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Accueil du site > Tribune Libre > Depuis hier, Lucille est orpheline, elle aussi

Depuis hier, Lucille est orpheline, elle aussi

La journée avait mal commencé, avec un Eric Clapton hirsute, visiblement choqué, venu nous annoncer la triste nouvelle. Déjà que j’avais eu le blues avant même de me lever, ça commençait mal. Les nouvelles du monde de la veille étaient sinistres, à minuit, la veille c’était le blues complet, déjà, chez moi J’étais déjà chagriné, quoi. A me demander quand ce foutu blues allait me quitter.... J’avais déjà enfilé la moitié de l’écoute du dernier album (marqué du sceau de T-Bone Burnett) en date du grand BB, à force, sans m'en rendre compte ! Un dernier album qui le restera, comme venait de me le dire sans que je ne m’en rende vraiment compte son pote anglais Eric, qui n'a jamais oublié ce qu'il lui devait : il consentait avec malice à lui servir de chauffeur, sur un album plein d'amitié ("Dieu" chauffeur d'un autre Dieu ?). Mince, quelle perte. BB, c’était un (très) vieil ami. J’avais découvert son album Lucille (sorti en effet en 1968), à la si belle pochette (qui se dépliait, montrant tout le dos de la guitare, dans la discothèque de ma résidence universitaire, et avait acheté dans la foulée "BB King in London" à sa sortie en 1971 (*). Et était devenu instantanément fan. Ce qui devait durer. Moi qui n’ai jamais été groupie d’artiste, n’ayant pas demandé d’autographe à ceux que j’ai interviewé (on ne confond pas tout), je m’étais quand même précipité au premier rang de la scène du Palais St-Sauveur à Lille, en 1980 pour ramasser le plectre (mediator) qu’il jetait en poignées à la fin du set. Dessus, c’était gravé en lettres d'or.. BB King. Pourquoi lui, oh, pour des tas de raisons, sans doute que je vais essayer de rassembler ici. Ce bon BB avait conquis tous les cœurs, en réalité. Car il avait une histoire à raconter : celle du siècle passé, tout simplement. Celle de la reconnaissance des noirs et de leur musique... chez les blancs. Un long, un très long combat...

L'homme a laissé derrière lui un testament visuel et auditif. C'est un superbe documentaire fait en 2012 de John Brewer que je vous invite à regarder toutes affaires cessantes : les invités présentés par Morgan Freeman et non des moindres (Clapton, Bonamassa, Derek Trucks, Carlos Santana, Bobby Bland, Walter Trout, John Mayall, Eric Clapton, Bonnie Raitt, chez les musiciens - Bruce Willis, auteur d’un disque de R&B apparaît aussi-) qui parlent tous en chœur d’une seule note, tenue, celle qui permet de reconnaître le son de BB King à mille lieues. On peut le voir ici.

Riley B.King est nè à Itta Bena dans l’Etat du Mississpi : le village, aujourd’hui encore, n’a qu’à peine 2115 habitants (et se dépeuple progressivement, en raison d’un taux de chômage plus du double du pays). Dans le documentaire sur lui, BB King insiste : « tout vient d'ici ». Et en effet : En voici l’école, et là les champs de coton alentour. et là le hangar de son ramassage. Son église méthodiste et là la presbytérienne. Au cimetière, on trouve encore des tombes de soldats confédérés, arborant la croix de fer typique montrant le drapeau à 13 étoiles. Pour les noirs, il y a les champs, la misère et au bout… la prison avec cette maison où le soleil ne se lève pas toujours (la chanson qui date de 1928 évoquant soit un bordel, soit une prison de femmes, les avis divergent). BB King s’en souviendra, en allant enregistrer dans des prisons (il est ici à Sing Sing) un de ces plus beaux albums à été fait là. C’est ça, ou se décider à partir, et à prendre l’autoroute  (ou le train) pour monter à la ville trouver un monde meilleur. Avec sa guitare, qui l’emmène bien sûr (il l’a même à l’armée dit-il dans ll’intro de l’album éponyme). Il l’a arraché des flammes un soir après un concert, où une rixe avait eu lieu pour une fille appelée… Lucille : il avait gardé le nom pour en faire sa guitare fétiche. Pour traverser le fleuve, pas toujours de pont, avant de rejoindre l’autoroute : « c’est pas grave, on avait une planche  » dit-il en riant dans le documentaire. La maison natale de BB King explique beaucoup de choses : une cabane de bois, dans le Mississippi, où quand il pleuvait l’eau traversait le toit. Une maison de pauvres sharecroppers du coton exploités jusqu'à la moëlle (des métayers : les pauvres noirs effectuaient la culture sur une terre qui ne leur appartenait pas). Là-bas, il fallait toujours payer pour être le boss, de toute façon. Y compris pour être le chef à la maison, selon BB.   En tout ; le principe est simple : pas d’argent, pas de bonheur (admirez au passage la qualité de l’enregistrement, remastérisé). Et avec ça, l'alcool frelaté pour oublier, qui vous déglingue. Comme parfois Lucille, une guitare personnifiée : lorsque ses micros déconnent, BB King explique qu’elle a trop bu la veille, "car elle adore boire" !

Ses parents séparés, sa mère, très religieuse, déménage mais meurt rapidement d’une tumeur à l’œil : «  j’ai été élevé par d’autres personnes que ma mère", dira-t-il. Il le sera par des tantes et par sa grand mère, qui elle meurt aussi. L'histoire du King, c'est aussi celle de l'éternel abandon, thème majeur dans le Blues. Le voilà seul à nouveau : "l'll survive", la seule chose qu'il puisse faire, contraint et forcé. Il n'en a pas eu le choix. Son père le reprend et l’envoie à l’école de Lexington, un des fiefs du KKK. Les noirs n’avaient pas de droits à cette époque : "ils ne pouvaient que travailler et se taire", dit une de ses tantes : le KKK règne en maître au Mississipi, comme le montrera si bien Alan Parker avec son maître film ("Mississipi Burning", tiré d'une histoire vraie.

BB King est donc un orphelin, doublement orphelin. En musique, ça se traduira par le poignant « Nobody’s love me but my mother ». Il figure sur l'album "Indianola Mississipi,"  (la première bourgade proche d'Itla Bena) à l'excellente pochette, à déguster (le corps de la guitare est une demi-pastèque). Les influences musicales sont diverses, dans le Delta du Mississipi, on le sait L’une de ses tantes avait bien un phonographe, mais la première de ses écoutes musicales sera celle de son oncle pasteur d’une église baptiste qui jouait de la guitare et enseignait à l’école d’Elkhorn, qui se résumait à une seul classe. Il sera également marqué par le révérend et enseignant Luther Henson, disparu en 2001, qui lui demandera de respecter des principes simples : ne pas fumer, ne pas boire ; car "son seul trésor était sa santé" lui avait-il dit. Sa longévité sur scène tient aussi à ça, malgré deux diabètes dont le dernier qui le rendra invalide (il montait sur scène désormais en chaise roulante). 

Une jeunesse dans le Sud, donc, dans l’Amérique des blancs esclavagistes. Tout est là, dit il, et en effet : passé le village, il n’y a rien que des champs à perte de vue. Venu de la misère, l’homme a gardé ce sens profond de la valeur des choses. Et du travail : il n’a jamais cessé de tourner à un rythme inferla qui a culminé dans les années 80 à près de 250 concerts par an, après avoir même fait davantage encore à ses débuts. Il a fait son chemin depuis à jouer à la Maison Blanche, invité par Barack Obama, au premier rang de ses fans (un fan de blues à la maison blanche !). Depuis, à Itta Bena, belle revanche, au 143 Beale Street il y a le club BB King, surmonté d’un restaurant, ou il y a bien sûr une salle de concert. On y mange bien sûr des « shrimps » d’énormes crevettes marrons, les Mississippi Gulf Brown Shrimp pêchées dans le golfe du Mexique. C’est en effet aussi la région du Bayou, cher à John Fogerty… et à d’autres admirateurs. Le rythme est là, la nouvelle-Orleans n’est pas loin avec sa syncope obligatoire qui vous fait fléchir la jambe. Le Blues du Bayou ; qu'il a célébré en album délié, fluide comme l’eau du Mississipi, avec ses soubresauts, appelés là-bas… inondations. Un fleuve violent, qui n’entame pourtant pas l’enthousiasme des habitués à vivre là-bas. Un fleuve à peine dompté, aujourd'hui encore. De toute manière, quelques soient les catastrophes, là-bas, on survit, comme on survit aux peines de cœur. La "Texas Flood" n’est jamais loin...

Une autre interview de 1971 lors de sa tournée anglaise ("Sounding out", fait par la BBC) nous en avait aussi beaucoup dit sur le personnage. C’est en effet celle-là, plutôt, l’interview-clé, pour comprendre d'où vient son son si particulier, celui de Lucille (il y en a eu plusieurs de Lucille, dont pas mal offertes par BB, bien sûr, en 65 ans de carrière, toutes noires, avec un manche et une tête plus ou moins décorés). Un son de perfectionniste, en fait. Il y raconte ses débuits alors qu’une de ses idoles, l'irascible Sonny Boy Willamson II, (Rice Miller, né dans une plantation de coton), qui était disc-jokey dans une station de radio locale du West-Memphis (qui est en Arkansas). Invité à chanter à la station de radio KWEM, puis chez WDIA de Louis Cantor, la première radio uniquement pour les noirs, il explique qu’il y jouera pour douze dollars, ce qui était bien plus que les quelques cents qu’il pouvait avoir en ramassant le coton ou en conduisant la mule dans les champs ! Lui qui doit se débrouiller seul s’aperçoit que de jouer de la guitare peut aussi le faire vivre. Douze dollars la soirée, pour jouer pour les filles qui étaient ensuite lutinées dans l’arrière salle d’un bouge, en fait, rassemblant un public de 25 personnes maximum. Ayant appris l’existence de cette première radio noire de Memphis, WDIA il s’y rend au culot, affirmant qu’il veut enregistrer un disque. Et c’est ce qu’il fera.

Il enregistre en effet à 25 ans en juin 1950 son premier disque, à Memphis, chez Modern Records, tenu par les frères Bihari, descendants de juifs hongrois à qui il a été présenté par Ike Turner (le mari violent de Tina), qui hante alors tous les studios, après avoir joué quelque temps en duo avec l’harmoniciste Walter Shakey Horton. A la radio, il avait découvert… une mine de disques à écouter. Derrière le micro il est devenu le Singing Black Boy, qu’on va vite résumer en BB. Le premier titre enregistré sur un Ampex portable sera "3 o' clock blues" (avec une section de cuivres digne d'un enterrement de la Nouvelle-Orleans) et ce sera un hit phénoménal, se vendant à plus de 100 000 exemplaires, ce qui est phénoménal pour l'époque.Le producteur de l'album est Sam Phillps, celui qui créera Sun records (où signera Presley, après avoir lorgné un temps sur Aaron Neville, que les firmes d"enregistrement rejéteront par pur racisme, malgré sa voix sublime et sa science du rythme de la Nouvelle-Orleans). Très vite, il va monter un orchestre itinérant, avec un bus Aero (surnommé "Big Red") et un chauffeur. Il est devenu le Bob Wills du blues, avec son célèbre bus. Il va y devenir accro, faisant des milliers de kilomètres par an.

En 1956, par exemple ; il va faire 342 concerts dans l’année !!! Le personnel, nombreux, de son orchestre, l'oblige à faire plus de concerts que d'autres vedettes, mais il tient, à sa section de cuivres ! C’est la rencontre avec Onzie Horme, de chez Stax, génie musical méconnu, mentor d'Isaac Hayes, qui va va l’orienter un peu plus vers le jazz. Mais il ne joue toujours que pour des audiences noires, à l’époque. Et ça l'ennuie. Pendant qu'il arpente le Sud en bus, une autre personne en prend un à Montgomery (Alabama), mais pas à l'endroit qu'on lui a réservé : elle s'appelle Rosa Parks, est couturière,et est devenue célèbre le , en refusant de céder sa place à un passager blanc dans l'autobus conduit par James F. Blake. Elle est condamnée et fait appel ; grâce à un jeune pasteur noir inconnu de 26 ans, Martin Luther King qui s'est mobilisé pour elle. Le bus est désormais dans un musée. Le racisme est quotidien, pour BB comme pour Rosa.

Le bus accidenté en 1957 et il n’était pas assuré : les revenus de BB y passent : une fois les concerts faits, il ne lui reste que 70 dollars personnellement, par semaine, les musiciens une fois payés, ce à quoi il tient en priorité : BB est un mec réglo, dans le métier. (en photo BB au fond de son nouveau bus) Divorcé, il se remarie en 1958, la cérémonie ayant pour prête le père d’Aretha Franklin, et il part s’installer en Californie, où il va enchaîner les hits dans les charts, à la tête à nouveau d’une troupe de 13 musiciens. En fait, il ne gagne pas tant que ça : il s’est largement fait escroquer par les frangins Bihari, qui ont déposé ses titres sous les pseudos de "Taub", "Josea" et "Ling" : ils touchent ainsi jusqu’à 70% des droits d’auteur !!! Ce qui l’entraîne à signer, à la fin du contrat des Bihari prévu pour 1958, chez ABC, où il bénéficiera de clauses plus avantageuses. La firme de disques de BB sera absorbée par MCA. C’est che ellle, en 1969 que le méga-hit est obtenu, avec.. "Thrill is gone", la reprise d’un titre de 1951 à la guitare cristalline (on pense à Peter Green à son écoute)… qui lui ouvre enfin la reconnaissance universelle, et celle... des blancs. Elle paraît sur l'album "Clompetely Well", son 17 eme, déjà, aux couleurs... psychédéliques. La production soignée de William Frank "Bill" Szymczyk, arrivé chez ABC, lui apporte enfin la gloire ! Juste avant, Szymczyk, avait produit "Live and Well", enregistré sur deux jours, considéré comme l'un des meilleurs albums de BB. Dedans, "Friends", avec un superbe Jerry Jemmott à la basse, est une pure merveille de "groove".

C’est dans cet interview anglais de la BBC également qu'il expliquera sa façon de jouer, qui évoque à coup sûr Blind Lemon Jefferson pour le toucher de corde de la main gauche, et celle de T-Bone Walker, premier guitariste « électrique » entendu par lui (l’auteur de Stormy Monday), mais aussi, avec son phrasé délié, celui d Charlie Christian en jazz, et c’est plus surprenant encore, l’influence de Django Reinhardt (ici à gauche), entendu grâce à copain d’armée, pour la clarté du son : des maîtres, pour lui, à qui BB King ajoute Bukka White, son cousin, joueur de dobro et de slide, le grand oublié du blues. Selon BB King, c’est en l’écoutant qu »il a eu l’idée de faire vibrer ses doigts de main gauche « pour faire tenir le son » comme il l’explique si bien. Le tout, mélangé, fabrique le «  son BB King », reconnaissable à mille lieues. Aucun artifice technologique derrière : une guitare Gibson quart-de-caisse ES-355 aux micros humbuckersun Fender 12 (réglé a fond selon BB ; et atténué en sortie de guitare) et c’est tout : le son est en définitive très… "jazz" chez lui.  Il révèle aussi dans l'interview qu’il a tendance à s’échapper des 12 mesures du blues pour faire en faire plutôt 15. Dans le reportage il se montre très exigeant, musicalement : il savait ce qu’il voulait. Une force venue de ses origines modestes l’ayant obligé à se battre pour survivre faisant aussi de lui un éternel solitaire. "Parfois je suis satisfait du son de ma guitare, mais parfois non, et ça je ne peux le dire à personne… "mais quand elle sonne sa Lucille, elles semblent se délier toutes seules les notes. 

BB King aura eu une carrière avec des hauts et des bas, des problèmes de manager, surtout, mais axée on l'a vu sur le public noir surtout jusque dans les années 70. C'est sa redécouverte via le Blues anglais, après le redécollage grâce à "Thrill is gone" qui lui fait faire un album enregistré du 11 octobre au 19 Novembre 1971 dans deux studios de Londres (l'Olympic Studio et le Command Studio) (ici une vue de l’enregistrement où on peut voir Peter Green et Duster Benett, au son monstrueux de batterie de Jim Keltner et Jim Gordon, notamment - John Best et John Butler sont de Jellybread) qui va lui faire enfin accéder au public blanc qu'il avait touché en surface via les fans de jazz, notamment en Europe ; où il avait lingtemps été l'invité des Festivals type Antibes-Juan les Pins, A Vienne ou à Montreux (23 concerts !) par exemple, ou au North Zea (pour une leçon de tenue de note d'emblée).. où là encore dans l'excellent show TV de Jools Holland, grand pédagogue, trop méconnu. Un habitué (ici avec David Gilmour et Jewel !) ; chez lui... qui régale à chaque fois : écoutez donc cette rthmique !!! Du plaisir de jouer à l'état brut !

C'est un "bluesman", un "good man"... qui continue à faire des kilomètres par milliers. Mais n'en tire toujours pas ce qu'il pourrait en tirer. BB King a toujours été lié par des contrats de management... particuliers. Quand on lui demandera pourquoi il ne n'a jamais pris sa retraite arrêté, il avouera : "je ne peux m'arrêter, j'ai besoin d'argent"... Dans un pays sans service de retraite et sans assurances sociales, la santé défaillante de BB lui revient de plus en plus cher. Celle-ci, qui s'aggrave et les dates sont annulées et il faut rembourser, et ce sont des pertes que seul un agent peut gérer... et parfois en abuser. Parmi les 11 enfants qui lui survivent, trois d'entre eux, Karen Williams, Rita Washington and Patty King, à la suite de sa dernière hospitalisation avaient porté plainte contre son manager, Laverne Toney soupçonnée de détourner l'argent et de bloquer les soins onéreux dans la clinique où il avait été admis. Ils avaient été déboutés. Dans leur plainte, les enfants avaient indiqué que Willie Nelson, Buddy Guy, Carlos Santana et Eric Clapton avaient même été interdits de visite par Toney. Un million de dollars du compte du manager était invisible et rendu innaccessible à la famille...

Avant ces déboires, certains s'étaient aperçu qu'on lui devait tout ou presque, et des beaucoup plus jeunes que lui l'avaient dit très clairement (vous reconnaissez celui-ci, encore tout jeune, qui a "vouvert" devant lui un concert à l'âge de 12 ans ?). Le bel hommage ici de John Mayer en est l’exemple le plus frappant. Un hommage en deux parties, dont la deuxième est à écouter et regarder ici…. ces deux-là ont fait de bons complices sur scène ! BB King, admiré par de plus jeunes que lui, tel U-2, avec le roboratif et excellent "When Love Comes To Town" de 1988, mais aussi ailleurs. Dans l'excellent album "Duets", les invités de BB ne surprennaient pas trop ; mais il y en a d'autres qui en 2005 avaient déjà montré l'apétence de BB à faire bouger les barrières. Le méga-standard de Fleetwood Mac, entre les mains de BB et la voix de Sheryl Crow fonctionne à merveille. Glen Frey, des Eagles en invité crooner jazzy pour "Drivin Wheel,", ça change en effet, mais ça marche également, comme le titre avec Marty Stuart plus habitué à la Country. Mark Knopfler en revanche c'est aussi une surprise ("All Over Again", superbe), comme l'est Roger Daltrey pour "Never Make Your Move Too Soon", ou la belle voix de Paul Carrack. Le plus surprenant étant le fabuleux "Keep It Coming" avec le rappeur Heavy D (mort en 2011) : une autre pure merveille !!

BB King, apprécié de tous, était déjà devenu une sorte de "Louis Armstrong bis", jovial et emblématique, fait remarquer fort justement The Gardian. Une star mondiale géniale et populaire, assise au sommet du monde de la musique. Le journal a écrit la bonne conclusion via Charles Shaar Murray qui le décrit comme un musicien rare : « le génie et la popularité ne suffisent pas : malgré leur éclat, Bob Dylan et Miles Davis étaient trop taciturnes, trop mystérieux et avec de trop forte personnalités pour que le public se sente à l'aise et détendu, en leur présence. L'impact de BB King sur - la façon dont à joué la guitare blues - et, par extension, la guitare rock - à ce jour est incommensurable. Il est impossible d'imaginer comment Jimi Hendrix, Buddy Guy, Eric Clapton, Peter Green, Albert King, Freddie King (qui ont tous deux baissé leurs noms de famille à la naissance en faveur de BB), Stevie Ray Vaughan, Gary Moore ou Joe Bonamassa, pour ne citer que quelques-uns, pourraient avoir joué s-i BB King n'avait jamais existé ». Difficile d’imaginer un monde sans lui, a déjà dit Billy Gibbons.

Car BB King avait aussi un autre talent rare. L’empathie : cet orphelin que la vie a meurtri jeune adorait les gens. « Et, pour ce que ça vaut, le »mec gentil" qu’il était, ce n’était pas du flanc : en 65 ans de métier, absolument personne n'a jamais eu un mauvais mot à dire contre lui. Sa générosité envers ses ses pairs et ses protégés ont tout autant maintenu sa légende que ses talents manifestes. Pendant une grande partie de sa vie, il a fait en moyenne 300 concerts par an et a consacré toute l'énergie qui restait après chaque représentation pour rencontrer et saluer ses fans jusqu'à épuisement total, parfois. Pas étonnant qu'il a séduit le cœur collectif du monde d'une manière qu’a aucun artiste de blues n’avait fait avant lui ; pas étonnant qu'il a été appelé "Le Président du Conseil du Blues. »

Reste la musique, donc. Et une belle discographie.. sans nouveauté (de studio) depuis un excellent « One Kind Favor  », titre hélas prémonitoire, en 2008, joué sur un rythme… primesautier qui avait revisité le titre (ici en studio encore plus « laid back »). Un chef d’œuvre, il y en a un, incontournable. C’est bien entendu "Thrill is gone", ici enregistré à Montreux il y a 22 ans déjà : un joyau. Parfait d’équilibre entre la section de violons, la basse baladeuse et les riffs de BB, et une voix chaude et rauque dont on a longtemps minimisé l’importance. Le morceau, qui n’est pas de BB King mais de Roy Hawkins, qui l’a créé en 1951, est devenu un titre universel (ici avec Luther Allison), que d’autres s’accaparent, avec parfois beaucoup de respect ou parfois une énergie inattendue et une longue introduction ajoutée. Avec Clapton ici avec BB à la Maison Blanche en 1999 - sous Clinton, donc-, ou sur l’album des 80 ans de BB) Robert Cray et Jimmie Vaughan ça reste impressionnant (pour les styles différents et la brochette d’admirateurs venus sur scène à la fin du morceau !). Même Pavarotti s’y était collé (avec moins de bonheur, pour tout avouer, on va l'oublier celle-là). Derek Truks et l’impressionnant Warren Haynes (Gov't Mule, Alllman Bros) en feront une bien belle version, au bon tempo (avec Eric Krasno, de Soulive, bien jazzy aussi, en renfort). Un petit tour ici par un Ritchie Kotzen plus calme que d’habitude. Les cow-boys jazzy de Marshall Tucker, très fins musiciens, en feront une adaptation fort réussie et fort mélodique. Ces musiciens, dont le superbe Toy Cadwell, sont encore aujourd’hui trop méconnus, hélas (à la rythmique et premier solo on remarquera… la LesPaul de Charlie Daniels). Et il y en a d'autres encore (**)

Mais c’est le duo avec Tracy Chapman qui en est la meilleure version. Celle qui donne des frissons, c’est bien celle-là en effet, admirable, avec l’incroyable petit bout de femme qu’est Tracy Chapman : on est en face d’un chef d’œuvre absolu, là. Tout y est harmonie : violons, cuivres, guitare, basse ronflante et batterie subtile, et la voix incroyable de Chapman, au tremolo magnifique. Vous pouvez aisément le passer en boucle toute la journée sans jamais vous en lasser. Ou ajouter la version d’un autre grand disparu. La chanson parle d’une rupture amoureuse qui a enfin cicatrisé. A recommander à ceux qui, parfois, ne savent toujours pas s’en extraire. Avec BB King, la peur part : c’est la grande vertu du Blues que d’absorber vos problème, car le gars qui chante en a traversé de pires. On aurait voulu qu’il reste encore un peu plus longtemps, comme il l’avait si bien chanté avec son vieux pote Buddy (un pléonasme américain !). Allez, rien que quelques minutes de plus, pour jouer un morceau… et puis un autre, et encore un autre… Restez donc, les mecs, restez donc, ça va être moche sans vous, la vie !!!

Une question demeure, aujourd'hui : que va donc devenir Lucille ? Les nombreux amis de BB sauront s’en charger, je pense. Même Slash qui sait aussi être sobre (parfois) pour saluer un maître toutes catégories du blues. BB a terminé sa boucle. Enfant, il a été meutri. Adulte, il s'est réalisé, pleinement et a jeté sans relâche des ponts vers les autres, du Blues au Gospel, du Blues au Jazz, du Blues au Rock, du Blues à la Country : il était "plus grand que le Blues". Riley "BB King"est un exemple pour tous, à saluer éternellement. 

(*) Billy Gibbons de ZZ Top a déclaré fort à propos quelque chose de similaire : "Il a été avec moi littéralement depuis l'aube de ma conscience musicale."

(**) en effet : la version d’Aretha Franklin

https://www.youtube.com/watch?v=RNR0iLw92Gc

Celle de Gladys Knight (avec BB)

https://www.youtube.com/watch?v=9DYHm1a9RNg

De Joe Bonamassa (filmé différement)

https://www.youtube.com/watch?v=iVkAjluIWKE

La surprenante et excellente version de Jose Feliciano

https://www.youtube.com/watch?v=pKgM6OMRqZ0

Une excellente version tempo lent, à la slide sur dobro (horizontal), de Jimmy Stewart et guitare sèche signée Chris Stapleton (solo de Ronnie Bowman) Chris Stapleton 

https://www.youtube.com/watch?v=abwn67hJ90I&nbsp ;

David Gogo avec un batteur bien trop…. lent

https://www.youtube.com/watch?v=Q2r8IOVQ_Cs

Paul Butterfield, avec harmonica (excellent tempo cette fois) 

https://www.youtube.com/watch?v=Kn90uvj9Pgw

Celle du regretté Jeff Healey

https://www.youtube.com/watch?v=JHSx-gsjpRQ

sans oublier Stevie Wonder (et BB)

https://www.youtube.com/watch?v=37EWVY8D6g0

l'invité Richie Sambora de Bon Jovi, (toujours à la bonne saturation), avec BB

https://www.youtube.com/watch?v=20-7saIwDsA

Une surprenante version Jerry Garcia-Steve Grisman… et tablas

https://www.youtube.com/watch?v=CZCIGU4DVpE

Avec Willie Nelson et sa voix nasillarde, jouée bien vite :

https://www.youtube.com/watch?v=8PAxNCLWXG8

avec Kenny Wayne Shepherd 

https://www.youtube.com/watch?v=3gCGt9eGwHg

Le jeune Quinn Sullivan, un futur Bonamassa

https://www.youtube.com/watch?v=2TPhC11I6xk&spfreload=10

L’autre relève qui vient (Jack Thammarat et Joshua Ray)

https://www.youtube.com/watch?v=PR_1l_HB5sA

Une version (instrumentale) de Jeff Golub, fort… académique :

https://www.youtube.com/watch?v=wMOgAD1PJag

C'est avant tout une affaire de tempo, ce morceau : le "beat" dont parlait BB dans l'interview de la BBC. Une affaire de tempo expliquée ici :

https://www.youtube.com/watch?v=HoaOFEMApyg


Moyenne des avis sur cet article :  3.29/5   (34 votes)




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14 réactions à cet article    


  • cita 18 mai 2015 12:14

    Les nouvelles du monde de la veille étaient sinistres, à minuit, la veille c’était le blues complet, déjà, chez moi J’étais déjà chagriné, quoi..

    C’est un monde où il y a beaucoup de veilles mais ce n’est pas grave car c’est beau comme une chanson de Cali. "La vie quoi !


    • Garance 18 mai 2015 13:06

      Bel hommage


      Merci Morice

      • soi même 18 mai 2015 13:43

        Morice vous êtes en train de vire une renaissance, nèfles vous toute même de la carafe bretta , si cela filtre en gros les métaux lourds, la dose de nitrate qui n’est pas filtré peut toujours dépassé le seuil tolérable de portabilité ....
        Sans rancune vieux frère !


        • morice morice 18 mai 2015 13:53

          soi-même : cessez donc de parler comme un télégramme de Zorro à son cheval...


          • soi même 18 mai 2015 14:07

            @morice professeur changé de dentier, vos morsures est d’un comique de la commedia dell’arte ...


          • Pyrathome Pyrathome 18 mai 2015 15:34

            Je me disais, morice ne peut pas louper un tel hommage au roi du blues...
            Je m’y joins bien volontiers !!
            .
            Blues au Texas, les bikers fachos ( plus que moins..) se flinguent à tour de bras :

            http://www.lefigaro.fr/international/2015/05/18/01003-20150518ARTFIG00119-texas-neuf-morts-dans-une-fusillade-entre-motards.php
             
            Par ailleurs :

            http://www.lemonde.fr/societe/article/2015/05/18/mort-de-zyed-et-bouna-relaxe-definitive-des-deux-policiers_4635109_3224.html



              • juluch juluch 18 mai 2015 19:58

                Je me joins à l’hommage.


                Reposez en paix B.B King.

                • Fergus Fergus 18 mai 2015 21:54

                  Bonsoir, Morice.

                  Un grand merci pour cet hommage très complet à la vie de ce grand artiste qu’a été B.B. King, incontestablement l’un de ceux qui a le mieux réussi à faire comprendre aux Blancs ce qu’était la vie des « Nègres » dans les Etats du Sud.

                  De lui, je garde en mémoire (et gravé), non seulement l’incontournable « The Thrill Is Gone », justement cité dans l’article, mais aussi des titres comme « Shake It Up And Go », « Hard Workin’ Woman », « Miss Martha King », « Before The Night Is Over », « When Love Comes To Town » (également cité dans l’article), et de nombreux autres... 

                  Superbe artiste, et très bel article. Merci encore !


                  • morice morice 19 mai 2015 14:10

                    Merci, Fergus... heureux de vous trouver aussi ailleurs. Pouvez-vous contacter Agoravox, que je puisse deviser avec vous de tas de choses ?


                  • Vous avez fait plus court que d’habitude ou c’est une idée à moi ? smiley


                    • Garance 19 mai 2015 12:27

                      @Robert Lavigue


                      On peut dire ce qu’on voudra de Morice mais question musiques pops c’est un Cake

                      Ses articles sur le sujet sont des références

                      D’autres s’y essaient ici qui ne lui arrivent pas à la cheville 
                      Hélas il y a le reste ( que je ne lis pas )

                      Faut savoir faire la part des choses , musique ; je dévore : pas musique : je zappe

                    • morice morice 19 mai 2015 14:08

                      4 500 caractères !


                      et on ne parle pas du vôtre, le sale.


                    • morice morice 19 mai 2015 14:07

                      Faut savoir faire la part des choses , musique ; je dévore : pas musique : je zappe


                      marrant, chez moi, quand je vois votre nom je zappe tout...

                      ah ah ah !

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