Au diable Staline !
Non, cet article n’est pas une critique du film roumain d’Horaţiu Mălăele. Il s’agit d’une réflexion sur l’histoire, la vraie, se déroulant de nos jours et plus précisément en ce moment même, dans un pays dit démocratique et pro-européen. On pourrait rire de son absurdité, si ce n’était qu’une fiction.
Les deux héros glorifiés par l’ancien président Viktor Iouchtchenko, Stépan Bandera et Roman Choukhevytch, ont été destitués par le pouvoir actuel. Parallèlement, en mai 2010, le parti communiste de la ville de Zaporizhzhia en Ukraine inaugure un buste de Staline devant l’immeuble de son comité régional. Les protestations de l’opinion publique, la signature de nombreuses pétitions et la non-opposition du gouvernement ont précédé cette inauguration. A la fin décembre 2010, le buste s’est fait décapité avant de finir explosé lors du réveillon de nouvel an. Une organisation méconnue, le « Mouvement du 1er janvier », a revendiqué cet acte dans une déclaration officielle chargée de slogans guerriers et révolutionnaires. Lors des festivités de fin d’année, les forces de l’ordre ont interpelé 2 leaders d’un parti de « droite », L’Union ukrainienne « Liberté ». Ses partisans parlent de provocation, les forces de l’ordre les accusent de terrorisme profitant de l’occasion pour s’en prendre aux autres activistes politiques, mais aussi aux journalistes et aux intellectuels. Voici le contexte, les débats et les persécutions. Le leader communiste de Zaporizhzhia a quant à lui annoncé joyeusement la reconstruction future du nouveau monument de l’immortel Staline…
Chaque époque a ses figures héroïques et maudites. Lorsque les régimes changent, les pratiques de glorifications et d’anathèmes remettent souvent en question les faits accomplis du passé pour (dé)former, voire manipuler, la mémoire collective. L’histoire est écrite par les vainqueurs, on n’apprend rien de nouveau. La question est de savoir combien de fois devrait-on - et pourrait-on - la réécrire dans notre quêtes de la vérité et comment s’assurer des effets néfastes de l’hyperactivité de certains serviteurs et pseudo-historiens-révisionnistes ?
Les risques de voir un pouvoir succomber à la tentation de manipuler le présent par le passé varient selon les zones géographiques et les expériences historiques des pays. Le danger de réanimer les démons passés est néanmoins moindre là où il s’agit de phénomènes transcendants dans le mémoire collective. Mais la manière la plus efficace de le réduire est sans doute la condamnation ferme par la communauté internationale. Au XXème siècle par exemple, le continent européen, ravagé par 2 guerres, a condamné une fois à jamais les atrocités du régime nazi, leur idéologie et tous leurs symboles. Personne - ou si peu - n’a remis en cause cet état de fait depuis le procès de Nuremberg.
Je pensais m’exprimer à ce propos suite à mon dernier voyage à Moscou avec mes collègues journalistes français. Les comptoirs de souvenirs - y compris dans l’église Saint-Vassili ! - regorgeaient d’images de faucilles et de marteaux. Les touristes occidentaux et locaux se pressaient pour acheter des T-shirts au goût douteux et aux slogans aussi nauséabonds que « Je travaille au KGB » ou encore « J’aime Lénine ». Ces jours-ci, nous avions beaucoup discuté des symboles à condamner, de leurs interprétations et plus généralement de la mémoire collective. Les souvenirs - immatériels ! - de ce voyage et de nos débats me reviennent aujourd’hui à la mémoire suite à ces derniers événements survenus en Ukraine.
Pour rappel, le culte de Staline a déjà été dénoncé à l’époque soviétique par Nikita Khrouchtchev. Dans ce contexte, même la venue au pouvoir en Ukraine de personnes ouvertement prosoviétiques ne justifie pas de tels actes… Forgés par ces « valeurs » pendant cette époque, ils mettent en place aujourd’hui la stratégie « with Europe’s blessing back to the USSR ». Avec la multiplication des persécutions sur la société civile et les intellectuels, l’histoire se répète et est loin d’être terminée. Je ne fais qu’attirer votre attention sur les évènements mentionnés ci-dessus. Et surtout, ce que je souhaitais évoquer, c’est hélas la possibilité d’imposer au XXIème siècle une personnalité aussi lourde de symboles que Staline et de ce fait, a contrario, la possibilité formelle et légitime de poursuivre les personnes pour la défense de ce dictateur ou du moins, son symbole.
En 2005, le prince Harry, fils cadet du prince Charles, s’est rendu à une soirée dédiée à l'Afrique coloniale en costume d’officier nazie de l'Afrika Corps, arborant ostensiblement la croix gammée sur sa manche. L’opinion publique s’est scandalisée provoquant une véritable levée de bouclier. Et, en outre de faire des excuses publiques, le prince a purgé sa peine dans l’armée en Afghanistan. Pourquoi ? Parce qu’il est en aucun cas question de toucher ou de se moquer de certains symboles, dénoncés unanimement par la communauté internationale. La mémoire de millions de vivants sur les millions de leurs ancêtres, déportés, torturés et assassinés ne peut l’accepter.
Pourquoi alors tolérons-nous encore et toujours les symboles du stalinisme ? La faucille et le marteau est emblématique de l’URSS, un régime criminel et inhumain, qui a fait largement plus de morts que le nazisme. D’ailleurs tous les régimes soviétiques étaient inhumains. Staline, surnommé « le manager le plus efficace de la Russie » dans les manuels d’histoire russe parus récemment, n’est pas le seul concerné. Par une condamnation ferme et définitive du soviétisme et de ses symboles, la communauté internationale rendrait un énorme service au peuple russe, ukrainien et tous les autres. Ceci rendrait moins possible les tentatives de réhabilitation de Staline, et ses lots d’atrocités de l’époque, dans les écoles. Et cela éviterait aussi certainement beaucoup d’erreurs. Et les nombreuses personnes croyant à la « bonne idée » du communisme, chère aux bolchéviques, se trompent lourdement. « L’idéologie des nazis était explicitement antihumaine dès le début, alors que la révolution bolchévique et le régime communiste partaient de nobles idéaux. », voilà une opinion répandue en occident.
Mais les chemins vers l'enfer sont pavés de bonnes intentions. Si Lénine et ses sbires s’étaient simplement appropriés les bonnes idées marxistes sur l’égalité, la solidarité, les valeurs de gauche si chéris en Europe, en serait-on arrivé à un régime autoritaire et totalitaire ? Les pères de la « révolution rouge » n’avaient aucunement l’intention de faire prospérer l’idée noble de Marx au profit du prolétariat. Ils s’en sont simplement servi pour instaurer la dite « dictature (!) du prolétariat » et opprimer définitivement les masses prolétaires et paysans, facilement manipulables. Quant aux autres – l’intelligentzia, les artistes, les rebelles, tous ceux qui pouvaient réfléchir, créer, proposer, changer – leur sort est bien connu.
C’est d’ailleurs pour cette raison cruciale que la gauche est totalement discréditée dans les pays d’Europe centrale et orientale et que souvent les partis de droite remportent le pouvoir. Les intellectuels sont d’ailleurs plutôt de droite dans les pays de la « Nouvelle Europe ». Tous ce qui est réactionnaire en Europe de l’Ouest, était dissident et résistant pendant le régime soviétique en Europe de l’Est : l’église catholique, le nationalisme (dont la notion correspond plutôt au patriotisme dans le vocabulaire des pays concernés)…etc. La bonne compréhension de ces interprétations, de cette différence essentielle des approches évitera notamment d’accuser parfois les interprètes de ne pas transmettre toute intégralité de message lors des rencontres internationales entre les représentants de la « Vieille » et de la « Nouvelle » Europe.
Le Parlement européen et l’OSCE ont fait un pas en condamnant le stalinisme aux cotés du nazisme. Il est temps, pour l’opinion publique en Europe et dans le monde, de réaffirmer cette position et de condamner le régime soviétique et tous ses symboles. Il est aussi certainement temps d’arrêter de vendre – et de vouloir acheter ! – ces symboles synonymes de mort, de déportations, de camps de concentration, de génocide. Tout comme la croix-gammée. Dans le cadre d’un redémarrage des rapports avec la Russie, il est aussi impératif de tourner définitivement cette page si l’on veut construire un avenir européen.
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