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Accueil du site > Tribune Libre > Diagnostic de crises plurielles

Diagnostic de crises plurielles

C’est une banalité de dire que la situation politique actuelle est lamentable, détestable, délétère, calamiteuse, pitoyable, inacceptable, eu égard aux problèmes des Français, désastreuse, surtout pour l’image de la France. Ce ne sont que des mots plaqués sur des maux. Chacun les siens. Les mots ne sont pas neutres. Ils traduisent une rencontre entre un monde et un sujet intellectuel qui les exprime en les chargeant de ses préoccupations personnelles, celles-ci étant partagées par un grand nombre de concitoyens. Evoquer l’image de la France, c’est se positionner en patriote (j’use de ce mot en toute neutralité). Un journaliste ou un élu de la nation, ou encore un chef de PME exportatrice, aura tendance à mettre en avant, pour des raisons spécifiques, l’image de la France. Par contre, le chômeur ou l’étudiant dans une fac aux dotations budgétaires minables n’aura cure de l’image de la France et trouvera détestable ce gouvernement avec ses intrigues de Palais ne faisant qu’assombrir l’image d’un appareil d’Etat dont le principal méfait est d’avoir mis la France dans cet état ; ou alors, en étant plus scrupuleux dans l’analyse des causes, on requalifiera le méfait en évoquant des gouvernements qui ont laissé la France se mettre dans cet état.

 

 

Après ces jugements moraux, les jugements rationnels. Quelle notion choisir, crise au sommet de l’Etat, ou crise de régime ? L’emploi des mots n’est pas neutre. Dans le premier cas, il est sous-entendu qu’il faut changer les hommes ; dans le second, la Constitution est mise en cause, ce qui conduit à envisager une sixième République. Admettons maintenant qu’on évoque une crise de société. C’est encore autre chose. On sous-entend alors une remise en cause du modèle social français. Ce choix, comme les autres, n’est pas neutre pour ce qu’il sous-entend. En effet, mettre sur la table la question du modèle social, c’est réfléchir globalement et implicitement, inviter chaque Français à un banquet républicain. Dans les options précédentes, crise dans l’Etat ou crise de régime, le citoyen n’est pas concerné. En arrière-fond, cela suppose qu’en agissant au sommet ou dans les institutions, une solution peut-être trouvée, appliquée, le citoyen n’ayant plus qu’à suivre sa course quotidienne dans un monde piloté différemment (autres gouvernants ou autres institutions). Si, par contre, on pointe une crise de société (du modèle social), cela suppose une implication des citoyens et une réforme autant de la gouvernance, de l’Etat, que du rapport entre la société dite civile et ce même Etat. Sans aller chercher bien loin, cette option est celle adoptée par Nicolas Sarkozy, celui qui parle de la France d’après, et s’incarne en homme nouveau, allant à la rencontre des Français prêts au changement, un soir d’avril 2007. Avec en plus quelques suggestions pour changer le fonctionnement du sommet de l’Etat, et notamment renforcer le rôle du président, prenant le contre-pied des partisans d’un régime basé sur la prééminence du Premier ministre, (le président n’ayant plus qu’un rôle de joker en cas de crise majeure, ainsi que de symbole incarné de la nation, comme en Italie ou en Allemagne). La France d’après est un projet ambitieux, mais est-il réalisable ?

 

 

Transition toute trouvée vers la dernière option, la plus englobante, celle de crise de civilisation. Pour un sociologue compréhensif, c’est la plus intéressante des hypothèses à creuser, mais pas la plus facile. D’autant plus que la crise est ce qui caractérise par essence la civilisation, mais pas en tous temps. La « crise de civilisation » serait l’épreuve du temps pour une société parvenue à un épuisement de ses transformations, subissant des contradictions profondes, traversant les couches sociales, une société sachant consciemment ou non que se raccrocher à la tradition ne constitue pas la solution, tout au plus un moyen parmi d’autres, alors qu’en premier lieu, les nouveaux contours et formes n’ont pas encore émergé. Sommes-nous dans ce type de conjoncture ? Si tel est le cas, les hommes doivent changer. Je n’ai pas la réponse. La piste la plus pratiquée est celle de la marchandisation du monde, mais elle s’avère un peu courte. Il vaudrait mieux impliquer des problèmes comme l’addiction consumériste, l’insatisfaction généralisée, le matérialisme excessif, la pression mise sur les individus, la perte des repères traditionnels. Affaire à suivre, comme on dit. Mais une chose semble assurée. En cas de crise de civilisation, ce ne sont pas les solutions apportées par Sarkozy ou le PS qui feront l’affaire.

 

 

Revenons au point de départ. L’affaire Clearstream. D’aucuns pensent à l’affaire Markovic, avec un complot dans l’appareil d’Etat visant à déstabiliser Pompidou, Premier ministre à cette époque. En remontant dans l’histoire, on trouverait d’autres intrigues de ce type. Ce constat permet de relativiser les choses. Cette crise au sommet n’a peut-être pas de lien organique avec la crise de civilisation que nous subissons. Toutefois, il est tentant de rappeler cette affaire Markovic pour la date où elle intervient, en pleine crise après les événements de Mai 68, alors que Clearstream se place dans un contexte délétère consécutif au vote du 21 avril 2002 et surtout après le résultat des régionales, refaisant surface en ce moment après la crise des banlieues et du CPE. Les crises sociales sont-elles en phase avec les intrigues dans les rouages de l’Etat ? La réponse est incertaine. En revanche, cette affaire en agace plus d’un, et vu le contexte, on peut comprendre qu’il en soit ainsi, dans cette France qui semble achever une époque. Après Mai 68 et l’affaire Markovic, il y eut la société nouvelle, incarnée par Chaban-Delmas. Y aura-t-il une société nouvelle en 2007, qui l’incarnera, quelle sera-t-elle, une France d’après ? Ou une France plus généreuse, partageuse, inventive ?

 


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12 réactions à cet article    


  • argoul (---.---.18.97) 4 mai 2006 12:38

    Analyse pertinente qui prend de la hauteur par rapport à l’actualité. Il en faudrait plus souvent, tant l’épidermique, l’émotionnel et le superficiel envahissent habituellement le discours sur la politique politicienne.


    • sigis (---.---.141.163) 4 mai 2006 14:15

      De plus en plus la France et d’autres pays de l’Europe approchent 1788.


      • Bertrand Damien Bertrand C. de L. 4 mai 2006 14:39

        Tous les gouvernements peuvent et ont la tentation de la barbouzerie. Quand vous avez ces ressources secrètes sous la main, il est difficile de ne pas être tenté de les utiliser. La question de savoir si les crises sociales sont en phase avec cette tentation est intéressante.

        Il me semble que ce recours à la barbouzerie est largement influencé par la pression à laquelle l’Etat, et plus précisément le gouvernement sont soumis. Plus le contexte est difficile, plus la tentation est grande. Or, le contexte de crise de cette législature cumule toutes les sortes de pressions imaginables, et culmine dans l’ubuesque, l’incompétence et la déliquescence.

        Un président mal élu et qui, il faut le rappeler, pesait moins de 20% au premier tour des présidentielle. Un Président en fin de règne, qui s’interroge sur la façon dont les juges vont l’aggresser à la fin de son mandat, lorsque les multiples affaires de corruption le rattraperont, à moins qu’un Président ami soit là pour verrouiller autant que faire ce peu le processus judiciaire. Manque de bol, si c’est Sarkozy, il y a des réglements de comptes et des haines tenaces qui n’arrangeront pas ses affaires. Un premier Ministre autiste qui ne sait pas ce que démocratie veut vraiment dire en pratique, puisque qu’il n’a jamais été élu. Un Sarkozy qui rêve de régler les factures et de prendre une revanche exemplaire. Une opposition stimulée par la déliquescence de cette législature, qui sent l’opportunité et qui ne va pas lâcher le morceau. Un contexte internationnal qui n’a eu de cesse de rabaisser le poids de la France dans le grand concert international. Une suite d’échecs politiques retentissants qui laisseront dans l’histoire l’image du Président le plus minable de toute l’histoire de la V° République. Un bilan économique très contestable, où l’on mesure le recul de l’emploi en nombre de radiations à l’ANPE et non pas en nombre de créations nettes d’emplois. Et enfin, des français déboussolés qui se demandent où ils vont.

        Il est rare de voir autant de facteur de pression convergeant de manière aussi forte sur un Etat Français. Alors, je ne suis pas très étonné de voir ce genre d’affaire de barbouzerie sortir.

        Ce qui est consternant, c’est de voir comment Villepin s’arqueboute sur son orgueil démesuré pour tout nier malgré l’évidence, et clamer de façon pathétique qu’il ne pliera pas. Il a dit ça aussi pour le CPE. Là, j’ai l’impression que ce pourrait bien être la dernière fois. Villepin est mort, politiquement. Il vaudrait mieux sortir le plus vite de cette histoire, parce que les dommages des années Chirac pour la France commencent à peser très, très lourd.


        • sigis (---.---.141.163) 4 mai 2006 17:31

          C’est très intéressant de voir que vous autres français n’acceptez absolument pas que votre projet social qui est em place depuis 1945 est vraiment périmé. De toutes manières vous tournez en rond et n’irez nul part comme ça. Le plus de temps vous perdez, plus grave sera le chambardement qui pourra se ressembler à celui de 1789.


        • Bertrand Damien Bertrand C. de L. 4 mai 2006 17:41

          Heu, je ne vois pas le rapport avec l’article...

          Discuter du modèle social Français est intéressant, et votre assertion sur le sujet mériterait un forum dédié parce que non seulement je ne sais pas si on peut parler de modèle spécifiquement français, que je ne vois pas en quoi il est obsolète, et que l’on pourrait même débattre de ses aspects finalement plus progressistes que toutes les régressions que l’on voit dans la plupart des pays notamment anglo-saxons.

          Mais encore une fois, je ne vois pas très bien le rapport avec le sujet de l’article, c’est à dire l’utilisation anormale des ressources de renseignements par des sommités de l’Etat qui sont soumis à une intense pression.

          Type de comportement qui d’ailleurs n’a absolument rien de spécifiquement français, puisqu’on l’observe partout ou les tensions existent, et il n’y a qu’à voir côté US par exemple pour se rendre compte qu’en matière de manipulations et de barbouzerie, les français sont par ailleurs des enfants de choeurs et des artisans.


        • sigis (---.---.141.163) 5 mai 2006 11:39

          En Fance plus que jamais on ne voit qu’en bipolarisation. Et cela donne un cul de sac. Ou on est de droite ou on est de gauche. L’Europe est de gauche, les U.S. sont de droite. Avez vous pensé que peut-être comme nous mêmes maintenant, les européens moyens en 1788 ne s’imaginaient absolument pas que dans quelques années ils allaient vivre entre la droite et la gauche. Le régime issut de la révolution française est.... révolu. Je pense que c’est le moment de tout réinventer.


        • www.jean-brice.fr (---.---.159.96) 4 juin 2006 18:34

          Pour sigis : on voit que vous n’êtes pas Français, du moins de coeur ...


        • Scipion (---.---.44.111) 4 mai 2006 20:49

          J’ai le sentiment que le Français d’aujourd’hui n’a pas grand-chose à voir avec celui de 1969, du point de vue de la perception des événements.

          Il est davantage blasé, les coups les plus tordus ne font plus recette, ils finissent à l’enseigne du Tous pourris, ce qui se traduit par une abstention croissante.

          L’abstention record sera d’ailleurs, avec la forte hausse des votes récoltés par la droite national, l’aspect majeur de la présidentielle de 2007.

          « Ou une France plus généreuse, partageuse... »

          Ca veut dire avec plus d’immigrés exotiques ? Avec plus de surpopulation étrangère ? Avec plus de rejets de la part des « de souche », et pas seulement... Avec plus d’embrasements interethniques, donc...


          • Bernard Dugué Bernard Dugué 5 mai 2006 14:41

            Une remarques qui tente de synthétiser quelques éléments. Le modèle social communo-gaulliste de 1945 n’est pas périmé, il a juste été perverti par ceux qui en ont abusé alors que les partis politiques au pouvoir n’ont pas trop agi pour le sauver et l’ont trahi, notamment en favorisant les ménages les plus aisés. C’est le volet crise sociale, que j’évoque par ailleurs sur mon dernier billet du 5 mai. Et cette crise sociale se superpose aux crises de régime, assez importante et aux crises de l’appareil d’Etat, la cerise sur le gateau mais dont les médias se délectent.

            Reste à savoir si crise de civilisation il y a. Là c’est incertain


            • Bertrand Damien Bertrand Damien 5 mai 2006 17:36

              Le saut de la crise de l’appareil d’état jusqu’à la crise de civilisation me semble impossible à faire. La crise de civilisation dépasse de beaucoup le contexte national. Et à quelle civilisation faisons-nous référence aujourd’hui, difficile à dire, vaste sujet... Parle-t-on de civilisation occidentale versus autre chose ? Est-ce que cela a un sens ?

              On peut par contre discuter de savoir s’il y a crise de société (française) ou pas. La perspective et le recul sont toujours très difficiles à prendre, notre tendance naturelle nous pousse toujours à dire que ça va plus mal maintenant qu’avant, et que c’était mieux avant (comme font les vieux).

              L’examen de tous les éléments révélateurs d’un contexte de crise, et leur mise en perspective par rapport aux décennies passées ne sont pas faciles. En quoi pouvons-nous prétendre aujourd’hui par exemple que l’immigration est un problème de société plus important que lorsque la France absorba les flux migratoires du début du vingtième siècle en provenance d’Italie, de Pologne et d’ailleurs ? En quoi est-il plus dur de vivre aujourd’hui qu’à d’autres période récentes de notre histoire ?

              Nous qui avons une tendance si forte à nous plaindre continuellement, croyons-nous vraiment qu’il vallait mieux vivre à la fin du 19ème siècle ? Ou après ? ou Avant ? Le progrès existe-t-il, et si oui, régressons-nous en ce moment ? Globalement, ou sur des sujets particuliers ?

              Nous n’avons pas le recul nécessaire. Nous ressentons simplement que ça va mal, et quand ça va mal, nous avons besoin d’un nouveau cataplasme. Quand le niveau de saturation approche, il est temps de faire un petit électro-choc. Temps par exemple de changer de régime.


            • Antoine (---.---.239.80) 19 mai 2006 22:00

              Délétère... ?

              Oui, ce n’est pas le lot de la France, c’est partout.

              C’est un changement sans doute, son prélude en tout cas. Que peut-on imaginer ? Une crise de confiance réelle de la part des citoyens, une érosion des pouvoirs ?

              Si d’ici 5 ans, à mon sens, si le contrat de confiance disparait, se lézarde entre les élites politiques et les citoyens, il ne faudra pas s’étonner des refus.


              • www.jean-brice.fr (---.---.45.93) 25 mai 2006 19:07

                Ces crises ne sont que les conséquences du déclin de l’Empire anglo-saxon auquel, malheureusement, nous nous sommes rattachés depuis le départ du Grand Charles... Le seul moyen de s’en sortir est de RESISTER ... c’est à dire CHANGER DE POLITIQUE !!!

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