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Accueil du site > Tribune Libre > Face à la crise : pour un retour vigoureux de la puissance publique

Face à la crise : pour un retour vigoureux de la puissance publique

Notre nation, peut-on lire et entendre ad nauseam, vivrait au-dessus de ses moyens. Criblée de dettes, la voilà chaque jour priée de faire des économies pour rééquilibrer ses comptes publics. Dernièrement, le scud ne vint pas de Bruxelles, de Berlin ou de ces indéboulonnables de la médiasphère dont l’incroyable talent réside en ceci que le manque de crédibilité ne les atteint jamais, capables de prêcher avec le même sérieux, la mine toujours aussi grave, les errements qui, hier, contribuèrent au marasme politico-économique dans lequel nous nous débattons aujourd’hui sans entrevoir, hélas, d’issue consensuelle. Ces indéboulonnables, que même le zapping ne parvient pas à faire taire tant ils sont sollicités, poussent par ailleurs le vice jusqu’à donner des leçons de crédibilité aux hommes et femmes politiques avec lesquels ils s’entretiennent (si mal d’ailleurs, avec des formats d’émissions incompatibles avec la pensée politique).

Mais revenons à nos moutons. Dernièrement, donc, le missile fut lancé sur la France à l’attention de son gouvernement (point ne fut besoin d’accusé de réception) depuis les locaux de l’OCDE. Un de plus, qui en suit un, et que suivra immanquablement un autre. Cette salve des tirs sur notre malheureux pays, moins ciblé et moins dévasté cependant que ses voisins grec ou latins (mais pour combien de temps ?), témoigne avec force de ce qu’est devenu notre pouvoir souverain, à savoir, à peu près plus rien, notre gouvernement prétendument libre consistant à donner des gages à des autorités extérieures (publiques ou privées) distribuant alternativement, tantôt les menaces, tantôt les encouragements.

L’esprit moutonnier répètera à l’envi que ces autorités assènent des injonctions qui, aussi offensantes soient-elles pour notre orgueil national, n’en demeurent pas moins légitimes, dès lors que ce qu’elles disent est vrai. Et qu’à tout prendre, le meilleur moyen de recouvrer notre souveraineté serait d’appliquer le programme qu’elles nous prescrivent à savoir : une vraie politique de compétitivité au moyen d’une cure radicale de moins disant fiscal et social, sur fond d’aggravation des inégalités économiques et d’accroissement de la pauvreté, à la manière du très socialiste M. Gerhard Schröder en Allemagne. Evidemment, ce programme emprunte d’autres formules du type : activation des dépenses publiques, réformes structurelles, flexibilisation du marché du travail etc. Ce verbiage idéologique ne signifie rien d’autre que l’organisation, dans le contexte d’une économie régionalement intégrée et dérégulée (soit l'acceptation d'une extension du domaine de la lutte), d’une sorte de sursaut national par le bas, soit la survie nationale au moyen d’un appauvrissement de masse dont l’Espagne et le Portugal donnent un avant goût amer.

En réalité, l’application d’un tel programme ne ferait que nous affaiblir davantage, en minant le pacte républicain issu de l’après deuxième guerre mondiale, voire en rallumant une nouvelle guerre des classes comme j’ai tenté de le prévenir dans le poème Jean-Ba le Terrible, ou en débouchant plus simplement sur une lente décomposition de la cohésion nationale sur fond d’affaiblissement continu de l’autorité de l’Etat. Ne nous y trompons pas : les déficits comme la dette de l’Etat français sont davantage les symptômes d’une économie en déclin accéléré que la cause première de nos maux. Il en va de même, en contrepoint logique, du besoin de prélever par l’impôt toujours davantage de ressources pour financer la dépense publique. En réalité, celles et ceux qui se font les zélés serviteurs de ces institutions extérieures ont des raisonnements comptables à courte vue et ne voient pas combien ces programmes, qui prônent en un mot moins d’Etat, se situent en réalité dans la suite logique d’un processus de retrait de l’Etat engagé depuis plusieurs décennies. Autrement dit, si la voie que nous encouragent fermement à suivre les autorités extérieures ont l’apparence du bon sens, c’est à la seule condition d’assumer que notre Etat ne maîtrise plus désormais sa politique monétaire, sa politique de change et sa politique commerciale, pas plus qu’il ne produit librement sa réglementation économique et financière ou qu’il ne s’autorise à intervenir comme bon lui semble dans la sphère marchande (pour ne pas « perturber le bon fonctionnement des marchés » ni « l’allocation optimale des ressources »…). Ces présupposés acceptés mentalement et acquis dans les faits, toute politique de compétitivité ne peut déboucher sur autre chose qu’une vaste prostitution nationale pour l’attractivité du territoire (permettez-moi d’insister sur ce point : il s’agit d’une prostitution dont les clients sont les multinationales et, désormais, des Etats étrangers comme la Chine), au moyen de coupes sévères dans les dépenses publiques et d’une fiscalité favorable au capital.

Le hold-up intellectuel est malin mais il n’est pas vrai et ne doit donc pas faire illusion : ce n’est pas que la France, par une boulimie d’Etat, aurait cassé son dynamisme économique au point de devoir donner des gages par une politique socialement régressive lui permettant de redevenir mondialement compétitive ; c’est que son Etat accomplit la dernière étape de son retrait, après que la neutralisation de ses leviers d’action aient été réduits à peau de chagrin. Je voudrais suggérer ici une comparaison avec la Russie que l’on jugera peut-être exagérée, mais que j'estime éclairante. Auteur d’un ouvrage intitulé « la Russie, puissance d’Eurasie », voici ce qu’Arnaud Leclercq nous livre sur le processus de redressement de la Russie sous Vladimir Poutine : « le chantier était de taille car Eltsine avait mis en péril l’unité du pays en encourageant les régions à approfondir leur autonomie, en vendant aux oligarques les entreprises d’Etat, en ouvrant les secteurs stratégiques aux investissements étrangers. Poutine va commencer par neutraliser les contre-pouvoirs, puis va reprendre en main les grands groupes industriels, avant de mettre en place des acteurs qui lui sont acquis à tous les niveaux de la hiérarchie économique et étatique. Ce programme est méthodiquement mis en œuvre par le rachat des grands médias que l’oligarque Guzinski se voit contraint de vendre, par la prise de contrôle de Gazprom, par la neutralisation de Khodorovski qui s’apprêtait à vendre une partie de son groupe pétrolier à Chevron-Texaco et Exxon-Mobil. Une reprise en main qui inquiète les Américains, furieux de voir la Russie renoncer aux réformes libérales et limiter un processus démocratique qu’ils assimilent à la phase de décomposition eltsinienne. En réalité, les Américains comprennent très vite que, derrière la « lutte contre la corruption » se joue une autre partie, géopolitique celle-là, le retour d’une Russie maîtrisant de nouveau ses instruments de puissance sur la scène internationale ». Il n’est pas inutile de rappeler au demeurant ce que la cure libérale des années 1990 affligea à la Russie : « de 1991 à 1998, le PIB russe a chuté de 50%, les investissements de 50%. L’espérance de vie masculine a été ramenée de 69 à 58 ans. Le taux de natalité s’est effondré de 14,7 pour mille à 9,5 pour mille. Dès avant la dévaluation de 60% du rouble en août 1998, les trois quarts de la population vivaient au-dessous du seuil de pauvreté et des millions de salariés et de fonctionnaires n’avaient pas reçu leur salaire depuis des mois… »[1].

Mon propos n’est évidemment pas de dresser l’éloge de Vladimir Poutine, qui demeure un autocrate sans scrupule. Il consiste à souligner combien dramatique peut devenir une société dans laquelle la puissance publique se retire au profit d’une anarchie économique déconnectée de tout intérêt national. Il s’agit aussi de montrer combien les chantres des paradigmes économiques néolibéraux sont à côté de la plaque, en esquissant un monde qui n’existe que dans leur tête, où règnerait un supposé marché libre de toute entrave, où la concurrence serait « pure et parfaite », où s’accomplirait en quelque sorte le dessein merveilleux d’une improbable « main invisible ». La réalité est en tout point opposée : les gagnants de la mondialisation ne sont pas les nations où l’Etat n’ose plus perturber un jeu qui le dépasse, mais bien plutôt celles qui, tout en renonçant aux mirages collectivistes, ont su intégrer les acteurs économiques dans une stratégie nationale englobante qui présuppose une maîtrise, par l’Etat, des principaux instruments de puissance (c'est vrai de la Russie, nous l'avons vu, mais aussi et de façon plus éclatante encore, de la Chine). Soit exactement la situation inverse dans laquelle se trouvent plongées les nations européennes, y compris l’Allemagne lorsque, nous le croyons, les désillusions de demain auront fini de dissiper l’arrogance d’aujourd’hui.

En conclusion, cessons d’écouter les fadaises de la pensée dominante et convenons que la cause première de notre marasme économique provient d’un défaut majeur de puissance souveraine dans l'exacte mesure où rien n’oriente plus la machine économique, qui ne nourrit désormais que la cupidité des oligarchies. Aucun dessein national ou européen surplombant ne nous est proposé, par le truchement duquel nous pourrions redresser la situation et renouer avec une nouvelle ère de prospérité économique (sous réserve des contraintes écologiques). Dès lors, nous pourrons bien conduire toutes les politiques d’austérité que l’on voudra, donner autant de gages que possible, il n’en sera pas moins vrai que sous la coupe de l’idéologie néolibérale et dans l’ornière de l’Union européenne, tous nos efforts ne seront que poursuite du vent et ne feront qu'aggraver la situation. Pour s’en sortir, il faudra proclamer le retour du politique sur l’économique, c'est à dire la conjugaison des moyens de la souveraineté de l'Etat et de la volonté de s'en servir, soit au moyen d’un Etat européen, soit par le retour à un Etat français indépendant (ce qui, j’insiste, ne signifie pas autarcique). Si ce retour du politique prend ce caractère d'évidence tant il est la condition de notre sursaut - retour incompatible avec le maintien en l'état des communautés européennes autant dans ses aspects institutionnels que normatifs - il appartient aux peuples d'arbitrer démocratiquement entre un horizon national ou européen.


[1] Propos issus du numéro 66 de la Nouvelle Revue d’Histoire, page 24

 


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6 réactions à cet article    


  • Francis, agnotologue JL 5 juin 2013 08:12

    Inutile de lire, l’auteur ne lit pas les commentaires.


    • eric 5 juin 2013 09:15

      Je dirai plutôt inutile de lire parce que dépourvu d’intérêt. L’auteur connait la France presque moins bien encore que la Russie si c’est possible mais sans l’excuse de ne pas y habiter.


    • M. Aurouet 5 juin 2013 19:51

      C’est tout à fait faux monsieur, je lis les commentaires, et je respecte vos points de vue comme vos critiques à défaut de les approuver.

      Cordialement,
      L’auteur de l’article


    • tf1Goupie 5 juin 2013 13:23

      Y a pas pire que celui qui ne veut pas entendre.

      Te préoccupe pas de ton avenir mon gars, ni de ta retraite , ni de ta mutuelle, mets tes mains sur tes yeux, tu verras tout se passera bien smiley


      • Richard Schneider Richard Schneider 5 juin 2013 16:29

        @ l’auteur,

        Au contraire des trois commentaires précédents, je trouve votre article très intéressant : il nous change des habituelles confrontations tournant autour du mariage gay (dont je me fous), des élucubrations de certains lobotimisés pas la propagande ultra-libérale ou des vociférations des pour ou contre Mélenchon ...
        Trouver votre article d’un niveau très au-dessus de ce qu’on lit depuis quelque temps sur ce site ne signifie pas nécessairement que l’on soit en accord complet avec votre thèse. C’est pourquoi on pourrait être en droit d’assister, par des commentaires pertinents et bien équilibrés, à un vrai débat sur l’avenir de notre pays, dans ou en-dehors de l’Europe des Marchands ... 
        Maintenant, l’orientation ultra-droitière de La Nouvelle Revue d’Histoire dont vous vous êtes inspiré pour écrire votre texte est, à juste titre, très controversée : l’Histoire se doit d’être la plus objective possible et surtout, il me semble, que l’intervention d’Historiens honnêtes et scrupuleux sur des sujets questions aussi actuelles, manque de sérieux. L’historien n’est ni un journaliste, ni un polémiste, ni encore moins un « politique ». Il ne peut analyser des faits qu’avec le recul. Ce qui n’est pas le cas en ce qui concerne le sujet qui nous intéresse.
        En tout cas, lorsque vous écrivez, en tant que citoyen (et non pas en tant qu’historien) :
        « En conclusion, cessons d’écouter les fadaises de la pensée dominante et convenons que la cause première de notre marasme économique provient d’un défaut majeur de puissance souveraine dans l’exacte mesure où rien n’oriente plus la machine économique, qui ne nourrit désormais que la cupidité des oligarchies ».
        vous posez un problème fondamental : l’avenir de notre pays - dans ou en-dehors de l’Europe atlantique.

        • M. Aurouet 5 juin 2013 19:58

          Je vous remercie.

          J’apprécie cette revue, mais je n’ignore pas effectivement son orientation droitière comme vous le soulignez à juste titre. Je trouve la plupart des articles de qualité, et ce texte sur la Russie me semblait assez fondé.

          Cordialement,
          L’auteur de l’article

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