Emmanuel Macron : sous le lobbyisme actif des services secrets
Emmanuel Macron n’était pas le candidat préféré des services secrets : ceux-ci manifestaient leurs penchants pour Nicolas Sarkozy, François Fillon et Manuel Valls. Ils jugeaient ésotérique la possibilité que l’ancien ministre de l’économie devienne président. Emmanuel Macron pourrait-il être instrumentalisé, comme l’a peut-être été François Hollande ? Du côté de l’équipe Macron, les lobbyist s’activeraient via François Heisbourg, conseiller spécial du président de la fondation pour la recherche stratégique, ou Jean-Claude Cousseran, qui a été à la DGSE et eut, comme Bernard Bajolet, un poste diplomatique. Des réseaux tentent de jouer la carte temps pour empêcher l’unification des 22 structures de renseignement, rendre impossible le contrôle de leurs activités et à mon avis continuer à dénaturer le fonctionnement démocratique. Explications.
De la loi Macron au programme de « En marche »
Emmanuel Macron a été secrétaire général adjoint auprès de François Hollande de 2012 à 2014, chargé des dossiers économiques et financiers, puis ministre de l’économie d’août 2014 à août 2016 (serré de près par Michel Sapin, ministre des finances et des comptes publics). Il a été le témoin direct de la mécanique ayant conduit à l’état d’urgence, a failli démissionner quand François Hollande a tenté de faire passer la déchéance de nationalité.François Hollande indiquera qu’Emmanuel Macron l’a « trahi avec méthode », ce qui est une sorte de compliment de la part de l’ancien président, et Manuels Valls demandera son renvoi.
Aujourd’hui, François Hollande ne paraît jamais avoir eu cette certitude démocratique que l’on attend d’un garant des institutions. Et Emmanuel Macron ? Sur sa filiation politique, Emmanuel Macron souligne sa proximité avec Pierre Mendès-France et Michel Rocard : pour notre sujet, c’est ce dernier qui a lancé la première modernisation de la DGSE (il a souligné avec malice le paradoxe que cette administration « plutôt conservatrice » se soit faite réformer par un socialiste... qui l’a plus ou moins contrôlée). Emmanuel Macron a été secrétaire du philosophe Paul Ricoeur. Qui est Paul Ricoeur (1913-2005) ? Un philosophe « anthropologist » selon une université américaine où il enseigna, auteur d’une oeuvre énorme, que l’on pourrait essayer de résumer comme la quête avec les outils phénoménologiques, existentialistes, herméneutiques, psychanalytiques de ce qui fait l’identité, la justice, etc., avec des préoccupations politiques et éthiques (l’homme, un protestant, est passé par le personnalisme chrétien d’Emmanuel Mounier). Le conflit des interprétations , Soi-même comme un autre, Le juste, Amour et justice, Le symbolisme du Diable : voici quelques-uns de ses ouvrages. Dans la phénoménologie, rien n’existe « en soi » ; à l’inverse, chez Carl Gustav Jung (dont Freud se sépara) et ses héritiers, les symboles ou « archétypes » ont une vie distincte, énergétique, d’intentions, de synchronicités et ce sont d’eux que surgissent les phénomènes concrets. En sciences, le monde quantique serait plutôt jungien, et le monde de la relativité de l’espace-temps plutôt phénoménologiste. Chez Jung ce sont les archétypes qui tissent la trame des récits tragi-comiques que sont nos vies, alors que Paul Ricoeur serait plutôt de l’avis que quelqu’un qui dit cela fait de la fiction. Mais Paul Ricoeur montre que la réponse aux problèmes actuels n’est pas purement instrumentale. Il n’est donc pas vraiment « hollandiste ».
Pour autant, raisons théorique et pratique se dissocient facilement.Comment donc apprécier ce que ferait Emmanuel Macron par rapport aux lois sur le renseignement, à la permanence de l’état d’urgence, à la clause du secret-défense, au contrôle par l’état de Droit des services de renseignement ?
Le problème des agences de sécurité : pérenniser les exceptions aux droits mises en place par François Hollande et Manuel Valls ?
Premier point : pour assurer son héritage sécuritaire, François Hollande a fait prolonger le mandat de Bernard Bajolet à la tête de la DGSE (via un amendement dans la loi Lebranchu du 21 avril 2016), quoique celui-ci ait dépassé la limite d’âge. Son mandat prend fin le... 21 mai 2017 (le jour de son anniversaire). Comme le second tour a lieu le 7 mai, le problème des services de sécurité sera l’un des premiers dans l’agenda présidentiel des nominations... sachant que François Hollande a fait en sorte que l’état d’urgence ne prenne fin qu’en juillet 2017 (sans doute pour épargner à son successeur la peine d’y penser). Donc, très fine lobbyiste, la DGSE peut mettre en avant, sous prétexte de continuité opérationnelle, qu’il faut continuer les principes selon lesquels a été conduite ces cinq dernières années la gestion des services dans leur ensemble, car la situation est 20 fois ou 100 pire que ce que l’on veut bien nous dire (enfin, dira-t-elle. C’est peut-être 1 000).
Pour bien comprendre comment ont fonctionné en phase François Hollande et Bernard Bajolet ces dernières années, le mieux est de regarder le parcours politique de Jean-Jacques Urvoas, devenu ministre de la justice après le départ de Christiane Taubira (également opposée à la déchéance de nationalité et l’état d’urgence permanent). Le parcours qui a mené ce député du Finistère au gouvernement commence un an avant 2012, avant les primaires socialistes de l’époque (Dominique Strauss-Khan faisant alors la course en tête). Armé bien à propos d’un co-auteur, il publie un travail : Réformer les services de renseignements, où il indique que la « France ne dispose pas d’un « cadre normatif adapté », ce qui veut dire à la fois que les agents ne doivent plus oeuvrer dans l’illégalité et qu’il faut les contrôler. Idées que l’on retrouvera dans la commission d’enquête qu’il présidera après l’affaire Merah, et on le verra écrire pour la fondation Jean-Jaurès : Une loi relative au renseignement : l’utopie d’une démocratie adulte ? L’article paraît un mois avant la présidentielle de 2012. L’accueil est tiède dans la communauté du renseignement. Ils considèrent se débrouiller suffisamment bien dans l’illégalité de l’époque et le mot « contrôle » ne passe pas chez eux. Mais, quand on se dit socialiste, c’est une expression à dire. Ensuite, c’est l’emballement : les attentats, les états d’urgence. Il y aura bien une loi, le 24 juillet 2015, où non seulement le contrôle sera oublié, mais régressera. Qu’importe certainement pour Jean-Jacques Urvoas : il deviendra ministre de la justice. En fait, au-delà de son cas particulier, il aura certainement permis de sceller l’alliance indéfectible entre Bernard Bajolet et François Hollande.
J’ose ajouter une hypothèse : toute présidence semble avoir ses crimes d’état. Un conseiller se suicide ou est suicidé à l’Elysée sous Mitterrand ; Méry, au centre des financements de la droite laisse des cassettes vidéo supposées le sauver et se suicide ; sous Sarkozy, il semble que Kadhafi se soit fait exécuter par la DGSE. Rien sous le duo Bajolet-Hollande ? Bon : prenons l’époque. Elle est bien à des affaires Rainbow-Warrior puissance 10 ou 100, non ? Si cela a été le cas, elles seront si grosses qu’elles sortiront par leur propre inertie, et ce sera sous la présidence Macron s’il est élu, la compromettant via les compromis. Celui-ci se retrouverait avec une chaîne au pied le reliant à une sorte de trou noir en expansion. L’héritage Hollande empoisonnerait définitivement sa gouvernance et, au-delà, la démocratie.
Le programme sécuritaire d’Emmanuel Macron : « la sécurité est la première de nos libertés » (tract diffusé fin mars 2017) ?
Sur le plan des moyens, il me semble que les dispositifs proposés dans le programme de « En marche » soient divers et variés, très détaillés dans le fond et la forme. Je pense qu’à ses postes successifs Emmanuel Macron a pu identifier les aspects déclamatoires et inefficaces des lois sécuritaires et de la tentative de réforme constitutionnelle qu’était la déchéance de nationalité. « La prolongation sans fin de l’état d’urgence pose des questions » ; la déchéance de nationalité n’est pas une « solution concrète » : voici ce que dit à ces sujets l’ancien ministre de l’économie. On peut penser qu’il s’agit d’une conviction. Cependant si, dans le programme de « En marche », on regarde les mesures de contrôle démocratique de l’activité des services secrets, on lit principalement : « offrir aux juges un meilleur accès, protégé, à des données de services » ; « nous renforcerons les moyens du parquet et juges d’instruction ». S’y ajoute la perspective d’un syndicat de la magistrature indépendant. On eût cependant aimé que le renforcement des moyens de la commission nationale informatique et liberté (CNIL) figure en toutes lettres, qu’il soit mentionné la commission jugeant la légalité des écoutes (au moins menées en France, car de l’étranger en France...). Aujourd’hui, il n’est plus possible de savoir si l’on est fiché, cela étant en soi un secret menaçant la « sûreté de l’état ». Oui, Mademoiselle, Madame, Monsieur, vous menacez presque votre pays en tentant de savoir si vous êtes fichés. Et que dire, aussi, de ce qu’il y a dans ces fichiers : les peurs et les préjugés parfois très conservateurs des rédacteurs s’y déchaîneraient, paraît-il.
La génération Hollande risqueait-elle de mettre en danger une présidence Macron ?
Bernard Bajolet : 68 ans. François Hollande : 63 ans. Jean-Marc Ayrault : 67 ans. Jean-Jacques Urvoas : 58 ans. Jaen-Yves Le Drian : 70 ans. Les hommes au gouvernement représentent une génération de purs politiciens qui ont échoué économiquement, diplomatiquement et peut-être militairement... et même de leurs points de vue, puisque François Hollande n’a pas pu se représenter et que le PS ne sera pas au second tour.
En outre, aucun d’eux ne s’est intéressé à l’innovation en soi, au mieux à travers un entourage, et en tout cas n’a soi-même opéré de capital-risque, ou s’est intéressé à ce qui marche. Par exemple, dans leurs concepts, le changement climatique existe comme représentation électorale, ou risque migratoire, pas comme réalité créatrice d’emplois ; même chose pour les potentiels (et les risques) de la numérisation ; ou le potentiel encourageant et effrayant à la fois des sciences du cerveau, avec le développement des interfaces cerveau-imagerie médicale-logiciels-machines - à part peut-être Bernard Bajolet (le malheur c’est que la DGSE et la DGSI développeront sans contrôle cette science sans conscience quand elle sera mûre, ce qui n’est quand même pas pour demain. Mais à coup sûr ça pourrira la vie des activistes et dissidents politiques quand on les entendra penser en direct). Autre exemple : pour Jean-Jacques Ayrault, faire un aéroport à Notre-Dame-des-Landes est un concept contemporain, puisqu’il est celui de la majorité des élus de Bretagne, dont Jean-Yves Le Drian. Mais il est voué aux déficits. Aucun d’entre eux ne s’est dit que l’élection de Donald Trump était l’opportunité de faire revenir des créateurs en Europe, car il est possible que des scientifiques, entrepreneurs ou d’artistes ne veuillent ou ne puissent plus travailler aux Etats-Unis. Aujourd’hui, le Canada commence à en profiter. Le seul coût, pour nous, c’est l’état des libertés, qui passe par le contrôle démocratique et l’équilibre des pouvoirs. Mais qu’ils s’agissent de Jean-Yves le Drian, Jean-Marc Ayrault, ou de tous les notables « socialistes » et radicaux de gauche qui se sont rallié à Emmanuel Macron (comme le ministre des sports Thierry Braillard), aucun ne porte un tel projet. L’emploi de n’importe lequel de ces hommes ou de leurs affidiés à des postes de responsabilité emporterait tout nouveau gouvernement dans un logiciel du passé qui a gravement échoué.
Mais ce qui est certain c’est, qu’au niveau breton, une région marquée plus que toute autre par l’agriculture industrielle, certaines faillites industrielles, toute la condition ouvrière dans l’agro-alimentaire, des révoltes fiscales et les échecs de la démocratie locale dont le symbole est Notre-Dame-des-Landes, le ré-emploi de cette génération potitique et sa perpétuation au pouvoir local représenteraient une chance historique pour le mouvement citoyen, écologiste, voire même pour les mouvements bretons. Charlotte Marchandise, par exemple, est rennaise ; les Nuits Debout se sont tenues, lors de l’été 2017, dans la forêt de Paimpont ; le front de gauche y est en plein développement, tandis que le parti socialiste apparaît de plus en plus comme un syndicat d’élus défendant les monopoles économiques locaux avec le soutien des préfectures. La foudre découperait en deux le PS breton si les ralliés rentraient dans un gouvernement Macron. Cela pourrait être la possibilité pour ces idées de se réunir.
En conclusion
Quoi qu’il en soit, à ce jour, Emmanuel Macron n’est pas tombé dans les pièges où sont tombés Hollande et Valls, penser que l’on augmenterait la sécurité en reprenant les propositions issues de l’extrême-droite (et qu’on instrumentaliserait l’opinion). A l’occasion de l’attentat au lycée de Grasse, le 16 mars 2017, on a cependant encore entendu François Hollande continuer à soutenir que l’état d’urgence était nécessaire... enfin, les « moyens d’investigation » que permet l’état d’urgence, l’homme semblant en être un peu moins sûr désormais. Oui, cher Monsieur Hollande, il faut avoir une cuillère très longue quand on dîne avec le Diable. Un chaos s’installe, sur fond de changement climatique, de chute de la biodiversité, des rendements agricoles, d’inégalités économiques, de questionnement identitaire, divisions, migrations et risques en tout genre. Cela ne devrait-il pas entraîner la remise à plat de la gouvernance internationale, pour sortir de nos barbaries ? Car aucun de nos problèmes ne paraît avoir de solution nationale ou purement individuelle ; les démocrates, dans les pays, ont besoin d’une profondeur stratégique presque militaire pour se réfugier, résister, parler et surtout convaincre. La capacité de rester démocrate et de rassembler les démocrates, voici ce dont devra être capable Emmanuel Macron s’il devient président, et qui est à mon sens la mère de toutes les solutions.
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