France : les dogmes tiennent bon

Avec le temps et l’action contradictoire des hommes (pour simplifier on pourrait, au sens large, dire « la lutte des classes ») des « évidences » acquises dans la violence et les luttes, paraissent aussi naturelles que la vie d’une fleur. On ne se demande pas, ici, pourquoi on a des vacances, pourquoi on s’habille de toutes les couleurs, pourquoi les femmes portent la mini – jupe. Pourquoi une retraite est « un droit acquis ». Ailleurs, paraît comme une évidence l’exact contraire. Ici, dieu est une option, ailleurs une obligation, ailleurs encore un menu à la carte.
Pour le ciel, l’univers, de tout temps on a cherché le « pourquoi », l’infini étant une gageure pour l’humanité et sa supposée perfection issue d’une volonté divine.
Les grecs ont cherché plutôt le « comment » un comment qui se moulait, en tant qu’interrogation, au pourquoi, science et philosophie allant de pair. Que leurs réponses soient dans le vrai ou dans le faux, peu importe. Les premiers, ils ont introduit le concept : tout ne va pas de soit, il n’y a pas des réponses simples, tout n’est que mouvement, inconstance et mutation. Choix. Leur « comment » a ainsi donné plus de sens que le « pourquoi », qui continue à faire des ravages deux millénaires plus tard, avec des réponses toutes faites de certitudes et un esprit binaire impliquant la fatalité ou le manque de choix réel.
Le refus du complexe ayant déménagé du ciel au cœur de la cité, de la religion à la politique, dans un monde pourtant de plus en plus entropique, la « lutte des classes » pourrait se résumer comme l’opposition entre ceux qui ne préconisent qu’un choix (fatalité) et ceux qui entrevoient plusieurs. Entre ceux qui imposent « une et unique solution » et ceux qui désirent plusieurs solutions au sein de la solution elle-même. En d’autres termes, entre ceux qui, n’assumant pas la complexité renforcent le chaos, et ceux qui, assumant l’entropie, au moins, ne l’augmentent pas.
J’aime beaucoup une pensée de Cornelius Castoriadis : « Le vieux Marx n’avait pas complètement tort. Si le capitalisme avait été laissé à lui-même, il se serait effondré cent fois. Il y aurait eu une crise de surproduction tous les ans. Pourquoi ne s’est-il pas effondré ? Par ce que les travailleurs ont lutté. Ils ont imposé des augmentations de salaire, créant ainsi d’énormes marchés de consommation interne… ». (Post-scriptum sur l’insignifiance, éd. de l’Aube). Ainsi, avoir raison (et en préconiser des parades) influe sur une prédiction. Le résultat cesse d’être une prévision exacte justement par ce qu’on l’a identifié.
Avec Descartes et Montesquieu, eux aussi penseurs du « comment », avec Spinoza, qui rationalise l’éthique comme on pense les mathématiques, la Cité endosse la pensée grecque, se libérant du discours sur l’absolu. Un système laissé à lui même, peu importent ses intentions, dérive dans sa solitude. Avoir raison contre tout le monde, c’est avoir tort. John Emerich Dalberg va plus loin : « Le pouvoir tend à corrompre, le pouvoir absolu corrompt absolument ». Peu importe que l’homme soit bon (Rousseau) ou mauvais (Hobbes), l’important c’est de ne pas le laisser décider seul. De créer des contre - pouvoirs, des filtres, du garde - fous. Car toute opposition, tout anti - discours, toute médiation, atténue le projet absolutiste.
Pour revenir à Castoriadis et son post – scriptum sur l’insignifiance, discours et anti –discours portent intrinsèquement et en commun la responsabilité aussi bien des dérives du pouvoir que de la perte du sens, de repères, au sein de la Cité.
Lorsque Cécile Duflot déclare que « faute de résultats, le ministre de l’intérieur fait de la communication », elle pointe sur l’élément supplémentaire, central et paradoxal du pouvoir absolu : celui-ci est impuissant. Comme est impuissant, faute de filtres et de contrôles, d’opposition cohérente, le système financier. Lorsque les néo - libéraux disent « il faut faire confiance au marché » nous revenons des siècles en arrière, à une époque ou l’Eglise toute puissante disait « crois et ne cherche pas ».
Lorsque le président Sarkozy choisit, comme les groupes d’extrême gauche et d’extrême droite italienne des années 1970, la stratégie de la tension, il s’avoue impuissant. Lorsqu’il s’attaque aux institutions et prérogatives de l’Union Européenne (qu’il a lui même imposé à son propre pays), il s’avoue impuissant. Quand il bâillonne son parlement (à qui il a octroyé des droits supplémentaires), il s’avoue impuissant.
Mais s’il est impuissant, c’est aussi à cause d’un manque d’alternatives, d’une politique insignifiante qui régit la Cité – France, de la mise en place d’un système de pouvoirs parallèles et non conflictuels qui ne se rencontrent, ni par le discours ni par l’action, (presque) jamais.
Je parlais, dans un article précédant de « terrains vagues ». Marc Augé, indique, avec plus de précision, le terme des « non - lieux de la sur - modernité ».
C’est à dire d’une cartographie de l’impuissance du pouvoir laissé à lui - même.
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