Acquittée après un « infanticide » par un jury populaire courageux
Les journaux n’ont pas beaucoup commenté l’acquittement de Lydie Debaine le 9 avril 2008, jugée en Cour d’assises pour avoir mis fin aux jours de sa fille, handicapée extrême, souffrante... Ayant souvent le démarrage au quart de tour, j’avais écrit un billet sans doute trop enflammé et approximatif pour mériter une parution sur Agoravox. Je le livre tel quel aux lecteurs***. L’affaire Debaine est simple, mais complexe si on recadre cet événement loin d’être anodin dans le contexte social et moral. Parce qu’on touche à la mort et au sacré, au don de la mort et à l’interprétation philosophique de cet acte. Peut-on se donner la mort ? Oui, le suicide est considéré de cette manière, sans doute par commodité, par refus de voir la réalité en face. Le suicide d’une personne est toujours annoncé avec cette formule ; X s’est donné la mort. Du point de vue juridique, c’est un assassinat pur et simple. Sauf que celui qui se donne la mort ne peut plus être poursuivi. On pourrait imaginer les bonnes consciences morales prêtes à participer à une Cour dans l’au-delà pour juger celui qui a commis un tel acte.
Le geste de Mme Debaine est différent d’un suicide. C’est, du point de vue juridique, un assassinat, certes, dans des circonstances particulières, mais c’est ce qui a été retenu par la juridiction pour traduire cette dame devant une Cour d’assises. Qui a prononcé un verdict stupéfiant ! L’acquittement ! Prenons le cas d’une Cour devant juger ou rejuger un meurtre. Comme celui dont fut acquitté en appel Omar Haddad. Suivant son intime conviction, la Cour acquitte le prévenu si elle est persuadée qu’il n’est pas l’auteur du crime, autrement dit, le fait imputé à l’accusé n’existe pas (ou du moins, la Cour pense que les preuves sont insuffisantes et que le doute doit bénéficier à l’accusé). Dans le cas contraire, certaine de l’acte, elle prononce une peine, inférieure ou supérieure à celle requise par le procureur, tenant compte des circonstances. Dans l’affaire Debaine, il y a bien eu un assassinant, mais le jury a prononcé un acquittement, ce qui signifie qu’aux yeux des jurés, ce n’était pas un meurtre dont il s’agissait. Alors que le fait est avéré. C’est ce qu’on appelle ouvrir une boîte de Pandore. Les jurés ont jugé que les faits n’étaient pas ceux qui ont été qualifiés par la justice. Et, donc, qu’il n’y avait pas assassinat, alors que si l’avis du procureur avait été suivi, une peine de trois ans avec sursis ou même six mois, l’acte aurait été reconnu et le jugement n’aurait pas créé un tel précédent. Cette décision de la Cour est énorme dans la mesure où elle ébranle nos certitudes. Et, comme on pouvait s’y attendre, les ligues de vertu, les défenseurs de la vie, ont été choqués, voyant dans cette décision la voie vers un permis de tuer.
C’est leur droit. Ces gens-là sont bornés. On ne peut pas les faire changer d’avis. Leurs arguments, invoquant la sacralité de la vie, sont les mêmes que ceux déclinés dans le débat sur l’euthanasie. La vie est une instance supérieure face à laquelle toutes décisions et actions doivent être subordonnées. Ainsi parle la ligue de vertu. Avec les commandos anti-avortements, les pourfendeurs de l’euthanasie, les disciples de Jérôme Lejeune. Toujours le même scénario, les mêmes craintes. Ces gens-là ont peur de la liberté. Du moins, c’est une circonstance atténuante qu’on pourrait leur accorder. S’agissant de Mme Debaine, ils vous diront que cette dame n’avait pas le soutien des familiers et, surtout, des structures sociales pour servir de béquille au service de la sacralité de la vie et que si cette mère a craqué c’était la faute au manque de soutien social. Ils ont tenu le même discours pour Chantal Sébire. Et pour l’avortement c’est du pareil au même. Ils sont prêts à empêcher une jeune fille d’avorter en jouant sur le remords et en se portant autour de cette jeune future mère en lui assurant aides, moyens, soutiens. Mais qui sont-ils pour s’arroger le droit d’interférer dans la vie et le don de la vie prodigué par autrui, cet acte intime, ce libre choix, qu’ils n’hésitent pas à profaner au nom de convictions religieuses ? C’est comme si cette vie leur appartenait dès lors qu’ils interfèrent avec les décisions de la personne habilitée à le faire. Et, pour le don de la mort, ils font de même. S’appropriant le destin choisi de Chantal Sébire ou celui qu’a choisi Lydie Debaine pour cet enfant désiré, né prématuré, aimé, ayant grandi dans un enfer de souffrances qu’elle décida d’abréger. Sans en référer à d’autres instances, aux vautours de la bonne moralité. En ce sens, le verdict des jurés peut être compris. Le don de la mort a été prononcé pour assistance à personne en danger et, en de rares cas, la mort est le seul moyen de mettre un terme à cette dangerosité de souffrances. Les questions d’interprétation et de sens marquent chaque époque. Le jury a été à la hauteur d’un nouveau regard sur la vie et surtout, la Liberté !
C’était un acte d’amour. Au nom de quoi les ligues de vertu s’arrogeraient-elles le droit d’interférer, d’imposer un soutien, refusé du reste par Mme Debaine, pour maintenir cette souffrance au nom d’un idéal qui n’a rien de supérieur ni de transcendant, mais qui est culturellement (mal) construit ? Qui sont-ils ces moralistes ? Ces gens-là, connaissent-il l’amour ou bien sont-ils des êtres desséchés, s’appuyant sur quelques prétextes moraux pour agir en croyant sauver ceux qui n’ont rien demandé, excepté qu’on respecte leur Liberté et qu’on les aide dans leur choix ou du moins qu’on ne les condamne pas. La décision de la Cour a été applaudie. Mais ce verdict de la Cour instituerait-il un permis de tuer ouvrant la voie vers l’assassinant légal, et même l’assassinant d’Etat, socialement géré ? En d’autres temps, il y eut des crimes d’Etat. Mais confondre la biopolitique meurtrière d’un Etat totalitaire et un acte individuel témoigne d’une confusion mentale.
Et, pour un point de vue complet, interrogeons cette science médicale et industrielle qui permet à des fœtus de 6 mois de survivre artificiellement, avec souvent des séquelles et des conséquences dramatiques. Comme en attestent les études récentes. Se pose la question de cette industrie génitrice. Là aussi, un débat devra avoir lieu, sur ce lourd problème hérité du progrès scientifique et qui interfère avec les questions d’ordre moral. La vie et la mort sont des actes libres, qui ne concernent que les intéressés, aux moments déterminants évidemment. Lorsqu’on est amené à décider, de ne pas s’acharner, ni sur la naissance artificielle d’un être qui souffrira ni sur le prolongement de la mort par des voies artificielles. La science médicale n’a pas forcément vocation à produire de la souffrance et des malheurs. Même si les intégristes de la croix en ont décidé ainsi.
Je
n’ai qu’une devise pour conclure, la mienne, celle qui annonce les prochaines
Lumières :
Liberté, amour et vérité !
*** Brouillon écrit le 9 avril (à lire comme un brouillon, non définitif). Lydie Debaine avait reconnu avoir mis fin aux jours de sa fille, prématurée puis handicapée motrice cérébrale, ayant vécu jusqu’à l’âge de 26 ans avec un quotient intellectuel évalué à 5 ans, des maux de tête, des vomissements. Cette mère qui pourtant aimait sa fille lui a administré des anxiolytiques avant de la noyer en 2005. Aux yeux de la loi, c’est un assassinant. Jugé en Cour d’assises. Aux yeux du jury populaire, ce n’était pas un assassinat. Ainsi en a jugé la Cour après une délibération plutôt rapide pour ce genre d’affaire. Ce verdict sera-t-il commenté dans la presse ? Nul ne sait, mais il fera date. S’inscrivant dans la thématique de la mort administrée au nom de la raison et du cœur. Un acte qui a fait débat il y a peu lors de l’affaire Sébire et de la question de l’euthanasie. Que de rhétoriques, de sophistiques, de détours, d’hypocrisies de la part des membres distingués de la gent médicale et politique, des culs bénis du dolorisme, des obsédés de l’acharnement thérapeutique, des législateurs secs et sans âme, des pourfendeurs moralisateurs, des élites de la loi, bref, une intégrale d’hommes de loi et de pouvoir qu’en d’autres temps Voltaire aurait désignée comme l’infâme, tout défendant à l’infâme le droit d’exprimer ses opinions. A l’occasion de l’affaire Sébire, les infâmes se sont exprimés. Certains auront la légion d’honneur, d’autres auraient rêvé d’une stèle au Vatican, quelques-uns s’en fourrent plein des poches, en exploitant le drame humain et en le maintenant en l’état. C’est de bonne guerre. Le profit ne connaît pas la conscience, il n’a que la puissance en vue et la domination. Les guerres de 39 et toutes les autres n’ont-elles pas duré pour le bon plaisir des financiers. A qui sert l’infâme ?
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