Adieu Glucksmann, chevalier blanc et dénonciateur du mal
Lorsqu’une personne connue du public décède, la caisse de résonance médiatique montre plus ou moins d’intensité dépendant de la notoriété de cette personne qui peut appartenir au monde de la politique, de la science ou du spectacle. C’est le cas pour André Glucksmann qui appartenait à la fois au monde des célébrités médiatiques et à celui de la pensée philosophique. D’aucuns ont peut-être été surpris par ce foisonnement d’éloge et la réactivité de quelques médias dont France Inter. Pourquoi ? Se demande le candide de passage.
En fait, Glucksmann est apparu soudainement comme un chevalier blanc, défenseur des bonnes causes, des droits de l’homme, des combats humanitaire et disons-le, apôtre de la bonne conscience socialisante qui s’incarne dans divers cercles politiques et médiatiques, à Inter, au Monde, à l’Obs, à Libé et j’en passe. La crise des migrants sert aussi de théâtre pour les annonces de décès des apôtres de l’humanitaire dans un contexte idéologique où les barons noirs de la réaction sont pointés du doigt car ils trahissent la bonne pensée de gauche et s’offrent une crédibilité soudaine dont les résonances avec l’actualité politique et la montée du FN se prête à tous les amalgames. Il faut avoir la malhonnêteté d’un fabriquant de mythe pour faire de Glucksmann ce chevalier blanc des bonnes causes, compte-tenu de ses prises de positions, en 2003 avec les USA, puis en faveur de Nicolas Sarkozy en 2007. Les positions de cet intellectuel de combat ne peuvent s’exonérer de controverses. Toute cette frénésie médiatique s’explique pour une part avec le positionnement de Glucksmann comme une sorte de anti Zemmour. Que dire de plus sinon que les éloges funèbres se sont pas destinées à faire acte de critique, ni à représenter une quête de vérité sur les personnages décédés.
Le temps nous dira ce qu’il restera de ce philosophe controversé que l’on se doit d’apprécier non pas en terme de sympathie ou antipathie mais sur la base d’une analyse honnête de sa contribution à l’intelligence du siècle et à la pensée philosophique. Sur ce terrain, il n’est pas certain que Glucksmann tienne la route car son œuvre résonne trop comme une dénonciation plutôt que comme une énonciation. Une pensée largement influencée par un schéma manichéen avec la division du monde entre un camp du bien et un camp du mal. Bref, un philosophe qui s’inscrivait parfaitement dans l’esprit du temps et qui ces deux dernières décennies a carrément épousé cet esprit en répondant de surcroît à la caisse de résonance de l’opinion bien pensante et quelque peu paresseuse en attente de dénonciations, de désignations de coupables, d’ennemis à abattre, de compassion envers ceux qui apparaissent comme des victimes, depuis les boat people jusqu’aux migrants contemporains en passant par les opprimés de Bosnie, du Kosovo, jusqu’en Libye ou en Syrie lors des illusoires printemps arabes.
C’était peut-être cela, la nouvelle philosophie, une pensée qui épouse l’esprit du temps, qui s’adapte aux aspirations contemporaines en devenant, tel un compendium d’idées prêtes à penser, les étoffes intellectuelles dans lesquelles sont tissées les idéologies à la mode. Etre à l’avant-garde, en première ligne de tous les combats labellisées au nom des droits humanitaires, traquer le mal idéologique et politique comme en d’autres temps on cherchait le démon dans les âmes. Il est bien connu que le marxisme dominant au sein de l’université française a asséché la pensée politique, celle de Strauss par exemple. Mais l’anti-marxisme d’un BHL ou d’un Glucksmann n’a guère fait mieux, se présentant sous des atours idéologiques trop figés pour nourrir la philosophie politique que nécessitait cette époque incertaine depuis 1990 avec son désarroi et ses cultes scientifiques, technologiques, consuméristes et médiatiques.
24 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON