Comprendre le monde d’aujourd’hui. Un regard neuf sur l’histoire contemporaine
Passons en revue les événements historiques passés, en particulier les crises et les guerres auxquelles l’humanité a fait face et continue d’affronter, et voyons s’ils n’ont pas un sens ordonné, logique et nécessaire qui explique l’évolution du monde. Pour dire un peu que rien ne vient de rien, que tout ce qui se produit est lié à une cause, que souvent l’homme ignore la finalité sous-jacente à cette cause. Pour ne donner qu’un exemple, les grandes puissances du monde, au début du XXe siècle, savaient-elles que la crise économique de 1929 allait bouleverser le monde ? Qu’elle allait, à travers les 6 millions de chômeurs en Allemagne, donner les moyens à Hitler pour provoquer la Deuxième Guerre mondiale. Savaient-elles que les années 1940 à 1960 allaient sceller la fin des empires européens ? Que plus d’une centaine d’Etats allait surgir, à l’issue de la décolonisation ? Et c’est là la phénoménologie de l’histoire. Il se produit des événements dans des événements qui n’ont pas du tout été pensé. Aussi faisons un récapitulatif de l’histoire, et projetons-nous dans le monde qui s’est constitué… à venir, à l’horizon 2025.
Pour y répondre, prenons la période 1971-1984, qui compte treize années, la suivante, la période 1984-1997, et encore la suivante, 1997-2010, qui comptent aussi respectivement chacune 13 années. Que remarque-t-on ? Les événements qui se sont produits dans chacune de ces périodes historiques se ressemblent certes, mais ce que l’on constate est que chaque période est spécifique, et appelle une autre. Les événements comme les enjeux évoluent et se posent d’une manière de plus en plus différente. Ce qui était sûr avant ne l’est plus après.
Prenons la guerre du Vietnam, elle était impérative dans les années 1960 pour les États-Unis, elle ne l’est plus dans les années 1970. La Chine et la Russie étaient des adversaires dans le années 1960. En 1972, le président américain rompt tout protocole de la Guerre froide, et se rend chez eux leur serrer la main, après avoir déversé des millions de tonnes de bombes sur le Vietnam. Et c’est cela le miracle du temps et de l’Histoire.
Le Japon a été nucléarisé en 1945, et occupé, il est devenu ensuite non seulement un pays démocratique, mais une grande puissance mondiale et un allié de premier plan pour la superpuissance américaine. Il est un des grands pays occidentaux ; il trône avec respect et déférence dans le G7. Ce qui nous fait dire que l’histoire réserve des surprises ; et ce sont ces défis silencieux, secrets, qui vise le progrès du monde, et que l’on ne voit pas venir.
C’est la raison pour laquelle qu’il faut porter un regard bien loin, depuis ce que les historiens appellent l’« époque contemporaine », qui débute avec la Révolution française, en 1789, et l’abolition de la monarchie en France, en 1792, jusqu’à nos jours. En vérité, il faut considérer plutôt l’année 1945, qui a signé la date de naissance du nouveau monde, d’une nouvelle histoire, d’une « l’histoire moderne », comme aujourd’hui, elle est en train de s’approfondir et s’étendre à ceux qui sont en retard.
De plus, un ordre bipolaire est né et a marqué le monde pendant 46 ans. Encore aujourd’hui, l’URSS a disparu, mais deux grandes puissances, la Russie et la Chine, la remplacent et font face à l’Occident. Précisément, ces frictions entre grandes puissances, au nom d’enjeux difficiles à cerner, qu’il faut chercher à décrypter pour comprendre les forces historiques qui sont à l’œuvre dans la marche du monde.
Aussi datons la première période 1945-1958, qui compte treize années, suivi de la seconde, 1958-1971 qui compte aussi 13 années. Et les périodes suivantes 1971-1984 jusqu’à la période à venir, préconçue, 2010-2023, feront l’objet d’une étude ultérieure.
Et il faut souligner que le chiffre 13 qui a été pris n’a rien de maléfique, qu’il n’a été pris que par ce qu’il rend compte bien de l’avancée de l’histoire du monde. Qu’il ne signifie aucunement que la période est de 13 années précises ; un chiffre approché qui peut s’étendre aux autres périodes de l’histoire du monde. Que ce n’est pas tant le chiffre 13 qui compte, « mais le témoignage qu’il donne dans le progrès de la marche du monde. »
Quant aux débuts et fins arrêtés pour chaque période, ils ne sont qu’une « estimation qui reflète une fin d’évolution d’un grand champ de l’histoire » sans qu’elle n’affecte la continuité des autres champs de l’histoire. Ce qui n’apparaît pas souvent à l’homme qui se pense toujours présent, ni aux régimes politiques qui se pensent aussi au présent, alors que le monde est en perpétuel changement.
Prenons la période 1945-1958. Elle a été marquée principalement par deux événements-clé de l’histoire du monde. Le pansement des blessures des grandes puissances dues aux destructions de la guerre, i.e. la reconstruction de l’Europe et la remise à niveau sur le plan économique et l’édification des Etats de la plupart des pays du reste du monde, issus de la décolonisation (Afrique et Asie). Les autres événements qui ressortent de la Guerre froide sont marqués par l’opposition idéologique stratégique entre les deux grandes puissances, les États-Unis et l’Union soviétique, qui sont sorties victorieuses du Deuxième Conflit mondial.
Le 25 mars 1957, le traité de Rome unit six pays européens ; il institue la Communauté économique européenne (CEE ou Europe des Six), et la Communauté européenne de l’énergie atomique (CECA). Le 27 mars 1958, l’Union européenne de paiements (UEP) est supprimée. Elle marque le retour à la « convertibilité des monnaies » des grands pays d’Europe Royaume-Uni, France, Allemagne). L’UEP, crée le 7 janvier 1950, est la structure des paiements pour les pays bénéficiaires du plan Marshall. La convertibilité des monnaies européennes, qui prend effet en 1958, est la première pièce du puzzle qui va changer le cours de l’histoire du monde, et qui ne s’est pas terminée aujourd’hui – nous sommes en 2016, et le yuan chinois est devenue une monnaie internationale à l’instar des monnaies européennes (euro, livre sterling), du yen japonais et du dollar US.
Sur le plan militaire, depuis la destruction de Hiroshima et Nagasaki, en 1945, le monde sait qu’une guerre nucléaire condamnerait l’humanité à une apocalypse. Une guerre nucléaire régionale n’en ferait pas moins à l’échelle régionale.
Aussi doit-on se poser la question, sur l’existence de l’apocalypse qui se trouve enfermée dans des silos stratégiques, dans les airs et les mers, et qui constitue une menace latente sur l’humanité. Surtout avec la découverte, en 1952, de la bombe thermonucléaire (H), 1000 fois supérieure à la bombe à fission. Peut-on penser que cette apocalypse latente n’existe que pour dissuader une troisième guerre mondiale ? Qu’elle ne sera pas utilisée ? Sinon pourquoi la découverte de l’arme nucléaire stratégique et balistique, et immédiatement après, la conquête spatiale ?
En 1957, l’URSS a lancé le premier engin placé en orbite autour de la Terre, marquant le début de l’ère spatiale. Cet événement augmentera d’un cran la Guerre froide. En effet, en montrant pour la première fois la capacité des Soviétiques de lancer un engin spatial, les Américains prennent conscience que leur territoire est désormais accessible ; des missiles intercontinentaux constituent désormais pour les puissances nucléaires. Auquel s’ajoute le développement des sous-marins lanceurs de missiles balistique, et avec leur furtivité, des sous-marins qui peuvent rester en plongée profonde des mois, ne vont qu’exacerber l’ « équilibre de la terreur. »
Cette période1945-1958 qui se termine sur un « fond extrême de Guerre froide », donc de course aux armements nucléaires, de conquête spatiale et la course aux indépendances (décolonisation de l’Afrique et de l’Asie), ouvre néanmoins de nouvelles perspectives dont n’a jamais rêvé jusque-là l’humanité. L’implantation d’Israël en Palestine, en 1948, marque le début d’une longue histoire israélo-arabe, parsemée de guerres, de crises et de souffrances du peuple palestinien, où Israël agira en toute impunité, avec le soutien inconditionnel des États-Unis.
Mais si la Guerre froide fait rage entre les deux Grands, par les guerres par procuration, c’est surtout la nouvelle donne, la convertibilité des monnaies européennes qui remettra en question l’ordre établi par les États-Unis (Conférence de Bretton Woods). Là encore, de grandes mutations s’opéreront dans la seconde période, tant dans la course aux armements que dans le système monétaire international dominé par le dollar américain.
Étudions la période 1958-1971 qui suit la première. L’Europe reconstruite, renoue avec sa puissance économique dans les échanges commerciaux avec l’extérieur. Sa montée en puissance commence à affecter la toute-puissance du dollar américain. Dès la fin des années 1960, les pays européens estiment injuste qu’ils continuent à financer gratuitement les déficits extérieurs américains, via la planche à billet américaine. La décision européenne de ne plus accepter les dollars, non convertibles en or, pousse les États-Unis à suspendre, le 15 août 1971, la convertibilité du dollar en or. Cette suspension, en fait, est définitive.
C’est ainsi que l’ordre monétaire hérité du Deuxième Conflit mondial suite aux revendications européennes soutenues viendra à se déliter avec la fin de la convertibilité du dollar en or ; le change fixe à l’or depuis les accords de Bretton Woods de 1944, aux États-Unis, est remplacé par le « change flottant » ; les États-Unis n’avaient plus assez d’or pour couvrir les liquidités monétaires qu’ils émettent. Le nouveau système monétaire est encore actif encore de nos jours.
Durant cette période, plusieurs crises affectèrent la puissance américaine. 1962, la crise de Cuba dont le danger d’une guerre nucléaire instaura le téléphone rouge entre l’Union soviétique et les États-Unis, le 20 juin 1963. La guerre au Vietnam tourne à la débâcle, l’Amérique prend conscience de la limite de sa puissance. Pour la première fois, un président américain (Nixon) se rend, tour à tour, à Pékin, et à Moscou, en 1972 ; l’objectif est le retrait américain du conflit vietnamien, en 1973 ; un engagement des États-Unis pour reconnaître et normaliser les relations avec la République populaire de Chine ; la signature des premiers accords de réduction des armements stratégiques avec l’URSS. Le premier traité SALT I (Strategic Arms Limitation Talks) est signé par Richard Nixon et Léonid Brejnev, le 26 mai 1972, à Moscou.
La décolonisation du tiers monde s’achève, mais, avec le retrait des forces coloniales, ces nouveaux pays sont marqués par des guerres civiles, ethniques, de frontières, des coups d’État à répétition, etc. L’enjeu est la prise de pouvoir ; tous les nouveaux pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Sud, du monde arabe sont déstabilisés par la guerre froide et l’internationale communiste. L’expansion révolutionnaire dans le monde depuis la fin des années 1940 est à son apogée.
Les luttes internes que la guerre froide attise dresse un camp contre un autre, malgré le dégel entre les grandes puissances. Les guerres israélo-arabes s’exacerbent, et donne un monde arabe de plus en plus déchiré par les guerres. Cette période aura à préparer la période à venir, qui surprendra à bien d’égard parce qu’elle marquera un tournant dans le monde arabe. Des conflits d’une extrême violence seront le résultat de deux décennies et demie de guerre, et surtout l’émergence d’un nouveau protagoniste qui changera complètement le combat idéologique entre les deux super-grands et les pays-clients qui leur sont assujettis. C’est la nouvelle donne : l’« islamisme radical ».
Utilisé à des fins stratégiques, l’islamisme radical constituera l’arme par laquelle les États-Unis mettront fin à l’ordre mondial tel qu’il est sorti de Yalta. Là encore, nous constatons qu’une période qui se termine ne ressemble pas à l’autre période qui vient. Les enjeux changent, la lutte idéologique progressivement mute ; mais quels sont les facteurs-clés qui ont changé la situation du monde ?
C’est le retour à la convertibilité des monnaies européennes, donc de la période qui a précédé, la guerre du Vietnam. Les dépenses militaires toujours plus élevées et financées par la planche à billet que les Européens ont assimilé à une spoliation de richesses, avec l’échec au Vietnam, finissent par faire entendre raison aux Américains sur les limites de leurs forces ; ils ont trop surestimé leurs forces, pensant qu’ils allaient imposer leur diktat à l’Asie.
L’histoire se répète. La Corée, dans les années 1950, le Vietnam, dans les années 1960 et 1970. Prenant le relais de la France, et toujours avec cette volonté d’endiguement du communisme par les États-Unis contre la Chine et l’Union soviétique.
Donc on constate bien que dans la deuxième période historique 1958-1971 rompt avec la période précédente. Dans un prochain article, nous étudierons les deux périodes.
On verra que la realpolitik va l’emporter et pousser les États-Unis à mettre fin à leurs guerres notamment au Vietnam ; mais qu’ils vont rebondir, un stratège, Henry Kissinger, devenu secrétaire d’État, va changer les donnes dans le domaine financier et monétaire, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle histoire du monde, avec de nouvelles règles du jeu qui changeront totalement l’époque de guerre froide et surtout élèveront de nouveau le dollar US comme monnaie-centre du système monétaire international. Sans cette nouvelle donne du dollar US, les États-Unis n’auraient pu continuer à dominer le monde ; ils resteraient certes une grande puissance, mais ne pourraient continuer à dominer le monde ; ils n’en auraient pas eu les moyens.
Medjdoub Hamed
Auteur et Chercheur indépendant en Economie mondiale
Relations internationales et Prospective
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