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Hâler sa place au soleil

Mes "Menteries" du Girouet

L'attrait de la bricole.

Il était une fois, au temps d'avant la vapeur, un homme, Gaston le Bienheureux qui avait deux passions dans la vie. Follement épris de liberté, il aimait tailler la route, marcher sur les chemins de Loire avec sa fidèle compagne, une belle et puissante percheronne, animal de trait et de grand attrait qui répondait au fier nom de La Douce. Il vouait plus grande dévotion encore à ce fleuve majestueux qu'il n'avait de cesse de longer dans les deux sens.

Son bonheur était d'aller sur les berges, de traîner sa musette, remplie, il ne faut pas se laisser surprendre, de quelques bonnes bouteilles de vin du pays et de quoi casser la croûte si la faim venait à le surprendre. Il avait aussi, de quoi se fabriquer bien vite une ligne pour taquiner le goujon en trouvant sur la berge un scion à sa convenance ou bien tendre une ligne de fond si l'envie d'une bonne sieste lui prenait !

Homme de peu d'inquiétude, amoureux de la nature et de tout ce qui y traîne alentour, il prenait la vie par le bon bout, celui qui ne vous fait jamais de tracas mais ne remplit guère le bas de laine. La Douce, la brave bête, se contentait des herbes sauvages des bords de levée, pour remplir sa grande carcasse. Son maître n'avait pas souvent le sou pour lui offrir un bon seau d'avoine ou bien d'orge et rares étaient les nuits qu'ils ne passaient pas sous la Lune !

Heureusement qu'en ces temps de grande circulation sur la Loire, notre couple bienheureux trouva de quoi mettre du beurre ou des céréales dans leurs épinards. Lorsque survenait un jour sans vent de galerne, ce zéphyr puissant qui pousse les bateaux à contre courant, les hommes d'alors mettaient la bricole autour du buste et tiraient leur misère et toute la cargaison. Les bords du fleuve étaient en ce temps là dégagés de toute végétation pour laisser passer les hommes et leur grande corde de chanvre.

Gaston, un jour qu'il avait plus faim que les autres fois pensa qu'il pourrait continuer à vivre de ces rêveries en compagnie de La Douce tout en tirant partie de la chose. Il proposa, aux hommes exténués par le halage, quelques heures de répit en attelant le chaland aux reins surpuissants de son cheval de trait. La bonne nouvelle se répand toujours comme une traînée de poudre, en peu de temps, il fut connu le long du fleuve et dès qu'ils le voyaient, les équipages remontaient à bord pour s'offrir quelques verres et un peu de repos tandis que La Douce et Gaston prenaient le relais.

Gaston tira profit de sa petite pratique. Il gagnait quelques sous, vivait à la belle étoile et ne rentrait chez lui que lorsque l'occasion finissait par se présenter. Il était devenu le hâleur de la Loire. La Douce assurait bien des convoyages qui sans elle eurent mis plus de temps encore. La remonte se faisait à son pas majestueux à près de cinq kilomètres à l'heure. La bête avait maintenant toute l'herbe qu'elle voulait et même du grain plus qu'elle en pouvait manger. Les mariniers s'étaient donnés le mot, ils avaient toujours un sac de céréales sur leurs bateaux pour solliciter cette si reposante traction animale.

Bien vite, d'autres gars du pays découvrirent qu'il y avait là, une belle occasion de remplir sa bourse. De partout il y eût sur les rives des attelages qui attendaient le chaland. Bientôt sur les bateaux on réduisit l'équipage ! L'habitude fut prise de supprimer la bricole, ce harnais de forçat qui transformait les mariniers à pieds en galériens du quotidien. Des entrepreneurs virent le jour, tout le halage ne se fit bien plus qu'à la traction chevaline. Sur les berges il y avait désormais une longue ribambelle de crottes, des chapelets odorants qui jonchait tout le parcours !

Gaston et la Douce comprirent opinément que leur petit commerce artisanal avait attiré des plus gourmands, des mieux équipés et des bien plus travailleurs qu'eux. Ils ne s'en offusquèrent guère. Épicurien avant toute chose, le gars Gaston prenait ce qu'il trouvait et encore s'il n'avait rien à faire de mieux. Nonobstant ce que d'aucun aurait vécu comme une injustice, notre homme qui avait plus d'un tour dans son sac à malice, observant tous ces peineux et traîne misère qui avaient pris sa place, eut une fois encore belle et grande idée !

Sa chère pouliche, jamais plus ne peinerait sous une charge qui pouvait pour les plus grands navires aller jusqu'à quatre-vingt tonnes. Il lui prépara une petite remorque à sa façon qu'il conçut de manière astucieuse. La Douce continua d'aller sur les chemins de Loire mais dès que se présentait belle fiente chevaline, un système astucieux de leviers et de poulies faisait qu'immédiatement le bon fumier de cheval trouvait réceptacle plus convenable. Les marcheurs et les flanneurs y trouvèrent bien plus de confort eux-aussi !

Gaston avait inventé le cheval-crotte, l'idée mit bien du temps à faire d'autres chemins. Ce n'est que bien plus tard, en ce siècle qui précéda l'actuel, que dans nos villes, des plagiaires de Gaston reprirent opportunément son brevet non déposé pour d'autres déjections. Ceci est pratique courante, les grandes inventions restent souvent secrètes et nos vrais génies demeurent dans l'ombre quand de plus opportunistes font fortune à leur place. L'argent on le sait n'ayant pas d'odeur ...

Mais revenons à l'ami Gaston Il récoltait du bon fumier de cheval, le meilleur qui soit et le vendit aux maraichers du coin. C'est ainsi que grâce à ce petit commerce, les terres de notre Val devinrent bien vite riches et grasses. Souvent les esprits malins prétendent qu'elles le doivent à nos limons de Loire. Que nenni, il me faut, une fois encore, rétablir la vérité vraie en pays de menterie. C'est du bon fumier des chevaux halant nos bateaux de bois qui engraissa toutes nos belles terres du Val.

Gaston et la Douce coulèrent ainsi des jours heureux sans trop se tuer à la tâche. Cette histoire, et c'est injuste, ne resta pas dans les annales, on se demande bien pourquoi !

Traitement vôtre.


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9 réactions à cet article    


  • Patrick Samba Patrick Samba 21 juin 2012 10:28

    Bonjour,

    moi aussi j’ai bien connu Gaston. Enfin « bien connu »... je l’ai quelquefois rencontré sur le chemin de halage en compagnie d’Alphonse. Cet Allais, bien qu’il ne hâlait point, aimait aller, hâlé, sur les bords ligériens et répéter à qui voulait l’entendre ; « Quand on ne travaillera plus le lendemain des jours de repos, la fatigue sera vaincue ».
    C’était lui aussi un grand sage.


    • C'est Nabum C’est Nabum 21 juin 2012 13:40

      Patrick


      Je devine bien votre esprit retors Vous voulez mettre toute monde à pied et empêcher les gens de travailler. Vous forcez le trait et je ne puis vous suivre où vous voulez haler !

      Je me libère de mon joug et vous prie d’Allais au diable, à moins que vous ne préféririez le Girouet, ce qui est de pareil au même !

    • voxagora voxagora 21 juin 2012 13:05

      .

      Cette histoire me fait penser aux allusions à cette remarquable « industrie » des excréments,
      omniprésente dans la littérature chinoise, quand l’action se situe avant la révolution.
      Alors qu’en Europe on a mis l’accent sur l’aspect sale et l’évacuation systématique,
      en Asie c’est la récupération qui prime.
      .

      • voxagora voxagora 21 juin 2012 13:07

         ;

        Et ce n’est pas Georges Yang qui me contredira sur ce coup-là,
        lui qui lutte entre les deux tendances.
        .

      • C'est Nabum C’est Nabum 21 juin 2012 13:43

        voxagora


        Vous avez raison, je me souviens d’un magnifique roman où tout débuta autour des latrines. Un regard dessous la porte, une réputation traînée dans la fange et quelques années plus tard, le fils qui reproduit le schéma paternel.

        Je trouve l’inspiration là où je peux !

      • brieli67 21 juin 2012 15:26

        élevage intégré animal _ poisson

        http://www.fao.org/docrep/005/y1187f/y1187f07.htm#bm07.3

        pas qu’en Chine : http://www.fao.org/fishery/countrysector/naso_hungary/fr

        Les hygiénistes, les « internationales » de l’agro-bizzness 

        verdict : c’est insalubre !


        • C'est Nabum C’est Nabum 21 juin 2012 16:02

          Briéli

          Puissiez-vous garder parfois une âme d’enfant et accepter une fable pour ce qu’elle est ; une aimable menterie !

          Laissons donc les tracas du moment, nous pouvons dans les récits d’hier nous faire bien des raisons que nos jours n’ont plus ...


          • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 21 juin 2012 19:33

            Salut Naboum ,joli texte ,et en plus votre héros, en plus d’inventer la moto crotte ,a inventé l’auto crotte puisqu’il ,je l’imagine , ramassait celles de son cheval aussi .

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