Hommage à Pierre Pflimlin
Pierre Pflimlin aurait 100 ans... Ancien ministre, ancien président du Conseil, c’est lui qui a passé le relais au Général de Gaulle en mai 1958 et fut donc l’homme charnière de la IVe à la Ve Republique. Il fut aussi maire de Strasbourg de 1959 à 1983, président de l’Assemblée du Conseil de l’Europe de 1963 à 1966, président du Parlement européen de 1984 à 1947.Un « eurodynamique » qui savait allier réalisme et idéalisme. Un homme d’Etat hors pair, trop méconnu.
Une vie, une œuvre, des pages d’Histoire.... Ce 5 février, Pierre Pflimlin aurait cent ans ! Mort avec le nouveau millénaire, en l’an 2000, cet homme d’Etat, à la fois réaliste et visionnaire, pragmatique et idéaliste, aura profondément marqué la deuxième moitié du XXe siècle, à Strasbourg, en Alsace, en France et en Europe. Son sens de l’action au service de l’intérêt général, doit rester une source d’inspiration et un modèle en cette période de crise de la et Du politique. Et les messages qu’il a laissés à travers des livres, des articles, des conférences, des discours restent pleinement d’actualité.

ITINERAIRES D’UN EUROPEEN
J’ai eu la chance, le bonheur et l’honneur, avec mon ami Jean-Louis English (qui lui aussi nous manque cruellement), de converser avec ce personnage hors du commun durant des heures et des heures, des jours et des jours, lors d’interviewes menées sur plusieurs années : déjeuners, soirées, entretiens autour d’un magnétophone ou devant des caméras...
Résultats : une série exceptionnelle d’articles dans la rubrique « L’invité de la semaine » que Jean-Louis et moi avions créée dans les Dernières Nouvelles d’Alsace (du 15 au 29 janvier 1985), un livre de près de 400 pages publié en novembre 1989 aux éditions de la Nuée Bleue (« Pierre Pflimlin, Itinéraires d’un Européen »), trois documentaires de 52 minutes réalisés par Bernard Kurt et diffusés sur France 3.
PFLIMLIN , PHILOSOPHE PERSONNALISTE
Résultats aussi et surtout peut-être : un enrichissement personnel inquantifiable. Leçons de vie, leçons d’Histoire, leçons de politique. Leçons de morale et d’éthique, de philosophie même. De cette philosophie qui fut le premier amour de sa vie : « J’aurais voulu être professeur de philosophie, mais mon père m’a dirigé vers le droit ». Leçons d’exigence, de rigueur, de respect. « La politique est une morale » (...) « Le respect est un impératif. Respect des soi et des autres. Des idées, des croyances et des aspirations des autres. Y compris de ses adversaires. Respect des faits, aussi, donc des réalités. Respect de la vie... »
Dans ces entretiens, Pierre Pflimlin nous est apparu, souvent, bien différent de l’image qu’il a pu donner dans l’exercice de ses diverses et multiples fonctions, locales, régionales, nationales et européennes.
"ON NE FAIT JAMAIS ASSEZ"
Le « patron » dit « cassant », « autoritaire », volontiers pris de vraies et de fausses colères, était d’abord un homme inquiet, soucieux de donner du sens à la vie, jamais satisfait : « On ne fait jamais assez »...
L’orateur hors pair qui savait si bien donner chair au verbe et déchaîner l’enthousiasme de ses auditeurs était le plus souvent dans l’écoute, dans la réflexion, dans l’introspection. Une dose de timidité (mais oui !), énormément de pudeur, une grande honnêteté intellectuelle. Le souci de ne pas altérer le trésor des trésors : l’intimité de la mémoire et de la conscience. L’art de savoir que le silence est aussi, parfois, de l’éloquence. Et l’obsession de tous ceux qui, en fait, sont d’abord des solitaires : le culte du « jardin secret ».
CETTE PAROLE QUI FAIT L’HOMME
« Tout n’est pas à dire, tout ne doit pas être dit... Ce n’est pas que j’aie des choses à cacher, des secrets à préserver. Mais notre époque pâtit de l’exhibitionnisme ambiant, de l’impudeur érigée en mode, du verbiage qui remplace la Parole...Dire c’est faire, c’est Etre. J’ai toujours essayé de faire ce que je dis et de ne dire que je que je fais ou peut faire... C’est pour cela que je n’ai jamais aimé les porteurs de micros qui attendent une, « petite phrase » ou un « bon mot » qui fera office de débat politique ou d’actualité... Il ne faut pas dévaloriser la parole. C’est la parole qui fait l’Homme ». Que dirait-il aujourd’hui devant le déluge du verbiage médiatico-politique ?
PFLIMLIN, L’EPICURIEN
Le juriste devenu vite économiste d’apparence austère, le travailleur infatigable et sérieux, les responsable à l’emploi du temps surchargé avait ses béquilles secrètes, : l’ironie, d’abord (y compris sur lui-même), (une « vraie vitamine, l’ironie ! »), ses souvenirs de son « époque Montparnasse » (peinture, poésie, musique, théâtre..), son épicurisme (l’amitié, l’amour, les bonnes tables, les cigares, les promenades à pieds...) :
« La vie est faite de mille et une choses. Nous passons trop souvent à côté de ces joies, de ces plaisirs, de ces petits bonheurs.... Tout a du sens. Tout donne du sens. Il suffit de vivre éveillé pour souvent s’émerveiller. Ce monde est si chargé de malheurs, si porteur de tragique ! Ne négligeons pas les petits plaisirs simples de la vie quotidienne.Et, noublions jamais : l’existence n’est qu’un passage.Une vie réussie, c’est une vie pleine" »

Le catholique pratiquant aux allures de curé laïc, cet homme de Foi si imaginable en moine (comme son ami Robert Schuman) était d’abord un humaniste, un personnaliste... « Je dirais même spiritualiste, si cela n’était pas pris pour de la prétention ».
LES FORCES DE L’ESPRIT
« C’est "L’Esprit" qui nous évite les pièges des intégrismes, des intolérances, des mentalités de « Croisés ». C’est "l’Esprit" qui nous pousse à mieux connaître et mieux comprendre les autres. Je suis très heureux que Strasbourg ait été l’un des centres les plus fertiles de l’œcuménisme, du dialogue inter-religieux, des échanges entre croyants et non-croyants, des limages de cervelles entre civilisations. Il faut faire encore plus et mieux. Il faudra faire de plus en plus et de mieux en mieux »
C’est « l’ Esprit » aussi ce qui commande à l’Homme, même si la perfection n’est pas de ce monde, de tenter de faire triompher l’humain contre l’inhumain. De vaincre "la bête" qui est dans cet " humain, trop humain"...
« Mon attachement aux dDroits de l’Homme n’est pas que formel. Je suis profondément hostile à toutes les formes de racisme, de rejet de l’Autre, de discriminations des autres. Je suis viscéralement un non-violent. C’est pour cela que je suis depuis longtemps contre la peine de mort. C’est pour cela que j’ai fait très tôt le choix de la « décolonisation ». C’est pour cela que je ne suis pas fier que mon pays soit l’un des plus grands producteurs et exportateurs d’armements... C’est pour cela que je suis contre toute forme de guerre dite préventive. Tout cela ne veut évidemment pas dire que je sois un naïf. « Non-violent » mais non « pacifiste » : Toute société, tout Etat doit avoir les moyens de se défendre...J’ai trop souffert, j’ai eu trop honte, pendant la débâcle pour ne pas en être pleinement conscient »

LE PRINCIPE D’HUMANITE
Le « principe d’humanité » qui met l’Homme au cœur de toute action, qui fait de l’amélioration de la condition humaine la finalité de toute action, Pierre Pflimlin a grandi avec. Et l’a cultivé.
« J’ai toujours essayé de ne jamais confondre la fin et les moyens. En politique, il importe de définir des buts et de ses donner les moyens de la atteindre. Tout doit aller de conserve : le pourquoi, le en vue de quoi, le comment et au prix de quoi. J’ai très vite compris que le droit était un outil qui ne suffisait pas à assurer la justice. Si je me suis très vite rendu compte de l’importance de l’économie, ce n’est pas par goût, mais par réalisme, ce n’est par économisme, mais par pragmatisme. L’économie est un moyen : le fin c’est le bien-être humain, le progrès partagé, le plus de justice sociale possible. La politique aussi n’est pas une fin en soi : elle est un moyen à utiliser au service de la "Cité" »

Influences de ses lectures, de ses rencontres et de ses réflexions philosophiques. Influences de « l’humanisme rhénan ». Influences du frère Médard, des conférences du FEC, à Strasbourg, « avant même la deuxième guerre mondiale », du christianisme social. Emmanuel Mounier, Jacques Maritain, Marc Sangnier...

RESPECT DE LA PERSONNE ET SENS DE LA COLLECTIVITE
« L’un de mes soucis permanents, depuis longtemps, est de concilier en tout et pour tout, les libertés de la Personne et la justice sociale, la Liberté et l’Egalité, de faire la synthèse entre le respect de la Personne et le sens de la Communauté, sens large du terme. Une synthèse dialectiquement aisée mais extrêmement problématique dans la réalité »

Ce « principe d’Humanité », si malmené, si mal respecté, si oublié, faisait de ce « libéral » un adversaire de l’hyper-capitalisme, de « l’hyper-liberalisme », du « laisser- faire et laisser-passer n’importe quoi n’importe comment ».
Ce « principe d’humanité » lui permettait de ne pas confondre (entre autre)« autorité et « autoritarisme », « patriotisme » et « nationalisme », « régionalisme » et « micronationalisme »...
L’EUROPE ? LA SOUVERAINETE DES VALEURS
C’est ce « principe d’Humanité » aussi qui a fondé ses engagements européens.
Parler de « Pflimlin, l’Européen », c’est un pléonasme... « Je suis Européen, parce qu’alsacien et parce que Français... Je suis Européen parce que je suis très attaché à la vraie souveraineté. Chaque individu, chaque nation aspire à la pleine souveraineté, c’est-à-dire la maîtrise de son destin. Or, aujourd’hui, la souveraineté individuelle et collective des Européens passe par la construction d’une Europe Unie ! Comment peut-on être « souverainistes » et « anti-européens » ? Mais l’Europe n’est pas qu’un marché : c’est une Communauté de valeurs »
La pensée de Pierre PFLIMLIN devrait éclairer davantage les débats politiques et européens d’aujourd’hui...
Daniel RIOT

PIERRE PLIMLIN, VISIONNAIRE... Ce texte date du 4 Avril...1958
"La paix véritable n’est pas seulement, nous le savons bien, le silence des armes. Elle demeure bien fragile tant qu’elle repose seulement sur des pactes ou sur un équilibre de forces que le progrès foudroyant des techniques de destruction peut remettre en cause à tout instant. Nous vivons au temps de la guerre psychologique. Il devient de plus en plus clair que la partie décisive ne se livre plus sur les champs de bataille, mais dans les esprits et dans les cœurs des hommes. C’est le déchaînement des passions collectives qui enfièvrent actuellement des centaines de millions d’êtres humains, qui fait peser sur les peuples libres la plus terrible des menaces.
"Il devient de plus en plus évident que le péril ne pourra être conjuré que si nous sommes capables de démontrer que les valeurs dont nous nous réclamons- la liberté, la démocratie, le respect de la personne humaine - ne sont pas de simples formules, mais des forces capables de répondre à la soif de justice et de bonheur qui soulève les multitudes déshéritées. Il est grand temps que l’Occident mobilise ses forces spirituelles sans lesquelles il sera impossible de vaincre les forces qui menacent la paix, je veux dire le racisme, le nationalisme et la lutte des classes.
"Dieu veuille entendre les prières qui, dans ce temple et dans tous les temples du monde, s’élèveront pour la sauvegarde de la paix, la paix véritable, récompense de la justice, fruit d’une fraternité unissant par les sommets les hommes arrachés à leur médiocrité et à leur égoïsme par les plus hautes exigences de l’esprit.
(Discours prononcé à l’occasion de la Consécration de la Synagogue de la paix de Strasbourg)
VOIR AUSSI L’ARTICLE DE PAUL COLLOWALD SUR RELATIO >>>>>>>>>
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