Du mont Lassois à Gergovie
Surprenante découverte, la mise au jour, sur le mont Lassois, d’une petite ville du premier âge du fer (820 à 450 ans avant J.C.) remet en question la thèse d’une Gaule qui n’aurait connu un début d’urbanisation qu’aux Ier/IIe siècle avant notre ère. Suivant cette thèse, en effet, ce n’est que dans les deux premiers siècles avant J.-C. que seraient apparus des oppidums retranchés où venait se réfugier la population en cas de danger (à Gergovie/Merdogne), ou bien donnant naissance à une pré-urbanisation (au mont Beuvray), la véritable urbanisation ne commençant qu’avec l’arrivée des Romains.
Cette thèse est donc aujourd’hui infirmée par l’équipe de chercheurs franco-allemande qui a travaillé sur le mont Lassois sous la direction de Bruno Chaume, archéologue au CNRS. Je cite : « C’est la première fois qu’une habitation celte de la civilisation Hallstatt (époque du premier âge de fer allant de 820 à 450 ans avant J.-C.) est mise au jour près de la sépulture de la personne qui a pu l’habiter... Le palais de la Dame s’insère dans une véritable petite ville fortifiée de 6 hectares... on pensait que l’urbanisation de l’Europe occidentale n’avait commencé qu’avec la civilisation des oppida au IIe et Ier siècle avant notre ère » (Isabelle Brisson, Le Figaro du 3 août). « De part son architecture, cette résidence palatiale est tout à fait exceptionnelle et pour l’instant, unique au monde, explique Bruno Chaume » (Caroline Gaujard, Le Journal de Saône-et-Loire du 3 août).
Dans le monde grec du VIIIe siècle avant J.-C., les premiers temples sont généralement construits en bois et en briques crues, comme à Samos où les murs sont de briques crues et le toit soutenu par des colonnes en bois. Ces temples s’ouvrent au soleil levant qui éclaire la statue du dieu placée devant la porte, le jour où est célébrée la fête principale de la divinité (cf. le site d’Isabelle Didierjean, professeur de lettres classiques). Le temple in antis possède deux colonnes en façade entre les antes, c’est-à-dire entre le prolongement des deux murs de côté du temple, ce qui constitue le porche d’entrée.
Or, comme l’expliquent les articles précités, le bâtiment mis au jour sur le mont Lassois, au centre d’une petite ville structurée qui se protège derrière ses remparts, présente des analogies avec ce modèle, avec la particularité qu’il existe deux antes, autrement dit deux façades avant d’accéder au sanctuaire. Les portes à deux battants mesuraient 6 m de large sur 4 de haut et s’ouvraient au soleil levant. Les murs en clayonnage étaient recouverts d’un torchis peint d’un badigeon de couleur rouge. Le toit ou les toits des parties couvertes étaient en tuiles de bardeaux de chêne (l’arbre sacré des druides). Mais ce qui fait la sensation de cet ouvrage sont ses dimensions phénoménales : 35 mètres de long sur 21,50 mètres de large. En outre, ce qui pourrait en faire un prototype repose sur le fait que son extrémité ouest ne se termine pas à angle droit, comme dans la majorité des temples grecs, mais par une étonnante abside se fermant sur une galerie de colonnes en bois disposées en demi-cercle.
Présenté par les médias comme étant un palais, ce dont je doute, annonçant plutôt, selon moi, l’arrivée des basiliques romaines et des églises romanes, cet ouvrage unique au monde, comme cela est dit ci-dessus, correspond très prosaïquement, dans sa simplicité primitive, aux besoins du fonctionnement de la cité. Sanctuaire pour son dieu ou ses dieux, tribunal de justice, forum politique, lieu pour les cérémonies notamment funèbres suivies des banquets traditionnels comme à Corent (les vestiges de vaisselles et d’amphores brisées le prouvent).
Mais alors, que signifie l’irruption surprenante dans ce monde hallstattien d’une princesse du début de l’époque de la Tène que la cité a enterrée au pied du mont avec son fabuleux cratère de Vix... fabuleux cratère de Vix daté des environs de l’an 500 avant J.-C., le plus bel ouvrage antique en bronze de ce genre que la terre ait porté ?
Le mont Lassois n’aurait-il pas été la capitale de l’important peuple lingon avant que son gouvernement ne s’installe dans la nouvelle ville d’Andematunum (Langres) ? Lorsque César écrit qu’après la bataille de Bibracte, 130000 Helvètes en fuite arrivèrent en pays lingon après quatre jours de marche, il me semble évident qu’ils ne se dirigeaient pas vers la région de Langres mais vers celle du mont Lassois (DBG I, 26). L’importance des fortifications qui protègent la position, importance qu’avait déjà soulignée en 1979 René Joffroy dans son ouvrage Vix et ses trésors, va dans ce sens. Quant à imaginer que le cratère ait pu être réalisé sur place, c’est évidemment hors de question. Le cratère de Vix est donc venu d’ailleurs. De deux choses l’une, ou bien cet objet a été importé de Grèce, thèse dont j’ai plusieurs fois stigmatisé l’absurdité, ou bien il vient d’une cité voisine, plus puissante. Cette cité plus puissante, cette presque capitale de la Gaule, ne serait-ce pas Gergovie ?
Il s’agit maintenant de réfléchir aux conséquences de cette découverte : puisque la cité importante certes mais encore modeste du mont Lassois avait sa petite ville/oppidum retranchée sur sa hauteur, dès l’époque du Hallstatt, puisque dans son enceinte, au milieu de son agglomération, elle a eu l’audace et la foi d’y élever son édifice forcément religieux, il est impensable qu’il n’en ait pas été de même dans les cités plus puissantes, et cela à une échelle supérieure.
Où sont la ville et le temple de Gergovie ? Où est la ville - urbs - que César situe sur la hauteur d’où ses troupes ont été rejetées ? Où est le célèbre temple de Vasso Galate qu’évoque Grégoire de Tours ? Les archéologues ont retourné le sol du plateau de Merdogne et ils ne les ont pas trouvés.
De temples, on n’en trouve pas non plus sur les monnaies gauloises. Une seule exception toutefois : certaines monnaies attribuées à Pixtilos. Or, si, avant la conquête romaine, Pixtilos a fait figurer une façade de temple sur ses monnaies, cela ne peut s’expliquer que parce qu’un temple se dressait dans sa ville ou à proximité. Mais qui était donc ce Pixtilos ? Les numismates attribuent ses monnaies tantôt aux Pictons, tantôt aux Carnutes, tantôt aux Arvernes. En outre, l’orthographe du nom varie, ce qui est courant dans les monnaies gauloises : Pictillos, Pixtillos, et même Rixtillos sur certains exemplaires (Rixtillos, roi des Arvernes ?). Et pourquoi pas Celtillos (roi des Celtes), père de Vercingétorix, du nom que les textes lui donnent ?
Et en effet, s’il y eut, en Gaule, un temple à la romaine, c’est bien à Gergovie qu’il faut en chercher la trace, un temple qui a probablement scellé une alliance entre le peuple romain et le peuple arverne après la défaite de ce dernier en 121 avant J.-C.
La recherche archéologique a encore de beaux jours devant elle.
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