Adoption : la mode est aux retrouvailles
Au Québec, les années 40, 50 et 60 ont été marquées par la prolifération des nombreux orphelinats qui accueillaient les enfants abandonnés. Certaines études font état de plus de 12 000 enfants qui se sont retrouvés « enfants de l’Etat », élevés par des congrégations religieuses. Plusieurs de ces enfants ayant été « mêlés » à d’autres souffrant de problèmes mentaux, y ont vécu l’enfer. D’autres enfants, peut-être plus chanceux, ont été placés en adoption. J’en suis.
J’ai eu la chance d’être adoptée dès l’âge de 4 mois. J’ai toujours su que j’étais une enfant adoptée : j’étais choyée car mes parents m’avaient « choisie ». Fille unique, j’ai grandi dans une famille tricotée serrée. Oncles, tantes, cousins et cousines, tous s’entraidaient. Jamais personne ne m’a fait sentir que j’étais différente étant donné mon adoption. Jamais personne ne m’a mise de côté parce que je ne leur ressemblais pas. Je pourrais même affirmer, sans beaucoup me tromper, qu’être adoptée me servait, ou en tout cas m’apportait une forme d’affection que les autres cousins et cousines n’avaient pas. J’étais fière d’être adoptée.
Une toute petite fois, à l’adolescence, j’ai eu envie de faire des recherches pour retrouver ma mère naturelle. Cette envie fut de courte durée, question de quelques semaines, puis fut oubliée. Souvent on me demandait pourquoi je ne recherchais pas ma famille biologique et à chaque fois je répondais que j’avais déjà une maman et un papa, que je n’avais pas besoin d’en avoir plus, et c’était vrai. Toutefois, dans mon cœur, le grand vide était au niveau de la fratrie : j’aurais bien aimé avoir un frère ou une sœur. Je me rappelle avoir vu une jeune fille dans une église qui me ressemblait tellement que j’en avais les larmes aux yeux. Je croyais que j’avais retrouvé une sœur. Je peux vous assurer que je suis devenue très pieuse à cette époque ! La messe tous les dimanches, sans exception. Malheureusement, je n’ai plus jamais revu cette inconnue qui a peut-être pris la poudre d’escampette à voir la façon dont je la dévisageais !
Puis, juin 2002, bouleversements. Un appel téléphonique d’une travailleuse sociale m’apprend que ma mère biologique est à ma recherche et voudrait me rencontrer. Première vague. Je fais ma brave, ma fière et je n’hésite pas à demander pourquoi elle veut tant me rencontrer après toutes ces années. Qu’est-ce qu’elle me veut ? La travailleuse sociale est discrète, répond par des questions, et semble vraiment préférer que j’adresse mes interrogations à la personne concernée. J’ai la bouche sèche mais je parviens quand même à articuler mon accord : la première rencontre aura lieu dans un mois. Durant tout ce mois, j’ai gardé cette rencontre secrète : je ne voulais stresser personne avec cela, surtout pas ma famille adoptive. Le jour J arrive. Deuxième vague. Une personne adoptée se fait bien souvent, malgré elle, une image de ses parents biologiques : dans mon cas, l’image ne concordait pas du tout à la réalité. Malgré tout, la dame est accueillante et souriante. Je l’écoute me raconter « l’histoire ». C’est bizarre car à ce moment-là j’ai l’impression qu’elle parle de quelqu’un d’autre que moi. Je suis émue mais sans plus jusqu’à ce qu’elle m’apprenne que j’ai un frère et une sœur directs (même père, même mère) et que j’ai également cinq autres demi-frères et demi-sœurs, du côté du père. Troisième vague. Ma sœur, cachée au fond du restaurant où nous avions décidé de faire les retrouvailles, vient à ma rencontre avec mes deux nièces et son mari. La ressemblance est déconcertante : je me vois dans ses yeux, je suis face à un miroir.
La suite de cette histoire, si peu banale qu’elle soit (en tout cas pour moi), n’est qu’une suite de retrouvailles qui ont duré plus d’un an. Mon frère, mes demi-frères et demi-sœurs, mes neveux et nièces, tout ce petit monde a pris subitement place dans ma vie.
Vous savez ce qu’est le ressac ? C’est lorsque les vagues se retournent sur elles-mêmes violemment et se brisent. Les retrouvailles me font penser à cela. J’ai passé au travers plusieurs vagues durant toute cette année-là mais lorsque tout fut terminé, j’ai vécu le ressac. Ne plus pouvoir fabuler sur ses origines, ne plus être « unique » au monde, se sentir partagée entre la famille adoptive et la famille biologique, connaître ses antécédents médicaux, avoir la réalité en pleine figure, quoi ! Mais, le ressac s’en va et la mer redevient calme. Je sais d’où je viens, et grâce à cela, j’ai maintenant l’impression de savoir où je vais. Si j’ai eu envie de livrer ce court témoignage aujourd’hui, c’est que la mode est aux retrouvailles au Québec : une émission comme celle de Claire Lamarche le prouve bien. Prenons bien garde à ce mouvement qui ne pourra que prendre de l’ampleur lorsque les milliers de personnes qui ont été abandonnées auront un libre accès à leurs antécédents biologiques. J’ose croire que les retrouvailles qui en découleront se feront sous le signe de l’harmonie et du respect. J’ai tout de même une pensée pour ceux qui risquent de s’engouffrer dans un ressac sans fin.
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