Aux origines de la chanson des Nibelungen
Frères, sachez que l'Europe est la troisième partie du monde. Elle est composée de peuples qui se différencient par le nom, la langue et les moeurs. C'est une Europe diverse tant par la culture qu'en ce qui concerne la religion. Parmi tous ces peuples, il y a celui de Pannonie. Il est d'usage de donner à ses habitants le nom de Huns. (Extrait du Walther d'Aquitaine, chant en hexamètres latins, traduction E. Mourey).
Ce vaillant peuple était fort par le courage et par les armes ; il n'avait pas seulement dompté les pays circonvoisins, il avait même parcouru les plages de l'Océan (traduction Adrien Vendel).
http://remacle.org/bloodwolf/historiens/anonyme/waltarius.htm).
Que savons-nous d'Attila - je résume - qu'il avait vingt ans en 415, qu'il est mort en 453, qu'il s’était installé en Hongrie (la Pannonie), qu'il aurait commencé ses conquêtes en 441, ce qui le conduisit jusqu'à la ville d'Orléans qu'il assiégea, qu'il se retira de la Gaule à la suite de sa défaite des champs catalauniques, en juin 451 (d'après Wikipédia).
Premières incursions d'Attila en Gaule.
Le poète évoque cette époque mais, semble-t-il, en exagérant l'emprise des Huns (jusqu'à l'Océan ?). Je fais l'hypothèse qu'il s'agit, en réalité, de troupes mercenaires que certaines cités gauloises ont, pour ainsi dire, louées (1), ce qui a pu les amener jusqu'à l'Océan. Par ailleurs - et c'est très important de le remarquer - on ne trouve dans ce "chant" absolument aucune allusion à la terrible bataille des champs catalauniques. J'en déduis qu'il a été composé par un Burgonde de Burgundie à un moment où la puissance des Huns était encore présente et crainte. Il s'agit d'un texte burgonde hostile aux Francs, favorable aux Goths, rédigé au Vème siècle et non au Xème comme on le dit. Un auteur du Xème siécle aurait certainement fait une allusion à la bataille et n'aurait pas aussi bien choisi ses mots pour ménager la susceptibilité d'Attilla.
Attila part en campagne. Il franchit le Danube pour aller "visiter" les Francs dont le roi Gibicho, père d'un Gunther encore enfant, règne sur "le trône haut" (sur la Gaule du nord, à Worms). S'agit-il du roi Gibica que, pourtant, les textes considèrent comme burgonde (2) ? S'agit-il de Gondicaire, son fils qui, selon les textes, aurait vaincu le chef des Huns, Octar, oncle d'Attila (3) ?
Le poète persiste à les considérer comme des rois francs. Renonçant à se battre, les notables francs préfèrent livrer en otage Hagen, l'un d'entre eux, d'origine troyenne, avec le tribut exigé.
L'alliance avec les Francs ayant été conclue, Attila se tourne vers la Burgundie. Il franchit la Saône et le Rhône et son armée se disperse dans la région pour "butiner".
En ce temps-là, la Burgundie était un royaume puissant qu'Herrich dirigeait d'une main ferme (4). Il n'avait qu'une fille, appelée Hildegonde, éclatante de noblesse et de beauté. Je fais l'hypothèse logique que le Burgonde Herrich et sa cour régnaient à Mont-Saint-Vincent, Augustodunum, antique Bibracte.http://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/bibracte-au-mont-beuvray-une-104874
Herrich se trouvait, par hasard, à Chalon - Cabillonis - (normal ! Il y est descendu depuis Mont-Saint-Vincent). Et voici que le guetteur, élevant les yeux, s'écrie : quelle est cette poussière qui monte en nuage épais ? C'est un ennemi qui vient, fermez les portes ! (Le guetteur se trouve aux créneaux de la tour de Taisey) (5). On ferme les portes du castrum et on se porte aux remparts. Certes, on ne va pas manquer de me faire remarquer que la ville des bords de Saône existe depuis le III ème siècle et qu'Attila aurait très bien pu la piller. Peut-être ? Mais entre un riche tribut et un long siège à l'issue incertaine, avouez qu'il a pu préférer la première solution.
Les Burgondes suivirent donc l'exemple des Francs.
Les députés s'avancent, dépouillés de toutes armes ; ils exposent le mandat dont le roi les a chargés, et prient les ennemis de cesser leurs ravages. Attila, le souverain, les accueille avec douceur, suivant son habitude, et dit : « J'aime mieux traiter que de livrer des batailles. Ce que les Huns préfèrent, c'est de régner par la paix, et ils ne prennent les armes qu'à regret, pour frapper des rebelles. Votre roi n'a qu'à venir ici donner et recevoir la paix. » Herrich sortit de la ville, apportant d'innombrables trésors, il conclut le traité et il laissa sa fille en otage. Son plus beau joyau prit le chemin de l'exil. (traduction Adrien Vendel).
Admirable discours ! Après le butinage de la région, la grande clémence d'Attila !
Ceci fait, Attila poussa ses armées en Occident et le roi de l'Aquitaine, Alpher, prit la même décision. Il préféra payer tribut et livrer son fils chéri Walther en otage (Alpher, un Goth ?). Cette décision est d'autant plus grave que le Burgonde Herrich et le Goth Alpher s'étaient promis de marier leurs enfants... évidemment pour sceller une alliance gothe-burgonde.
Des otages francs, burgondes et goths à la cour d'Attila
Chargés de butin, emmenant en otages Hagen, la belle Hildegonde et Walther, les Huns s'en retournent le cœur joyeux. Rentré en Pannonie et reçu dans sa capitale, Attila témoigna de grands égards aux jeunes exilés, et ordonna de les élever comme ses enfants propres... il voulait les avoir sans cesse sous les yeux, leur fit donner tous les talents, et surtout les façonna aux exercices que réclame la guerre...Il les mit à la tête de ses armées. (traduction Adrien Vendel).
Or, lorsque le roi franc Gibich mourut, Gunther lui succéda et refusa de continuer à payer tribut aux Huns. Il se passa alors cette chose étrange, que le Franc Hagen s'enfuit de la cour d'Attila pour rejoindre son roi Gunther tandis que le Goth Walther menait toujours les armées hunniques de victoires en victoires. La reine des Huns dit à son époux : « Propose une épouse à Walther pour te l'attacher (c'est-à-dire, propose lui de recruter ses troupes "pour lui-même" dans une population qui lui sera réservé). » Le sort en décida autrement. Le Goth Walther tomba amoureux de la belle otage burgonde et la préféra à une tribu hunnique..
« Je suis las de notre exil, lui dit-il ; je pense souvent à la patrie délaissée ; aussi je songe à fuir rapidement, en secret ; j'aurais pu le faire depuis longtemps déjà, n'eût été le chagrin de te laisser seule, Hildegonde ! » A ces mots la jeune fille s'écrie du fond du cœur : « Votre vouloir est le mien, c'est mon seul et ardent désir. » (traduction Adrien Vendel).
Ayant offert un grand banquet au peuple hun, profitant de son ivresse, les deux amants s'enfuirent... non sans avoir récupéré leurs trésors plus le trésor de leur hôte.
Alliance des Goths et des Burgondes contre les Francs
Walther, le héros goth, arriva au bord du Rhin, là où le fleuve se rapproche de la ville de Worms, prospère résidence royale. Mais voilà que le batelier à qui Walther avait donné des poissons pour prix du passage, les porta en ville, et voilà qu'on les servit au repas du roi franc Gunther qui se trouvait sur le "haut siège". « Jamais, s'écria t-il, la Francia ne m'a livré des poissons de cette espèce. »
Le roi Gunther n'était pas fou. Alors que le Franc Hagen était tout content de retrouver son compagnon d'exil, Gunther a tout de suite compris que si le Goth Walther revenait en armes, c'était pour étendre le pouvoir goth sur la Francie. Pensant par ailleurs au trésor que son prédecesseur avait dû livrer aux Huns comme tribut, il désigne aussitôt douze vaillants chevaliers en plus d'un Hagen très réticent. « Pressez-vous, leur dit-il, ceignez vos corps de fer, qu'une cotte de mailles recouvre votre thorax jusqu'aux reins ! Laissera-t-on sortir de Francie tant de trésors ? »
Eperonnant son coursier, le roi s'enfonce dans la profonde forêt des Vosges. « Hâtez-vous, leur crie-t-il, il ne peut plus vous échapper ! Emparez-vous de lui aujourd'hui même ! Qu'il rende les trésors qu'il a volés ! »
Hildegonde qui faisait le guet aperçoit au loin briller les lances. Elle s'écrie : « Voici les Huns ! » Ayant levé les yeux, Walther lui répond : « Non ! ce ne sont pas des brigands mais des vauriens de Francie, des paysans de la région ». Puis, ayant pris position, il ajoute : « qu'aucun de ces Francs ne retourne dire à son épouse qu'il s'est emparré d'une partie de nos trésors ».
Le prudent Hagen conseille au roi franc de s'assurer, avant d'engager les hostilités, qu'il s'agit bien du même Walther goth aquitain qui était parti pour un temps chez les Huns (il y avait tellement de variétés de Goths en Europe que c'était miracle de s'y retrouver).
Préfet de Metz, Gamelon venait d'apporter le tribut de la ville. Aussitôt, le roi le charge d'une mission de reconnaissance. Gamelon vole comme le vent et interpelle le Goth Walther aux frontières : « Qui es-tu ? D'où viens-tu ? Où vas-tu ? »
Dans un premier temps, Walther s'étonne qu'on importune ainsi le voyageur qu'il est. Il se présente comme natif d'Aquitaine (frères des Goths qui s'y trouvent). Puis, devant l'insistance de Gamelon qui, évidemment, en doute, il propose de payer son passage avec 100 bracelets d'or.
Hagen est partisan d'accepter le marché mais Gunther ne s'en contente pas ; il veut tout le trésor. Il ordonne à Gamelon de s'en emparer ou de tuer Walther.
Arrivé à ce point du récit, le lecteur commence à comprendre que, dans ce poème, les mauvais sont les Francs, à l'exception toutefois d'Hagen, et que les bons sont les Burgondes de Burgundie ainsi que les Goths d'Aquitaine. Le lecteur commence à comprendre que dans la rivalité qui oppose les Burgondes et les Francs, les premiers souhaitent une arrivée plus importante de Goths en Gaule dans l'intention d'imposer leur suprématie sur la Francie avec leur aide. il s'agit d'un projet d'alliance Goths/Burgondes contre les Francs.
Est-il raisonnable de dater ce poème au Xème siècle ? Je réponds que c'est absolument impossible ! Il n'a pu être rédigé et diffusé qu'avant la défaite d'Attila aux champs catalauniques dans la perspective et l'espérance d'un effacement des Francs... qui ne s'est pas produit.
Que s'est-il passé après la rédaction et la diffusion de notre poème ? Les Francs ne payant plus le tribut prévu, on comprend qu'Attila soit revenu en Gaule, en force, pour exiger son dû et pour rétabir son autorité. On comprend que les Romains de Rome aient vu le danger de déstabilisation. On constate que son général Aetius a réussi à convaincre les Burgondes, les Francs et les Goths de faire un front commun pour s'opposer aux Huns. Remarquons, en passant, que c'est ce même Aetius qui a écrasé le royaume burgonde de Worms avec l'aide des Huns vers l'an 430. Quel cirque ! Mais après la défaite d'Attila et le danger hun écarté, force est de constater la montée en puissance des Francs qui l'ont finalement emporté sur les Burgondes en s'emparant, en 534, de leur capitale d'Augustodunum, Mont-Saint-Vincent, antique Bibracte (6). Nous sommes au coeur de la période troublée des grandes invasions. Le poème que nous étudions dans cet article en est un témoignage de première main, en quelque sorte un "scoop".
Suite du poème.
Bref, il apparaît que le Goth Walther, notre héros du point de vue du Burgonde auteur du poème, a beaucoup de mal à franchir la frontière. Mais ce que les textes nous relatent comme des incursions répétées suivis de pillages, comme des franchissements désastreux, le poète nous les
sublime en des combats chevaleresques dignes des plus grandes envolées homériques de la guerre de Troie. Walther est un nouvel Achille, combattant invincible, faisant preuve d'une incroyable habileté. Il est l'image, la préfiguration du preux chevalier toujours vainqueur et indomptable. En revanche, toujours barbare, il n'oublie pas de couper la tête de ses adversaires.
Comme je l'ai expliqué dans de précédents articles pour les héros de la guerre de Troie, je fais l'hypothèse que Walther et ses adversaires sont des images représentatives et identificatrices d'oligarchies guerrières plus ou moins importantes qui permettent au poète de mieux s'exprimer, jusqu'au sublime de la littérature épique.
Peut-être que le lecteur trouvera la conclusion du poème d'un goût douteux ? Il nous montre "in fine", les héros réconciliés. Le roi franc Gunther a perdu sa jambe, Hagen, son oeil droit et Walther sa main (cela suggère, bien évidement, les nombreuses pertes que les combattants ont subies dans leurs affrontements). Ils étanchent le sang qui coule de leurs blessures avec des fleurs. Walther appelle sa fiancée et lui dit : « Apprête-nous du vin, et tout d'abord offres-en à Hagen ; c'est un vaillant guerrier, encore qu'il n'ait pas respecté la foi jurée. Puis donne m'en à moi, qui eus le plus de mal de nous tous. Quant à Gunther, je veux qu'il boive le dernier, car il n'a guère montré d'entrain au milieu des prouesses de ses braves, et s'il a combattu, c'est avec tiédeur et mollesse. » (traduction Adrien Vendel).
Puis, après avoir plaisanté sur leurs mutuelles blessures, les Francs retournèrent à Worms tandis que l'Aquitain rejoignait sa patrie avec la ferme intention d'y célébrer avec le plus grand faste ses noces burgondes... vision prophétique qui ne s'est pas réalisée puisque c'est le Franc Clovis qui embrassa le culte de la Burgonde Clotilde en 493.
Ce poème m'en rappelle un autre dont j'ai perdu le souvenir.
Vous qui lirez ce poème, soyez indulgents pour le grésillement de la cigale, et si sa voix est un peu rauque, tenez-lui compte de son âge, car elle n'a pas encore quitté son nid pour prendre son essor. Voilà le lai de Walther. Que Jésus vous sauve ! (traduction Adrien Vendel).
Renvois
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