Coke en stock (XXXIX) : en Bolivie, une effarante hécatombe d’avions qui mène... en Serbie
Et puis, il y a d'autres états encore. Dont un, qui a toujours été un fief de la production de coca, pour "usage interne" dirons-nous, et qui s'est doté depuis d'un président favorable à la culture "ancestrale" de son pays, où l'on semble voir apparaître depuis peu une résurgence du trafic de cocaïne : La Bolivie, où les trafiquants auraient perçu dans les propos présidentiels une ombrelle pratique pour leur activité ? En tout cas, ce qui est surtout alarmant, c'est le nombre incroyable de crashs aériens ces dernières années de petits appareils, la plupart impliqués comme par hasard dans le trafic de drogue en Bolivie. Toute l'année 2010, notamment, avait en effet été marquée par des accidents d'avions, la plupart mêlé à un trafic illicite, dans le pays, ou en provenance du pays, prouvant l'intense activité du trafic de drogue. Une vraie hécatombe !

La Bolivie elle aussi est en effet secouée depuis peu par une vague étonnante de crashs d'appareils, ou de crashs dans d'autres pays voisins dans lesquels on découvre des boliviens comme pilotes ou trafiquants. Ainsi le 11 avril 2010, un Cessna-210 Centurion, un des avions les plus représentés en Bolivie, se crashe, c'est le numéro CP-1373, tuant quatre personnes, à Concepcion, près de Santa Cruz.
Un vol de nuit avec un appareil pas vraiment équipé pour, conclut le bureau d'investigation, qui n'évoque en rien un quelconque trafic. Le 11 mai 2009, à Tres Cruces, c'est un pilote russe encore débutant (il avait 60 heures d'instruction seulement) Vasily Lil Martishev (appelé aussi Martishew Basili) qui décollait de nuit lui aussi à bord d'un Cessna 172 (le CP-2492) et se crashait à l'arrivée à l'atterrissage après une descente trop raide, provoquant là encore quatre morts. Le 12 mai, c'est du Brésil que provenait la nouvelle d'un crash aérien dans le Matto Grosso dans lequel sont impliqués trois boliviens. Avion de la drogue, pour sûr, commente la presse. Le 25 du même mois, un avion ayant emporté de la drogue est retrouvé carbonisé près de Santa Cruz. Selon les services des narcotiques, c'était bien un avion ayant servi à transporter de la drogue qui a été incendié après s'être posé.
Le 31 mars 2008, un autre accident spectaculaire avait marqué les esprits : un Cessna 206 CP-2295 survolant l'International Airport Jorge Wilstermann se plantait littéralement verticalement de retour d'une visite de la jungle, en route vers Cochabamba. Les images du crash étaient très impressionnantes, le pilote seul à bord s'en sortant avec des égratignures. Les crashs de petits appareils sont donc nombreux, en cause en partie la raréfaction de l'air en haute altitude en Bolivie, mais avec parfois plus de chances pour les gros porteurs, avec le 727 du 5 février 2008... par exemple, qui s'en sortira un peu comme le triréacteur russe dont je vous avais parlé naguère. En Bolivie, comme ailleurs en Amérique du Sud ou Centrale (et comme en Afrique !), c'est surtout l'absence de bon état des routes qui a fabriqué un trafic intense de petits appareils. Aux alentours de l'aéroport d'El Trompillo, à Santa Cruz, et près de celui de Jorge Henrich, à Trinidad, on dénombre ainsi pas moins de 400 appareils, les deux aéroports voyant par jour un trafic moyen de 225 décollages/atterrissages par jour, note Tristán Landívar dans son remarquable article "Civil aviation's bad streak in Bolivia continues"... L'année 2010, dans le genre, avait été un record pour les accidents. et 2011 a déjà démarré sur le même rythme : place donc aux crashs successifs boliviens, révélateurs d'une intensification du trafic de coke dans le pays...
Cela commence dès le mois de février de l'année, avec tout d'abord le crash d'un monomoteur Cessna U206G Stationair, immatriculé CP-1636, qui avait quitté l'aéroport de La Trompillo au début de l'après midi pour aller s'écraser quelques minutes plus tard dans un endroit entre Guarayos et San Ignacio de Velasco, l'accident ayant fait trois victimes. On soupçonnait fortement alors un vol ayant trait à un trafic de drogue ; l'avion n'ayant pas visiblement respecté son plan de vol initial. Mais à bord, aucune trace de détectée.
Le 19 juin, à San José de Chiquitos, se posent deux petits Cessna, enregistrés CP-1596 et CP-1784, tous deux en revanche bourrés de drogue. Ils sont aussitôt confisqués par l'État Bolivien et rangés dans le hangar N°89 de l'aéroport. On retrouvera quelque temps plus tard le fameux CP-1596, devenu par la grâce des douanes le FAB-366 à savoir une nouvelle recrue pour la Bolivian Air Force (il sera ainsi photographié dès le 26 août 2010 avec sa nouvelle immatriculation lors d'un exercice militaire). L'armée Bolivienne n'est pas riche, en effet, et elle se fournit avec les saisies des douanes. L'appareil ne sera pas longtemps une recrue acceptable : le 12 juillet, il s'écrase lors d'un vol d'entraînement à Cobija. L'avion a heurté une ligne électrique, mais l'équipage est indemne.
Ainsi toujours le 1er août, avec l'arrivée à Monteverde, près de San Julian, d'un appareil de type nouveau pour le trafic de drogue : un "crop duster" un avion agricole de type Cessna 188 Agtruck, surnommé "fumigador", car c'est effectivement un avion de lutte contre les cultures de coca, encore muni de ses rails pulvérisateurs le long de ses ailes. Un comble ! A bord, 108 paquets de cocaïne, l'appareil pouvant transporter 300 kilos de charge. L'avion s'était posé....au milieu d'un champ de tournesol, où les narco-trafiquants avaient coupé une piste d'atterrissage invisible autrement que vue d'avion... on retrouvera à bord de l'appareil 15 kilos de cocaïne. Il n'y a pas, c'est de plus en plus organisé ! On peut aussi noter le superbe paradoxe du transport de cocaïne par un avion chargé d'éradiquer la coca !
Le 3 août 2010, c'est cette fois un Cessna U206G Stationair immatriculé CP-1483 qui va lui aussi au crash à l'atterrissage près du village de Buen Retiro, en tentant d'atterrir sur un chemin de terre où deux 4x4 blancs et rouge l'attendaient, visiblement avec impatience : les trafiquants étaient déjà sur place. Le vent violent met fin à la tentative d'atterrissage...qui avorte, l'avion se couchant sur l'aile gauche. Le chef de la police dépêché sur place, ravi de la saisie, déclare que c'est le second dans la semaine après celui confisqué à San Julian, "un avion -fumigateur pour lutter contre les plantations de coca", rappelle-t-il !
Le 25 septembre 2010, c'est cette fois un Cessna 210 immatriculé CP-2648 qui est saisi par les autorités paraguayennes avec à bord pas moins de 440 kg de cocaïne sur une piste d'atterrissage clandestine du Sud Paraguay à Pampelune, dans l'Alto Paraná, avec à bord deux pilotes d'origine bolivienne et deux autres trafiquants en provenance du Paraguay. L'avion avait survolé la réserve de Guayaki Ache, dans la communauté indigène de Puerto Bravo, à environ 120 miles au sud de Ciudad del Este, la piste d'atterrissage étant dans un ranch où était entreposée la drogue. La région est censée promouvoir la culture de l'Organic Yerba Mate, pour faire un breuvage entre le thé et le café aussi attirant que le chocolat, en dit la publicité...
L'année 2011 démarre de la même façon, sur les chapeaux de roue. Avec un Cessna U206 immatriculé CP-2547, tombé le 24 février : "Cinq personnes ont été interpellées après la découverte d'un petit avion dans une piste d'atterrissage clandestine dans la ville d'Okinawa. Selon les autorités, l'appareil a été soumis à été testé positif sur le terrain par le coordonnateur du Bureau des contrôle du marché aérien de Santa Cruz, (...) Fernando Amurrio, qui a déclaré que le pilote et les autres personnes impliquées entrent chacun dans une histoire de substances réglementées. L'avion a été transféré à l'aéroport de Trompillo, en dépôt à la Force aérienne bolivienne". Et hop, un appareil de plus pour les forces aériennes boliviennes ! On l'avait photographié le 26 août 2010... à El Trompillo. Deux jours avant son crash, un Cessna Cessna 210M CP-2523 se posait train rentré aux abord de l'aéroport : cette fois, simple incident technique, pas de drogue à bord.
Mais le 8 février, cette fois c'est bien un avion avec de la drogue à bord qui s'écrase. C'est encore un Cessna 210 qui fait alors la une de la presse : "Un avion avec double inscription (ZP-PZU ou PT-KET) et le drapeau du Paraguay destiné à transporter de la drogue a eu un accident hier à Gaza, une ville du nord du pays, à environ 9 miles de Yapacani. Selon le témoignage. recueilli par la brigade des stupéfiants de l'incident l'avion s'est crashé à l'endroit où des hommes attendaient à bord d'un camion". Selon des témoins, plusieurs paquets ont été chargés dans le monomoteur, qui a ensuite tenté de décoller, mais le pilote a perdu le contrôle de l'appareil et après le crash, l'équipage s'est échappé dans le même camion avec la charge de l'appareil. Un procès-verbal indique qu'avant que les personnes de UMOPAR n' arrivent, l'avion avait été délesté de sa radio, des sièges et des ceintures de sécurité".
Le 6 mars dernier, on a le droit à une scène complète de transfert de drogue en pleine jungle bolivienne : " l'organisme bolivien de lutte contre les stupéfiants (FELCN) a découvert que les réseaux de trafiquants de drogues utilisent les routes de la minorité rurale protestant mennonite de la Bolivie pour le transport de la cocaïne ou d' ingrédients comme la pâte de cocaïne et de chlorhydrate de cocaïne vers les pays étrangers. Cette découverte a été provoqué par un avion mystérieux qui s'est écrasé sur un sentier près de la petite colonie "California 1", à quelque 200 km de Santa Cruz qui serait impliqué dans le commerce de la drogue. "Des défricheurs (colons) de jungle nous ont informés que de petits avions de diverses marques atterrissaient presque tous les jours sur les routes mennonite et chargeaient de petites cargaisons, transférées à partir de camions », a déclaré le Directeur Départemental de la FELCN, le colonel Jorge Romero. L'avion s'est écrasé à 06h30 jeudi dernier parce que ses roues sont restées coincées dans un fossé sur le bord de la route. Selon les habitants, au même moment un camion pick-up rouge a essayé de remettre l'avion sur la route du retour sans succès. À défaut de remettre l'avion d'aplomb, c'est le camion qui s'est mis sur le blanc et les deux occupants du Cessna Centurion vert et se sont enfuis". L'avion, encore une fois un Cessna Centurión blanc (d'une valeur d'environ un demi million de dollars), était enregistré sous un numéro paraguayen, le ZP-BAC. Le groupe de trafiquants a subtilisé avant de partir à bord de l'avion un GPS, un journal de bord et d'autres instruments". Le 17, c'est un avion venu de Pedro Juan Caballero qui se fait arrêter au Brésil à Lucelia à l'Ouest de l'Etat de Sao Paulo. A bord 80 kilos de cocaîne et 291 kilos de marijuana.
Encore un crash, le 11 mars dernier, avec cette fois un bien classique (et bien vieux !) Beechcraft Twin Baron crash"la police fédérale brésilienne a arrêté un citoyen bolivien (passager) et un Brésilien (le pilote) qui essayaient d'entrer dans ce pays avec un avion bi-moteur chargé de 560 kilos de cocaïne. L'avion est tombé au sol, près de la frontière avec la Bolivie, du Mato Grosso au Sud. Selon les spécialistes, la chute s'est produite sans doute parce que le bimoteur volait à basse altitude pour échapper à la surveillance. L'appareil se dirigeait vers un ranch dans la municipalité de Poconé, sous le faux enregistrement N6037, le pilote affirmant "qu'il a été lui-même enlevé."
Il existe bien un Baron immatriculé N6037U, datant de 1979, avec donc un U en plus, mais il est toujours en vente semble-t-il chez SouthEast Piper à Atlanta (pour la modique somme de 185 000 dollars. Il n'y a pas : la Bolivie est bien le lieu d'un intense trafic aérien de transport de cocaïne, mêlant les trois pays limitrophes : Paraguay, Brésil et Argentine. Seuls le Pérou et le Chili semblent en reste (pour le Pérou, nous verrons un peu plus tard que ce n'est pas tout à fait exact, on estime déjà à 20% la drogue en provenance du Pérou).
Le pays est donc l'objet d'un trafic qui s'est renforcé ces dernières années. Et comme dans ce même pays, historiquement, ce sont installés des personnes venues de pays de l'est, liées le plus souvent à un extrémisme de droite, il est logique d'en trouver la filiation au sein des mafias de la drogue bolvienne. Avec une production croissante, les appétit mafieux se sont réveillés. Avec 23 600 hectares de plantations de coca en 2003 et 27 500 en 2006, la production est passé de 100 tonnes à 115, et elle croît toujours, selon la Maison Blanche. En février 2011, la police bolivienne fait une "découverte" dont tout le monde se doutait : c'est bien le cartel colombien du Norte del Valle qui s'est replié de la Colombie vers la Bolivie, et qui a notamment tenté d'envoyer 900 kilos de drogue directement vers l'Espagne, via un biréacteur chargé habituellement du don d'organe, une affaire que j'ai évoqué ici-même. Comme preuve de l'envahissement, les responsables boliviens citent l'arrestation du mafieux colombien Jesus Maria Osorio Torrez, capturé en 2010 avec 174 kilos de cocaïne découverte à La Paz et à Santa Cruz. Il y aurait été depuis l'an 2000 déjà. La police avait déjà rappelé les années précédentes qu'elle avait saisi 27,4 tonnes de drogue entre janvier et novembre 2008, près de 10 tonnes de plus qu'en 2007, et qu'elle avait arrêté en décembre 2008 un avion qui avait tenté de décharger 297 kilos de cocaïne non coupée dans la province argentine de Santiago del Estero. Au même moment, elle avait aussi révélé qu' "il y avait au moins 1000 pistes d'atterrissage clandestines en Bolivie, appartenant à des trafiquants de drogue". On comprend mieux l'arrivée du nuage de sauterelles des petits Cessna Centurions, là. Des pistes en herbe, ce n'est pas ce qui manque en effet dans le pays. Les touristes les utilisent régulièrement !
Mais il n'y a pas que les pistes d'atterrissages comme problème. La mafia bolivienne a des ramifications surprenantes. C'est la seconde "découverte" de la police du pays. Tout a démarré avec la tentative de capture d'un baron de la drogue, William Rosales Suarez. Trois de ces gardes du corps seront retrouvés morts dans l'opération de police. Et là, surprise : ils sont... serbes. Sasa Turcinovic, 40 ans, Predrag Cankovic, 38 ans, et Bojan Bakula, 29 ans, arrivé la veille seulement en Bolivie et refroidis le lendemain.
Or Bakula et Turcinovic étaient loin d'être des amateurs : à Ruma, à 50 km à peine de Belgrade, ils avaient même pignon sur rue avec leur société façon Blackwater, "Combat Team Security Solution", à la présentation... fascisante. Le second était en prime un membre des sinistres bérets rouges, ceux qui ont commis les pires atrocités lors du conflit serbo-croate, rappelle un spécialiste : Feral Jundi, lui-même mercenaire... et bloggueur à ses heures (non sans talent d'ailleurs !). Feral Jundi, qui rappelle aussi que notre homme avait un CV plus chargé que ses armes de poing : "Turcinovic était impliqué dans le trafic de drogue en Europe centrale, au sein du réseau "Zemun Klan", mais avait aussi été cité... dans l'assassinat en pleine rue du premier ministre serbe, Zoran Djindjic, en 2003". Voilà quels sont ceux qui servent de bouclier aux narco-trafiquants boliviens. Cette filière-là, j'en avais déjà esquissé le portrait dans un épisode sur la CIA.. voici quelques mois maintenant.
Bref, la police bolivienne avait fait une terrible découverte : celle d'un réseau approvisionnant l'Europe ; sans passer par l'Afrique, ou en tout cas sans en faire un point de chute mais plutôt un point de passage, en remontant, via des cargos vers l'Ukraine, premier port d'attache de ces différentes mafias. "Il a été découvert récemment que l'Amérique latine est un refuge pour de nombreux criminels serbes qui sont engagés dans le commerce de drogues illicites ou qui cherchent à échapper à la loi", insiste Jundi dans son blog. Dernièrement, le 27 octobre, 2,7 tonnes de cocaïne ont été saisis sur un navire dont la destination était l'Europe, affrété par des criminels serbes installés à Montevideo, en Uruguay. En dehors des sept hommes arrêtés à l'époque, quelques 500 de plus ont été arrêtés plus tard en Serbie, dans une opération baptisée "Balkan Warrior". Il est largement admis que plusieurs membres du Klan Zemun, accusés d'avoir participé au meurtre de Djindjic, ont trouvé refuge dans un pays d'Amérique latine. La Serbie reste le seul pays de la région qui n'a pas de règlement sur les agences de protection et de sécurité, et l'événement récent en Bolivie invite le ministre de l'Intérieur Dacic à agir rapidement..." conclut-il avec lucidité. L'opération "Balkan Warrior" avait eu des ramifications jusqu'en Slovénie et au Monténégro. L'arrestation d'un leader tel que Darko Šarić et son complice Goran Soković avait démontré par l'exemple que les armes et la drogue étaient liés, les deux ayant été découverts en abondance chez eux (le troisième larron étant Željko Vujanovic). Des Milorad Momic, devenu en Fance Guy Monier (lire cet effarent récit ici), il y en a encore d'autres qui courent dans le monde. Hélas !
Mais la Bolivie nous réservait encore une autre surprise... de taille, que nous verrons demain, si vous le voulez bien. Dans le lot décrit, il manque un avion...
PS : les sources essentielles sont les registres des crashs d'avions boliviens, tenus au jour le jour dans ces documents :
http://www.aviacionboliviana.net/civil/index_empresas.htm
les différentes années y sont répertoriées avec une très grande précision. Une vraie mine.
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