tout, tous ces footballeurs, à part leur jeu et le spectacle qu’ils nous offrent, nous « délivrent » de nos pensées pècheresses en les pratiquant sans entraves. Ce qui, oh miracle, permet à des obèses ou des rachitiques, des paralysés ou des estropiés de retrouver la forme - et un destin - en polémiquant - c’est-à-dire en discutant avec des mots guerriers - sur les dieux. 

The show must go on, and who want to live for ever ? 

Et que vivent les bleus ( Abou Diaby plus particulièrement).

Documents joints à cet article

A propos du foot

Moyenne des avis sur cet article :  4.08/5   (13 votes)




Réagissez à l'article

3 réactions à cet article    


  • morice morice 14 juin 2010 10:50

    du pain et des jeux, vous avez bien raison de nous le rappeler !


    • italiasempre 14 juin 2010 11:56

      Parce qu’il y a un risque qu’on oublie peut-être ?

      Du pain et des jeux et l’opium du peuple. 
      Voila en résumé la teneur, d’une originalité à faire peur, de tous les articles paru sur AV à propos du foot -à l’exception de celui du petit Joubert-. 

      Alors j’ai une super idée. Et si vous foutiez un peu la paix aux gens qui aiment le foot ?

    • Michel Koutouzis Michel Koutouzis 14 juin 2010 12:29

      @ italiasempre

      Je ne pense pas que l’article ne parle que du pain et des spectacles. L’avez vous lu ? Sinon lisez au moins les derniers paragraphes. Ils vous concernent... Et j’aime le foot, surtout si le jeu en vaut la mystification. 

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON







Palmarès