Bibracte, Gergovie, Pergame : le combat des géants et des dieux
Allianoi est un fabuleux site archéologique d’Asie mineure, récemment découvert et pourtant déjà menacé par un projet de lac artificiel. Arte vient de lui consacrer, ce samedi 10 mai, un documentaire en forme d’appel au secours. Et parce qu’Allianoi est un site antique, il peut nous apprendre beaucoup sur les nôtres.

Allianoi existait au deuxième siècle de notre ère ; le célèbre rhéteur et sophiste grec Publius Aelius Aristide, qui vivait à cette époque, venait y chercher la guérison de ses maux mais on ignorait où se trouvait l’endroit. Le doute est aujourd’hui levé. C’est à Pacha Ilicasi - les bains chauds du Pacha - que les fouilles ont mis au jour l’importante ville thermale. Le lieu correspond à l’Hadrianuteba de la carte de Peutinger, première station sur une importante voie antique, à 18 kilomètres (VIII lieues) de Pergame, capitale du royaume aux deux tours symboliques (Pars X ). Position fortifiée, Pergame – aujourd’hui Bergame - est perchée sur une hauteur remarquable, comme Gergovie que je situe au Crest, comme Bibracte que je situe sur le horst de Mont-Saint-Vincent (voyez mes précédents articles, tous les arguments que j’ai présentés et l’absence de contradictions argumentées).
Allianoi était la ville d’eau de Pergame – cela me semble évident - comme Vichy l’était pour Gergovie/Le Crest, comme Bourbon-Lancy l’était pour Bibracte/Mont-Saint-Vincent. Ces eaux sont des eaux guérisseuses et parce qu’elles sont guérisseuses et bienfaitrices pour la santé, elles attiraient les touristes romains, ce qui développait l’urbanisme et enrichissait les cités qui les possédaient. La carte de Peutinger les indique, en général, par une vignette caractéristique.
Les Galates, autre nom pour dire Gaulois, sont arrivés en Asie mineure vers l’an – 278. Alors que les Romains ne dominaient pas encore la région, alors que les bains n’avaient pas encore connu leur essor, que s’est-il passé entre les Grecs installés à Pergame et les Galates conquérants venus de la Gaule ? Comment s’est faite la rencontre entre une culture de pure tradition grecque et une culture celte que ni le judaïsme, ni le christianisme n’avaient encore touchée ?
La réponse se trouve dans le Grand Autel de Pergame. La construction de cet imposant monument célèbre, vers l’an - 167, la fin d’une guerre que Pergame remporta sur les Galates. Il est aujourd’hui exposé dans une grande salle du musée de Berlin. Les frises, monumentales, représentent une Gigantomachie, iconographie bien connue par les poteries grecques dont les décorations mettent en scène les combats des géants contre les dieux de l’Olympe.
Soyons logiques ! Si, dans le symbolisme de la représentation, les guerriers victorieux de Pergame se projettent dans les dieux et déesses de leur culture grecque, les géants vaincus sont les Galates et s’ils sont vaincus, c’est dans les symboles de leur culture celtique.( Photographies des frises sur le site Artserve de la Australian National University.)
Les Gaulois étaient-ils symboliquement des géants ? Descendants du puissant Héraclès, fondateur de cités lors de sa course errante en Gaule selon Diodore de Sicile, Tite-Live attribue à l’un de leurs hérauts une taille fabuleuse ; et le prince celte de la tombe de Hochdorf ne mesurait-il pas 1 mètre 87 ?
Alors que les Grecs se projetaient dans un univers de dieux célestes, les géants celtes sont nés de la terre. À Mont-Saint-Vincent/Bibracte, c’est le horst en forme de lion couché. À Gergovie/Le Crest, c’est la forme reptilienne de la montagne de La Serre. Voilà pourquoi les géants de la frise sont représentés, certains avec des membres d’anguipèdes, d’autres en compagnie de lions (ces lions et anguipèdes pouvant à l’occasion se mordre, illustrant par là la concurrence qui existait entre Bibracte et Gergovie, concurrence qui existait encore au temps de César. Il s’agit là de mon interprétation personnelle).
Et, en effet, c’est bien en Gaule que se trouvent en nombre non négligeable ces étonnants Jupiter à l’anguipède où je vois, en ce qui me concerne, un dieu du ciel chevauchant le cheval gaulois (la Gaule) que soutient un dieu de la terre. Non ! ce dieu de la terre dont le bas du corps se termine en queue de reptile ou de poisson n’est pas écrasé comme s’il était le diable. Il s’agit du Dis pater dont parle César dans ses commentaires, du dieu qui fait naître.
Ce symbolisme animalier a survécu dans les sculptures de maintes églises romanes, mais souvent avec une différence, évolution oblige. Ce n’est plus pour évoquer le dieu ou les dieux des profondeurs, ni les forces telluriques de la terre, ni les nymphes des bois, des sources ou des eaux, mais le péché qui animalise l’homme. Voyez le tympan de la cathédrale éduenne d’Autun ! Observez bien le bras de ce damné qui s’animalise en salamandre de Gergovie ! N’’est-il pas le bras jumeau de ces bras gaulois de Pergame qui se prolongent en têtes de serpent ou de lion mourant ? (il s’agit, là encore, de mon interprétation personnelle).
Bibracte au Mont-Saint-Vincent, Gergovie sur la hauteur du Crest, voila, selon moi, les deux sources de la culture celte qui a rayonné jadis jusqu’en Asie mineure, une culture héritée de l’hellénisme mais qui avait évolué dans un sens druidique alors que celle de Pergame était restée très proche des temps athéniens (relisez les articles que j’ai consacrés à ces deux sites gaulois. Admirez les chapiteaux aux lions de l’un et les chapiteaux à la salamandre ou aux serpents de l’autre. C’est absolument fantastique !).
Les Gaulois voulaient conquérir le monde. Les Romains le voulaient aussi. C’est bien là le drame. Par Pergame interposé, allié et tête de pont, Rome l’a emporté, non sans mal toutefois. En – 88, des Romains se trouvaient à Pergame, dans le temple d’Asclépios, le dieu grec de la médecine. Ils y furent massacrés par les troupes galates de Mithridate VI. Venus "en voisins" de Galatie (capitale Ancyre, aujourd’hui Ankara), ces Galates acceptaient mal le protectorat romain qui pesait sur eux depuis Pergame. Vercingétorix lui aussi, en Gaule, en - 52, ne voulait plus de "l’amitié" romaine.
Et puis, les esprits se sont apaisés grâce à la "pax romana". Presque un siècle après la mort du rhéteur Aristide qui avait rendu célèbre l’école de Pergame, un rhéteur éduen de la Gaule profonde portait le nom d’Eumène, un des plus célèbres rois qu’avait connu la cité qui inventa le parchemin (Pergame -> parchemin). Un siècle plus tard, le comte éduen, ami de l’Arverne Sidoïne Apollinaire, portait celui d’Attale, un autre de ses rois. Etonnant ?
Car si Pergame était célèbre pour son école de rhéteur, elle l’était aussi pour sa bibliothèque qui rivalisait avec celle d’Alexandrie en Égypte, se disputant avec elle – je cite Wikipedia - les meilleurs manuscrits et les meilleurs spécialistes, dans deux visions divergentes. À Alexandrie se pratiquait l’étude du lexique, des textes vers par vers, mot par mot. L’établissement de conclusions se faisait par des confrontations de textes abordés de manière scrupuleuse. À Pergame au contraire, on cherchait le sens profond des textes - voire caché - considérant ainsi que ce qui était écrit et ce qui était véritablement signifié ne correspondait pas systématiquement (c’est ce que j’essaie d’expliquer dans mes articles, malheureusement sans beaucoup de résultats).
Célèbre, Pergame l’était aussi par ses sculptures, notamment de Gaulois mourants. Or, il me semble évident que les sculpteurs aient été des Galates vaincus et prisonniers. Ainsi s’expliquerait que, par delà le canevas imposé par les vainqueurs, ils aient néanmoins réussi à exprimer dans leurs œuvres, la force, le courage, la dignité et la grandeur de leur culture celte.
Protégé de son bouclier frappé aux armes de Bibracte (le lion) et de Gergovie (la Gorgone), le guerrier celte du Metropolitan museum of art de New York était parti sur son char d’apparat à la conquête du monde.
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