Après le 11 janvier : la laïcité, plus que jamais l’enjeu de « Comment faire société ? ». A la libre appréciation des futurs élus des élections départementales
La laïcité est au cœur des enjeux de société. C’est ce que sont venus rappeler les événements dramatiques de janvier dernier. Il semblait dès lors qu’une nouvelle prise de conscience se soit révélée de ce coté, en réaction à la réalité crue d’un terrorisme inspiré par le radicalisme religieux. La liberté d’expression, face aux menaces du « délit de blasphème », redonnait tout son relief à une laïcité garantissant la liberté de conscience, droit de croire ou de ne pas croire, ainsi qu’à la liberté de pensée, dont la libre critique des religions. Mais les difficultés n’allaient pas tarder, à l’aune des réponses apportées.
La laïcité comme prise de conscience et perte de l’innocence…
On a vu dans la manifestation du 11 janvier un peuple que l’on pensait être divisé, disparu, revenir au devant de la scène, repoussant la peur en transformant l’horreur en nouvel espoir, à se voir ainsi tous réunis et concernés par cela. « Liberté, égalité, fraternité, un bien commun au dessus de nos différences » lançait un panneau dans la foule ! Le principe de citoyens égaux en droits, indépendamment de la couleur, de l‘origine et de la religion, avait l’allure d’une nouvelle responsabilité qui incombait à tous, redonnant du sens à l’intérêt général et à la République dont la nature est qu’elle le représente. On a soudain aperçu que nos libertés constituaient un tout qui se tenait ensemble, que laisser la moindre de ses parties attaquée engageait le risque de tout perdre. Après avoir cru naïvement nos droits et libertés acquis à jamais dans l’ordre naturel des choses, nous sommes en quelque sorte, malgré nous, sortis de l’innocence.
Mais ce « tous concernés et unis », devait vite être rejoint par la réalité, celle d’une société aux prises avec des tensions identitaires. La minute de silence à laquelle étaient invités les élèves des établissements scolaires, destinée à honorer les morts autant que pour défendre ce que l’on avait attaqué à travers eux, donnait lieu à de nombreux incidents. Il se révélait ainsi à cette occasion, l’ampleur de la crise de cohésion sociale, morale, qui frappait notre pays. Certains refusaient d’y participer, pour beaucoup des jeunes des quartiers issus de l’immigration. On lançait des « ils l’ont bien cherché » à l’adresse des caricaturistes assassinés, d’autres prétextant pour la perturber, que l’on n’en fasse pas autant pour les Syriens ou pour les enfants palestiniens de Gaza.
Cette France qui n’était pas Charlie nous remettait en mémoire des faits, tels le refus du contenu de certains cours sous prétexte par exemple que l’on y parle de la Shoah, ou que l’on y évoque le religieux en tant que fait social parmi les autres vécu comme une atteinte à la foi, la portée universelle de la démocratie rejetée comme de l’ethnocentrisme, la liberté d’expression et donc de faire de l’humour avec les religions comme de l’intolérance, voire des leçons en sciences et vie de la terre mises en cause, parce qu’elles viennent contredire les vérités révélées de textes sacrés… Une situation qui mettait au grand jour une vérité jusque-là cachée sinon minimisée. C’était l’énonciation sans ambiguïté, de l’état d’une société en situation de fracture profonde. Une partie de celle-ci apparaissait comme ne se reconnaissant pas ou plus, dans les valeurs et règles communes, ni dans l’idée de faire société ensemble.
La laïcité était convoquée comme le moyen d’exorciser le mal. Elle seule pouvait semble-t-il contrer un terrorisme commis au nom d’un dieu, fut-il usurpé, et faire rempart à la liberté. L’Etat laïc, impartial, guidé par la volonté générale, semblait bien être redevenu après une période troublée, la condition de l’adhésion de tous à nos principes communs, de celui qui croyait au ciel à celui qui n’y croyait pas.
La laïcité dénaturée en étant réduite à la tolérance religieuse.
Une fois l’émotion passée, la sémantique des mots et des images a subi un changement de cap. On opposait à une laïcité dite d’exclusion, séparatrice, considérée comme s’accrochant à une position de principe ignorante de l’évolution composite de notre société et de ses différences, une laïcité-tolérance, inclusive, qui elle y serait ouverte, présentée comme mise au service de repositionnements nécessaires. A la place d’un peuple rassemblé, on faisait alors tourné en boucle sur les écrans l’image de religieux, imams et rabbins, se donnant l’accolade place de la République. A travers cette nouvelle image d’Epinal, on promouvait l’idée d’une concorde des religions seule à même de désamorcer, le risque terroriste.
Une démarche qui résonnait de la volonté de donner des gages à des populations des quartiers en mal d‘intégration, se sentant mal aimées, à travers une nouvelle valorisation du religieux. Cette idée s’est récemment précisée avec la proposition par la Ministre de l’éducation, d’un renforcement de l’enseignement dit « laïque » du fait religieux à l’école. Une démarche qui croit mieux intégrer les enfants aux origines diverses par la valorisation de leurs différences, chose initiée depuis une quinzaine d’années qui n’a pas donné les résultats escomptés, si on s’en réfère aux incidents de la minute de silence. Il faut dire qu’ainsi on n’a cessé de les éloigner du cadre commun. Les propositions de l’Observatoire national de la laïcité vont d’ailleurs, on peut le déplorer, dans le même sens. Soutien à la création d’établissements privés de théologie musulmane ou encore, intégration dans les programmes scolaires « du récit national » des jeunes Français d’origine africaine. La création, sous l’autorité du ministre de l’intérieur, d’une nouvelle instance de dialogue avec les représentants de l’islam de France et donc par l’entremise de l’Etat, jusqu’au soutien à l’édification de nouveaux lieux de culte en passant par celui au développement de l’enseignement privé confessionnel musulman, sont autant d’engagements qui vont dans le même sens. Une belle catastrophe !
Une addition de différences ne fait pas une société, la République laïque oui !
Est-ce bien la bonne voie que ce réaménagement des principes, qui consiste à attribuer à l’Etat un rôle de garant d’un égal traitement des religions ? L’heure est-elle bien à insister sur ce qui nous différencie d’abord, les religions, les cultures, les origines, par rapport à ce qui nous rassemble par-delà nos différences, le politique, la démocratie, les libertés et les droits individuels ? La garantie du libre exercice des cultes n’est jamais que l’un des aspects de cette liberté de conscience qui nous est chère, adossée à la liberté de pensée qui comprend la liberté d’expression, liberté des cultes à quoi on ne saurait donc réduire notre laïcité républicaine. On peut toujours compromettre les principes au nom des circonstances mais cela a un prix. L’extrême droite ne s’y trompe pas en y voyant une voie d’eau alimentant son moulin à tout rejeter en bloc, où l’intolérance et le rejet de l’autre tiennent une place stratégique.
Quel avenir aurait donc une société qui n’aurait à mettre en commun qu’une addition de différences ? Le fait que l’égalité soit portée au premier article de la Constitution implique que seuls les individus soient titulaires de droits, car reconnaitre des droits à des groupes pourrait rompre l’égalité entre les citoyens selon qu’ils appartiennent ou non à tel groupe, comme le constitutionnaliste Guy Carcassonne[1], a pu le définir.
L’histoire concernant les religions nous a aussi enseigné, qu’elles n’étaient pacifiques les unes envers les autres que sous l’autorité d’une République laïque, faisant respecter sans faiblir, les libertés de chaque citoyen. Faudrait-il relire « Candide » pour s’en convaincre, ce passage où elle découvre l’Eldorado, s’étonnant de toute son innocence de ne pas y trouver de moines « Qui enseignent, qui disputent, qui gouvernent, qui cabalent, et qui font brûler les gens qui ne sont pas de leur avis… » ? Si les temps ont changé, merci tout de même à Voltaire de savoir encore nous remémorer, de ne pas nous laisser entraîner sur les pentes glissantes de la primauté des croyances sur une raison qui seule permet de gouverner, au nom de la liberté.
Il n’y a d’Etat de droit que s’il est lui-même soumis à la loi, et il ne peut l’être qu’en tenant sa légitimité de la souveraineté du peuple formée de citoyens autonomes, libres de leurs choix, non de communautés séparées sur le fondement des croyances. La reconnaissance des individus par le biais de leurs différences, comme l’explique Dominique Schnapper[2](1), revient à les enfermer dans leur particularisme, à les assigner à un groupe, à l’encontre de leur liberté personnelle et de leur possibilité d’échange, de mélange, avec les autres.
La Chancelière Allemande, Angela Merkel, ou le Premier ministre anglais, David Cameron, l’ont récemment eux-mêmes souligné, à travers le constat d’échec du modèle multiculturel qui domine leur pays. La sauvegarde de notre vivre ensemble tient dans une laïcité qui porte au-dessus de tout, l’Etat comme synthèse de l’intérêt général. Elle fait de nous d’abord des égaux facilitant ainsi le mélange, comme nos 27% de couples mixtes, un étranger/un national (4% aux Etats-Unis). Cette mixité culturelle et sociale est la meilleure parade au racisme. Le refus du mélange au-delà de la communauté de croyance est tout le contraire, qu’il ne faut pas flatter, car c’est dans son ombre que le radicalisme religieux peut le mieux s’enraciner.
L’empiètement du religieux sur la vie sociale des individus et des groupes, a été à l’origine de la nécessité de la séparation de l’Etat de toute Eglise, comme une condition consubstantielle d’un même accès aux droits pour tous et à une même liberté. Rien n’a changé en ce qui concerne le rôle de « gardien du temple » attribué ici à la laïcité.
Une République laïque sûre de ses principes, convaincante, porteuse de noouveaux progrès.
La reconnaissance d’une certaine diversité n’implique pas la nécessité du multiculturalisme ou le communautarisme, si ce sur quoi on fait société est plus important que ce qui nous différencie, la laïcité n’impliquant nullement de devoir renoncer à nos identités particulières. Au contraire, en portant au-dessus d’elles le bien commun, elle en garantit la liberté à les protéger toute contre la domination de l’une sur les autres, et permet ainsi leur coexistence pacifique.
Une enquête d’opinion réalisée par l’institut Sociovision, en décembre 2014, nous rapporte que les Français à 76% souhaitent une société qui respecte la neutralité en matière de religion, avec une proportion qui monte jusqu’à 80% chez ceux qui se déclarent catholiques. Mais en contrepoint, les musulmans interrogés sont 56% à penser comme normal qu’on suive d’abord les règles de sa religion avant celles de la société. L’enquête dévoile ainsi à la fois un mouvement continu de sécularisation de la société française, et de forts enjeux d’intégration pour une large part de nos concitoyens musulmans. Il en va sans doute pour cette intégration, d’une République qui lève les ambiguïtés d’une tolérance religieuse ne pouvant voir la société que comme constituée d’individus répartis entre différentes fois qu’il faudrait concilier, en lieu et place de la laïcité. Il en va d’une République qui ne tangue pas dans son rôle protecteur de l’idéal démocratique qui est le notre, propre à des principes communs à tous par-delà nos différences, des libertés et droits des individus incessibles aux religions où aux communautés, autant qu'à aucun groupe quel qu'il soit.
La laïcité est devenue, par l'effet des événements de ce début janvier, comme une nouvelle conscience de classe. Il faut que nos élus se mettent à sa hauteur. Cette République laïque dont nous sommes tous propriétaires, si elle est respectée, comme idéal universel au principe exigeant de liberté, et donc ouverte à tous, ne peut que se faire aimer. Si elle est forte par sa liberté elle est aussi fragile par ce côté, il ne faut pas un instant, aussi, l’oublier. Une conquête dont les promesses n’ont pas fini de nous surprendre si on veut bien la poussée jusqu’au bout, dans l’ordre des progrès de la condition de l’Homme.
Guylain Chevrier
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