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De la nécessaire relativité des identités : pour une refondation sociétale

La question de l’identité sera encore une des principales sources de tensions du siècle à venir. En France, elle a été particulièrement présente ces derniers mois : Identité nationale, niqab et burqa, candidature d’une femme voilée aux élections régionales, statistiques ethniques, restaurants quick et le halal. La convergence est inquiétante, alors que la plus grave crise économique depuis 70 ans continue de sévir. Les débats récents vont dans la mauvaise direction au regard de la compréhension que nous avons aussi bien du monde que de la dignité de l’Homme (cf. l’article L’être humain, ses droits et ses obligations sur http://ekaminski.blog.lemonde.fr/). Ce n’est qu’une fois ces polémiques dépassées que pourront apparaître les véritables causes du malaise actuel : l’absence de projet politique fédérateur.

Rappelons dans un premier temps le cadre de pensée dans lequel s’inscrit cet article, qui a déjà été explicité dans de précédents textes (http://ekaminski.blog.lemonde.fr/). L’identité figée n’est, dans un monde en flux, qu’une erreur utile, pour reprendre le concept nietzschéen, qui nous permet de nous repérer dans le monde mais qui ne devrait jamais être érigée en absolu.

La convention sociale que nous appelons identité est d’autant plus difficile à saisir que nous vivons dans des sociétés complexes. L’individu est identifiable par un réseau de signes. Aucun de ces signes n’est exclusif des autres et ils évoluent avec le temps et les conditions d’existence. Plus encore que par le passé grâce à une ouverture au monde sans précédent, chaque personne peut se définir de multiples manières : genre, statut familial, niveau d’études, couleur de peau, religion, orientation sexuelle, quartier etc. On observe dans ce contexte la mise en œuvre de tactiques par les individus utilisant les caractéristiques particulières les plus appropriées dans une situation donnée. L’identité est donc littéralement relative à un contexte.

Une deuxième raison de ne pas succomber à l’appel des sirènes identitaires est le risque politique qu’elles représentent. L’Europe au XXème siècle et d’autres pays plus récemment (Rwanda, Inde) ont déjà sérieusement souffert de la manipulation des identités à des fins politiciennes. Le moi se construit dans le dialogue avec l’Autre, sous une forme d’opposition, pas nécessairement conflictuelle. Ce dialogue est constructif si les protagonistes recherchent sincèrement l’enrichissement mutuel. L’encouragement au monologue identitaire risque au contraire de conduire à la justification de la destruction de l’Autre comme affirmation de soi.

Enfin, fonder une existence sur une identité, c’est s’enfermer dans un passé, parfois fantasmé, et se privant de la dynamique, du mouvement, des opportunités du réel. L’identité, c’est l’immuable, le figé, la mort de l’Homme pensant, alors que le monde est en flux perpétuel. Réduire l’humain ainsi est contraire à ce qui fait sa dignité : son pouvoir de création, y compris de soi, et la conscience qu’il en a.

Ces différents arguments permettent de remettre l’identité à sa place : elle est une simple croyance. Cette affirmation implique deux conséquences. D’une part, l’identité d’autrui doit être protégée des intrusions extérieures, soit en tant que croyance religieuse ou conviction, soit au titre du respect à la vie privée. D’autre part, si au nom de la liberté d’expression, toute croyance peut-être discutée et interrogée - pour montrer par exemple en quoi certaines croyances sont le symptôme d’un malaise qui les dépasse - il n’appartient pas à un régime démocratique d’en valider certaines politiquement : le rôle de l’Etat consiste uniquement à s’assurer qu’elles cohabitent le mieux possible entre elles, dans le respect de la dignité et donc des droits de chacun. Il n’a jamais été question pour la démocratie de permettre que chacun de nous vive conformément aux croyances de tous !

Le débat sur l’identité nationale, heureusement maintenant abandonné, est emblématique de la dérive des discussions actuelles. En période de doute et de difficultés socio-économiques, en l’absence de projet politique d’avenir, on se tourne vers le passé et l’on joue au jeu des différences, sans que rien de constructif ne puisse émerger d’une telle discussion. Rappelons deux raisons qui ont conduit à l’intégration des précédentes vagues d’immigrés : les conflits mondiaux, qui ont créé une solidarité face à l’adversaire militaire, et les 30 glorieuses, années pendant lesquelles la très grande majorité de la population pouvait avoir le sentiment de participer à la construction une société nouvelle. Le mérite de ce débat aura été de rappeler que sans projet commun, une société se fracture.

Toujours sur un plan politique, il est difficile de comprendre la fureur que provoque la présentation d’une candidate par le NPA qui porte le voile. Cette candidate se présente, sauf preuve du contraire, dans le cadre d’un scrutin libre et équitable. Si les citoyens ne souhaitent pas être représentés par une personne portant un type de vêtement particulier, ils ne voteront pas pour ce parti. Malgré son programme fondé sur la haine à peine masquée de l’Autre, je ne remets pas en cause le droit du FN à participer à une élection : j’essaie de convaincre des dangers de ses idées pour l’avenir du pays.

 

La question du voile et du niqab nous ramène à un niveau plus individuel. Il n’appartient pas à un régime démocratique de discuter du contenu d’une croyance (est-ce un symbole religieux ou non ?) ou d’un goût (vestimentaire). Si ce voile masque des violences faites à une femme ou un groupe terroriste, des dispositions législatives s’appliquent pour lutter contre ces phénomènes inacceptables. Cette tolérance doit cependant être tempérée « d’accommodements raisonnables »(1), souvent déjà prévus par les lois et règlements dans des circonstances très particulières : l’exercice personnel du droit de vote et remise d’une enfant à une personne connue à la sortie de l’école impliquent par exemple l’identification de la personne. Comme le défend Cécile Laborde(1), une telle question devrait nous permettre de fonder un républicanisme critique plus adapté aux réalités humaines que ce républicanisme conservateur qui nous empêche de nous projeter dans l’avenir

Le président de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme, après l’adoption le 21 janvier d’un avis(2) de cette institution, résume parfaitement la situation : « le port du voile intégral choque nombre d’entre nous. Cependant, tout ce qui choque ne doit pas nécessairement être interdit, et l’interdiction n’est pas nécessairement la meilleure des solutions contre le fondamentalisme ». Toute ingérence de la loi dans la vie privée doit non seulement être justifiée par un but légitime mais également être « strictement nécessaire dans une société démocratique ».

L’introduction des statistiques ethniques est une des plus inquiétantes propositions dans ce domaine. En effet, elle contribuerait à cristalliser des identités, y compris contre le désir initial des personnes concernées. Interroger un individu sur son identité peut même comporter une certaine charge de violence symbolique. Or, comme le montre le rapport du Comité pour la mesure de la diversité et l’évaluation des discriminations remis le 5 février à Yazid Sabeg, Commissaire à la diversité, il est possible de travailler sur les discriminations autrement qu’avec un nouveau dispositif législatif.

Enfin, la question la plus ridicule, mais si symptomatique du malaise français, est bien la polémique suscitée par les restaurants Quick n’offrant plus que de la nourriture halal. A-t-on jamais reproché à certains restaurants de n’offrir que des menus végétariens ? En tant que non-musulman, je peux adopter deux attitudes, qui résolvent tout problème potentiel : je ne suis pas croyant et donc je n’attache pas d’importance à la préparation d’un plat selon un rite religieux particulier ; je ne suis pas musulman et cela me pose un problème de me soumettre à un rite qui n’est pas le mien : je choisis alors d’aller dans un autre restaurant. Quick n’est pas (encore ?) une cantine scolaire en vertu d’une délégation de service public !

Les résultats de ces discussions pointent aujourd’hui dans la même direction, le renforcement des identités et de leur antagonisme. Et l’incompréhension mutuelle subséquente. Je ne souhaite en en aucun cas faire l’apologie du repli sur soi. Cependant, je suis aussi convaincu que l’on ne délivre pas un individu, si l’on considère le repli identitaire comme une prison, malgré lui. Tous les êtres humains naissent égaux en dignité, c’est pourquoi je fais confiance à la capacité créatrice et d’évolution de l’Homme. Encore faut-il que le gouvernement mette en place les conditions de l’épanouissement de cette faculté (système d’éducation adapté et exigent, garantie des droits sociaux dans une perspective d’égalité des chances...). Il favorisera ainsi, en libérant les énergies, l’émergence d’un projet politique fédérateur tourné vers l’avenir, dont la France manque cruellement. En particulier en ces temps de crise qui mettent en exergue les contradictions du système auquel nous participons et appellent à une refondation sociétale (cf. http://ekaminski.blog.lemonde.fr/).

1 cf. Républicanisme critique vs républicanisme conservateur : repenser les « accommodements raisonnables » in Critique internationale n° 44 2009/3 et le Rapport Fonder l’avenir - Le temps de la conciliation des canadiens Gérard Bouchard et Charles Taylor.

2 http://www.cncdh.fr/IMG/pdf/10.01.21_Avis_sur_le_port_du_voile_integral.pdf


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3 réactions à cet article    


  • Antoine Diederick 26 février 2010 15:09

    ......ce qu’il faudrait s’intéresser à l’étiologie de la schizophrénie, ce serait intéressant d’en faire comme une analogie du social ou du cadre sociétal.

    .....l’identité se relie à la conscience du moi en quelque sorte....

    et à certain moment nous la perdons tous ....puis soudain nous la retrouvons....

    zelf bewust ....ou la conscience intériorisée...de bewustzijn, c’est plus parlant en langue germanique

    a l’aune de ma petite intervention ici, disons, que l’identité cela ne fonde pas forcement une personne....

    le débat est ouvert....


    • FALCO FALCO 26 février 2010 16:59

      L’dentité c’est aussi l’identification à quelque chose. Une culture par exemple, un projet, des valeurs.
      Quel est le projet des musulmans, sinon l’islamisation de la société ?
      Ce projet est il le mien ? 


      • Romain Desbois 26 février 2010 21:40

        L’identité ne peut être qu’individuelle, la nationalité n’étant qu’une des multiples composantes.
        D’ailleurs n’avons nous pas tous (ou presque) une carte nationale d’identité unique, différente de toutes les autres ?

        « L’important n’est pas d’où tu viens mais ce que tu es !
        L’important n’est pas qui tu es mais ce que tu fais ! »

        Merci à l’auteur pour ce passionnant article, clairvoyant et par là même pessimiste.

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Auteur de l'article

Eric Kaminski


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