Cardinal Sarah : « J’ai peur que l’Occident ne meure. Vous êtes envahis par d’autres cultures, d’autres peuples qui vont vous dominer »
Robert Sarah est un cardinal catholique guinéen, préfet de la Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements depuis 2014. Il vient de publier La Force du silence aux éditions Fayard. De passage en France, il a été interviewé le 7 novembre par Charlotte d'Ornellas, du site Boulevard Voltaire. Après une réflexion sur le silence et Dieu, il en est venu à poser un diagnostic très sombre sur l'Europe, sa dénatalité et l'immigration massive qui, selon lui, va la submerger et la dénaturer.
Voici la retranscription de l'entretien :
Votre éminence, vous venez d’écrire un livre qui s’appelle « La force du silence ». On vit aujourd’hui dans un monde qui a peur du silence, qui le considère comme une source d’angoisse. Comment trouve-t-on le silence, et pourquoi est-il important ?
Je crois que le silence est vital. Ne serait-ce que pour retrouver une certaine sérénité ; le repos du corps. Par exemple quand vous voulez dormir, vous avez besoin de silence autour de vous. Vous voulez écouter une belle musique, vous avez besoin de silence autour de vous. Vous voulez lire un livre intéressant, vous avez besoin de silence. Vous voulez causer avec un ami, sur des questions sérieuses, vous voyez bien que le silence est vital.
Et même pour se regarder soi-même, pour savoir qui nous sommes, où nous allons, ce que nous voulons faire. On a besoin de silence, vraiment, pour que l’homme s’intériorise, que l’homme aille à la source de son être.
S’il est totalement enveloppé de bruit, torturé par le bruit, il n’est pas tranquille, il ne peut pas réfléchir, il ne peut pas savoir où il va, ce qu’il fait. Et donc il s’éloigne de lui, il s’éloigne de Dieu. Parce que Dieu est silencieux. Pas un silence qui est absence de parole, parce qu’il y a aussi un silence qui parle.
Voyez-vous, le silence n’est pas seulement le fait de ne pas entendre de sons. Le silence c’est aussi un langage. C’est le langage de Dieu, d’ailleurs. Et donc j’invite tout le monde à retrouver ce silence-là pour se retrouver en tant qu’humain d’abord. Mais également pour que les hommes puissent quand même s’asseoir pour réfléchir aux vraies questions de la vie. Les vraies questions de la vie ne sont pas seulement les questions économiques, les questions techniques. Mais « qu’est-ce l’homme ? », « pourquoi est-il sur cette terre ? », « où va-t-il ? », ce sont des questions importantes, n’est-ce pas ?
Et tout cela va déterminer l’économie, la politique, les relations humaines. Donc je pense que ce texte « La force du silence » est très important. Certes, c’est un problème difficile, incompréhensible. Les gens sont comme traumatisés, ils me demandent « mais qu’est-ce que ça veut dire, ce silence ? », « pourquoi rechercher le silence ? ». Et pourtant, comme je disais, c’est absolument indispensable, urgent, de retrouver le silence, pour que l’homme se retrouve lui-même et retrouve Dieu.
Alors justement, on est dans un monde difficile aujourd’hui, et beaucoup dénoncent surtout le silence de Dieu. Vous êtes un homme d’église. Où est Dieu, dans ce silence, justement ?
Dieu est présent dans notre monde. C’est nous qui ne l’écoutons pas. C’est nous qui ne voulons pas le voir. Mais il est pleinement présent. Il est présent là où l’on souffre. Parce que la première victime de la souffrance, c’est Dieu. Il ne veut pas le mal. Mais c’est nous qui créons le mal. C’est nous qui créons les guerres, voyez-vous, c’est pas Dieu. Et quand on tue des enfants, il ne faut pas dire « mais pourquoi Dieu permet-il ça ? ». C’est nous qui voulons ça, mais pas Dieu. Et Dieu souffle péniblement de voir des enfants qu’on tue, des innocents qu’on tue.
Donc, il n’est pas silencieux mais il a Sa façon d’être présent. Une présence qui devrait nous amener à réfléchir. Pourquoi la guerre ? Que voulons-nous avec la guerre ? Que voulons-nous à détruire des gens, des personnes, et ce qu’ils ont acquis par des années de travail ? Et donc Dieu est silencieux mais c’est un silence qui interroge l’homme sur son action. Qui interroge l’homme sur le vrai sens de la vie.
On vous sent inquiet pour le monde occidental. Qu’est-ce qui vous inquiète ?
Vous savez, la plus grande inquiétude c’est que l’Europe a perdu le sens de ses origines. Elle a perdu ses racines. Or, un arbre qui n’a pas de racines, il meurt. Et j’ai peur que l’Occident meure. Il y a beaucoup de signes. Plus de natalité. Et vous êtes envahis, quand même, par d’autres cultures, d’autres peuples, qui vont progressivement vous dominer en nombre et changer totalement votre culture, vos convictions, vos valeurs. Il y a également, voyez-vous, cette angoisse, qu’il n’y a que la technique, que l’argent qui compte. Il n’y a pas d’autre valeur…
Et vous êtes aussi celui qui espère parce que la foi n’est pas morte en France. Vous étiez il y a quelques jours dans une basilique de Vézelay pleine. Aujourd’hui dans une cathédrale de Versailles pleine. Qu’avez-vous à dire à ces gens qui ont la foi ?
La consolider ! La renforcer ! Qu’elle soit plus dynamique, qu’elle soit plus rayonnante ! Pour qu’avec la foi on retrouve Dieu, et en retrouvant Dieu on retrouve certaines orientations, certaines lois, certaines valeurs chrétiennes.
Les propos du cardinal Sarah sur l'oubli de l'identité (chrétienne) de l'Europe et, surtout, sur une "immigration-invasion" qui va renverser notre culture détonnent incroyablement :
"Vous êtes envahis, quand même, par d’autres cultures, d’autres peuples, qui vont progressivement vous dominer en nombre et changer totalement votre culture, vos convictions, vos valeurs."
En disant que les Européens sont "envahis", Robert Sarah reprend à son compte la terminologie employée et prônée par Jean-Yves Le Gallou, ancien cadre du Front national, aujourd'hui véritable tête pensante et idéologue de ce que d'aucuns nomment la "fachosphère", et qui présente l'émission I-Média sur la web-télé droitière TV Libertés.
Dans sa dernière émission, Le Gallou partait une nouvelle fois en guerre contre ce qu'il considère être de la novlangue, l'utilisation des termes "réfugiés" ou "migrants" dans les médias de masse (écouter notamment à 21'40) :
"Envahisseur, c'est l'arrivée d'une masse indésirée. Or des clandestins ne sont pas désirés. Donc le mot "envahisseur" est tout à fait adapté, en tout cas on a le droit de l'utiliser, et moi je recommande à ceux qui postent des commentaires de ne pas hésiter à l'utiliser, car il faut faire sauter le bouchon du politiquement correct et du mensonge."
Le cardinal Sarah, en évoquant la future domination en nombre d'autres peuples sur le sol européen, apparaît sur la même ligne que l'écrivain Renaud Camus, candidat à l'élection présidentielle de 2017, qui met en garde contre le "grand remplacement" de populations.
En tout cas, sa conviction est à l'opposé de celle du Premier ministre Manuel Valls, qui, le 2 novembre dernier, à l’occasion de la remise des Prix de la Laïcité 2016, a tenu ce discours très optimiste et volontariste sur l'avenir des migrants en France :
"Demain, [les demandeurs d'asile de Calais] seront français. Demain, ils parleront français. Demain, ils porteront nos valeurs. Certains, demain, seront députés, membres d'un gouvernement..."
Valls est convaincu que les migrants de Calais, dispersés récemment sur tout le territoire, épouseront nos valeurs. Il manifeste en cela une plus grande foi, une plus grande espérance (deux des vertus théologales) que le cardinal Sarah... qui n'en croit rien. Etonnant renversement : l'homme de foi paraît plus terre-à-terre que l'homme politique, plus réaliste, plus désabusé... A moins que nos hommes politiques soient devenus les hommes de foi par excellence de notre temps, des idéologues qui ont perdu le contact avec toute réalité et qui croient au paradis sur terre...
Il en faudra bien des efforts pour que les Afghans qui, au moment de leur départ, ont mis le feu à la jungle de Calais au motif que cela relevait de leur tradition, dixit la préfète Fabienne Buccio, adoptent les valeurs de l'Occident. Des valeurs qui, comme le regrette le cardinal Sarah, se résument à la technique et à l'argent...
Les propos de cet homme d'Eglise noir ont, très ironiquement, fait la joie de la "fachosphère", qui s'est soudainement mise à rêver d'un pape africain... Voyez par exemple les réactions enthousiastes sur Twitter de Pierre Sautarel, qui pilote le site identitaire Fdesouche, et de Julien Rochedy, ancien président du Front national de la jeunesse :
Vivement qu'on ait un Pape africain... https://t.co/ISIr7ZWGi9
— Pierre S. (@FrDesouche) 7 novembre 2016
Ce monde n'a aucun sens. Il faut attendre un cardinal africain pour tenir le meilleur discours identitaire parmi les ecclésiastiques. 😵 https://t.co/KM27YPDTt0
— Julien Rochedy (@JRochedy) 7 novembre 2016
Si le pape François dénonce également "l’idolâtrie de l’argent", il ne partage pas la crainte du cardinal Sarah sur le plan identitaire et culturel, et prône l'intégration des migrants ; une intégration rendue nécessaire, selon lui, par le vide démographique européen :
"Le pire accueil est de les ghettoïser alors qu’il faut au contraire les intégrer. À Bruxelles, les terroristes étaient des Belges, enfants de migrants, mais ils venaient d’un ghetto. (...) Cela montre pour l’Europe l’importance de retrouver sa capacité d’intégrer. Je pense à Grégoire le Grand (pape de 590 à 604, NDLR), qui a négocié avec ceux qu’on appelait les barbares, qui se sont ensuite intégrés.
Cette intégration est d’autant plus nécessaire aujourd’hui que l’Europe connaît un grave problème de dénatalité, en raison d’une recherche égoïste de bien-être. Un vide démographique s’installe. En France toutefois, grâce à la politique familiale, cette tendance est atténuée."
L'Eglise semble bel et bien divisée entre, d'une part, la ligne du pape, intégratrice (digne de Manuel Valls), et, d'autre part, celle du cardinal Sarah (proche de celle de l'extrême-droite), qui craint que l'intégration espérée ne finisse en domination des nouveaux arrivants.
Notons enfin que le cardinal Sarah, en craignant la mort de l'Occident, rongé par son matérialisme décadent, qui le prive de toute sève, de toute vitalité spirituelle, fait comme un écho aux noires prophéties du philosophe matérialiste Michel Onfray, qui disait déjà à peu près la même chose en 2009...
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